Le désert du Karah

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Jean prépare son sac. La pierre noire, toujours avec lui. Elle ne pulse plus. Mais elle attend.

Le départ de Jean se fait à l’aube. Le sac est léger, mais son esprit est chargé de questions. Le désert du Karah… un nom qui résonne comme une promesse et une énigme.

Mathieu l’accompagne jusqu’au point de départ. Ils ne parlent pas beaucoup. Mais au moment de se séparer, Mathieu dit :

— Tu vas là-bas pour elle. Mais aussi pour toi. Et pour ce que vous êtes ensemble.

Jean hoche la tête. Il ne répond pas. Il ressent.

Le voyage est long. Jean repense à la silhouette, à la pierre, aux aigles. Et surtout à Marie. Elle a toujours eu cette intuition, cette capacité à sentir ce que les autres ne voient pas.

Les heures en avion sont interminables, il est impatient de revoir Marie. Une voiture l’attend.

Le paysage change peu à peu. Les forêts cèdent la place aux plaines, puis aux étendues arides. Chaque kilomètre semble effacer un peu plus le monde d’avant.

Le désert s’étend, immense, silencieux. Et quand Jean descend enfin du véhicule, le vent brûlant du Karah lui fouette le visage. Il plisse les yeux. Au loin, une silhouette. Casquette vissée. Carnet en main. Marie.

Le sable est brûlant. Marie l’attend près d’un campement modeste, entourée de quelques chercheurs. Elle sourit en le voyant, mais son regard est grave. Elle ne bouge pas. Jean voit que quelque chose a changé.

Elle attaque d’emblée :

— Depuis des semaines, nous fouillons cette vallée battue par les vents, autour de blocs de roche immenses, façonnés avec une précision inexplicable. Pas de route, il n’y a pas de ruine alentour, juste ces pierres, trop parfaites pour appartenir au chaos géologique.

Hier encore, le boyau que nous avons creusé semblait n’être qu’un couloir de pierre, droit, obstiné, sans fin. Aujourd’hui, il a cédé sur une cavité. Elle ne ressemble à rien de connu. Pas de colonnes, pas de décor. Juste… le vide. Et en son centre, une stèle cristalline, haute comme un homme, translucide comme un glacier ancien. Un quartz d'une pureté exceptionnelle.

Mais ce n’est pas elle qui nous bouleverse. C’est ce qu’elle abrite : un disque minéral, inséré au cœur comme un cœur de pierre. Sa surface semble mouvante. Ses gravures… ne sont pas des gravures.

Nous le regardons. Et il nous regarde. Il n’émet rien, mais dans nos esprits, il murmure déjà.—

— Bonjour, dit Jean, Vous avez fait des expériences ? —

Marie :

— Oui, bonjour. Tu arrives juste à temps. Ce qu’on a trouvé… ce n’est pas seulement ancien. C’est presque vivant. Pas organique —

Jean :

— Tu veux dire vibrant —

Elle l’emmène vers la cavité creusée dans la roche. Au fond, une paroi gravée. Le même symbole que sur la pierre. Mais ici, il est entouré d’autres signes, comme une carte, ou un langage oublié.

Jean (murmure) :

— C’est un message, un appel, une capsule temporelle. —

Il s’approche lentement de la cavité. Le sol est froid, malgré le soleil brûlant au-dehors. La stèle semble respirer avec des pulsations lentes, hors du temps.

Il tend la main. Pas pour toucher. Pour écouter.

Le disque minéral pulse doucement. Pas de lumière. Pas de son. Mais une pression sur l’air. Comme une pensée qui cherche un récepteur.

Marie reste en retrait. Elle observe Jean. Elle sait qu’il est en train de s’accorder.

Jean ferme les yeux. Et là, dans le silence, il entend.

“Ce lieu n’est pas un sanctuaire. Ce lieu est un nœud. Là où les mémoires convergent. Là où les oublis se condensent.”

Il ouvre les yeux. Il regarde les symboles autour du cercle. Ils ne sont pas décoratifs. Ils sont dynamiques. Ils changent selon l’angle, selon la lumière, selon la présence.

Jean (à voix basse) :

— Ce n’est pas une carte. C’est une interface — .

Marie s’approche.

— Une interface avec quoi ? —

Jean :

— Avec ce qui reste. Ce qui n’a pas été détruit. Ce qui attend. —

Marie fronce les sourcils.

— Tu veux dire… une mémoire collective ? —

Jean :

— Non. Pas collective. Cosmique — .

Jean raconte à Marie les aventures qu’il a partagées avec Mathieu, au bord du lac d’Hokkaido, là où chaque souvenir semble encore flotter dans l’air.
Marie l’écoute. Sceptique, mais troublée.

— Un aigle ? Vraiment ? Qui s’intéresse à un aigle ? et cet homme ? —

Le soir venu, le feu crépite, projetant sur les visages des ombres tremblantes. Les voix s’élèvent, s’interrompent, s’entrelacent :

< hypothèses, datations, filiations culturelles. Certains évoquent un peuple oublié du Paléolithique supérieur. D’autres parlent d’une civilisation pré-antarctique.

— Les scientifiques nous mettront tous d’accord avec une datation, dit Jean.

Une voix résonne dans sa tête : Toujours chercher à comprendre.

Marie ne dit rien. Elle repose sa tasse avec lenteur.

— Si elle est là… c’est pour une raison. On ne peut pas l’arracher au sol. C’est elle qui doit choisir quand elle parlera.

Un silence s’installe. Le vent tourne. Les regards changent.

— Il faut rester sérieux. Ce n’est pas une séance de spiritisme. Nous l’étudierons en laboratoire. Dit Julien, un chercheur.

— C’est moi l’archéologue. Et la décision me revient. Nous sécurisons le site. Et nous ne touchons à rien. Pas avant un an.

Le feu crépite encore, mais les conversations se sont tues. Chacun est plongé dans ses pensées. Julien fixe les flammes, les sourcils froncés. Marie reste droite, le regard perdu dans l’obscurité. Jean, lui, sent que quelque chose s’approche. Pas physiquement. Intérieurement.

Il se lève, lentement. Il marche, il retourne vers la cavité. Le sable crisse sous ses pas. Il ne cherche pas à transgresser. Il cherche à écouter.

La stèle est là, immobile, translucide. Le disque minéral au centre semble plus sombre qu’avant. Comme s’il absorbait la nuit.

Jean s’accroupit. Il ne touche pas. Il respire.

Et dans ce souffle, la voix revient. Pas dans sa tête. Dans son corps.

“Ce n’est pas le temps qui manque. C’est la présence. Et vous l’avez oubliée. Vous avez attendu les preuves. Nous avons attendu les présences sincères.

Jean ferme les yeux. Il sent le sol vibrer. Faiblement. Comme un battement.

Marie s’approche. Elle ne parle pas. Mais elle pose sa main sur son épaule.

Jean murmure :

— Elle va parler. Mais pas à nous.

À ceux qui savent écouter… sans vouloir comprendre.

Marie hoche la tête.

Et dans ce simple geste, Jean sent qu’ils sont prêts.

Pas pour une découverte. Pour une révélation.

Jean a tout essayé : les fréquences simples, les harmoniques, certaines ondes.

Rien. Elle est animée par une vie intérieure propre.

Il ne comprend pas.

Oui, je sais… toujours vouloir comprendre.

La période de fouille touche à sa fin. Les tentes se plient. Les carnets se referment. Le camp se vide.

Mais Marie et Jean restent.

Obstinés. Fatigués. Habités.

Chaque jour, ils reviennent vers la stèle. Ils l'observent, l'effleurent, la questionnent sans mot.

Aucune réponse. Mais quelque chose se produit de subtile, insaisissable : la stèle est là. Et sa présence se fait sentir.

Ils tentent des projections lumineuses, des vibrations sonores, des encodages anciens. Rien ne fonctionne. Mais leur espoir ne s'effrite pas.

— Il doit bien y avoir un moyen, murmure Jean, les yeux cernés.

Marie ne répond pas. Elle regarde la stèle comme on attend un lever de lune.

Il ne nous reste plus qu’une journée et pas une seule idée, je vais me coucher dépitée.

La Vision de Marie.

Marie reste encore un instant. Elle regarde les ampoules de sa main droite, en sort son flacon d’huile essentielle, frictionne ses doigts avec lenteur. Puis elle se relève.

Et sans penser, sans chercher, elle pose sa main nue contre la stèle. Non pour l’étudier… mais pour lui dire adieu.

Alors, quelque chose se passe.

Des reflets bleus apparaissent et pourtant il n’y a rien. Le sol ne bouge pas. Le disque ne tourne pas. Mais l’air semble vibrer doucement. Marie respire plus lentement. Son esprit se calme.

Elle est sûre que le moment est venu, elle appelle Jean, qui répond aussitôt :

— Il se passe quelque chose ?

— Oui, viens.

— J'arrive.

Et devant elle, un paysage surgit.

Dégagée de tout sédiment, une colline sacrée. Et devant, les géants de pierre. Hauts. Majestueux. Alignés.

— L’Île de Pâques… murmure Marie.

Jean arrive et sursaute.

— Quoi ?

Elle ne répond pas. Ses yeux brillent. Elle n’est pas là. Elle regarde autre chose.

— Je vois…

Sur les hauteurs de la montagne, une ville en terrasse, avec des bâtiments en bloc énorme, le plus imposant est situé près de la place, une tour gigantesque avec une coupole et une sorte de télescope, un site lui vient de suite le Machu Picchu une autre image lui apparait une grande ville avec un palais magnifique en pierre massive cela ressemble à Cuzco au Pérou, déjà une nouvelle vue se dessine la muraille de Saqsaywaman avec une plateforme qui accueille des objets volants.

Les images défilent.

— Je ne retiens pas tout. —

Une ville surgit titanesque. Les blocs s’érigent comme des falaises sculptées. Les bâtisses montent aux cieux, hautes de plusieurs centaines de mètres. Au centre, une place monumentale. Un édifice semblable au Parthénon. Mais plus ancien. Plus sauvage dans son ordre et sa taille. Cela évoque Baalbek.

Jean s’approche. Il ne touche pas Marie. Il ne parle pas. Il observe. Et dans son silence, il sent que ce qu’elle voit… il le ressent aussi. Pas les images. Mais leur poids. Leur appel.

Marie murmure encore :

— Ce ne sont pas des lieux. Ce sont des nœuds. Des points de contact. Les organes d'un monde.

Elle vacille. Jean la soutient. Elle respire profondément, comme si elle revenait d’un voyage sans distance.

— Je ne retiens pas tout, dit-elle — .

— Tu n’as pas besoin de tout retenir, répond Jean. Ce qui doit rester… reste. —

Ils s’assoient près de la stèle. Le disque minéral est toujours là, immobile. Mais quelque chose a changé. Il ne pulse plus. Il attend.

Jean regarde Marie. — Tu as ouvert quelque chose. —

— Non, dit-elle. Elle m’a ouvert. —

Un silence. Mais pas vide. Chargé.

Et dans ce silence, une pensée traverse Jean. Pas une voix. Une direction.

“Ce que vous avez vu est un fragment. Il existe d’autres stèles. D’autres disques. D’autres mémoires. Et elles attendent.”

Jean se lève. Il regarde l’horizon. Le désert. Le monde.

Et il sait. Ce n’est plus une fouille. C’est une quête de résonance.

Marie… un autre lieu. Une dentelle de pierre, vibratoire, presque vivante.

Le temple de Lakshmi Devi.

Cette fois, je le reconnais. Et pourtant… c’est autre chose.

Le mandala au plafond pulse doucement, comme une respiration antique. Les colonnes irradient une onde silencieuse. Ce n’est pas une vision.

C’est un souvenir que je n’ai jamais eu.

Les images continuent d’affluer. Trop vite. Des cercles. Des cieux fracturés. Des marches de lumière dans des cavernes ouvertes sur l’infini.

Je suis là. Et pourtant… je suis ailleurs.

La stèle ne murmure plus. Elle a délivré son message.

Jean reste debout. Le sable ne brûle plus. Le vent ne souffle plus. Tout est suspendu.

Il ne voit pas. Il reçoit.

Les images ne sont pas des images. Ce sont des empreintes. Des fragments d’un monde qui ne s’est jamais effacé, seulement replié.

Le temple de Lakshmi Devi palpite. Chaque colonne est un diapason. Chaque motif, une onde. Et le mandala au plafond, ce n’est pas un symbole. C’est une porte.

Jean ferme les yeux. Il ne cherche pas à comprendre. Il s’accorde.

Et là, dans le silence, une dernière vision s’impose. Pas une ville. Pas un temple. Un cœur.

Un cœur de pierre. Immense. Battant lentement. Comme une pulsation oubliée du monde. Autour de lui, des êtres. Ni humains. Ni divins. Mais présents.

Ils ne parlent pas. Ils vibrent.

Et Jean comprend. Ce n’est pas une quête de lieux. C’est une quête de fréquence. De justesse.

Il rouvre les yeux. Marie le regarde. Elle a vu aussi. Pas les mêmes images. Mais la même vérité.

Ils ne disent rien. Ils n’ont plus besoin de mots.

La stèle ne murmure plus. Elle écoute.

Une fois sous la tente, blottie l'un contre l'autre, le sommeil nous gagne rapidement.

Elle vibre, elle chante.

Marie se réveille. Jean est à ses côtés.

— Que t’est-il arrivé ? —

Marie le regarde.

— Rien… Je me souviens de tout. Le disque communique par vision.

Jean fronce les sourcils.

— Tu plaisantes. Explique-moi.

— J’ai vu le monde… d’une autre civilisation.

— Une civilisation connue ?

— Non. Une civilisation disparue.

Jean se redresse, agacé. Pourquoi lui n’a-t-il rien vu ?

— Marie… Nous allons passer pour des charlatans.

— Je le sais. Tu as raison. Il va falloir être discrets. Et extrêmement prudents. L’homme qui t’a agressé ne doit pas être seul.

— Je pense… que chaque site renferme une énigme. Une énigme qu’il faut résoudre. À la fin… nous saurons.

— Nous verrons bien.

Jean la dévisage.

— Tu es sûre de ne pas être malade ? —

— Si tu préfères croupir dans tes papyrus… Lionel se fera un plaisir de m’accompagner. —

— De suite, le chantage. Et le disque, tu en fais quoi ? —

— Nous sécurisons le site. On verra ensuite. —

Ils ne disent rien. Ils n’ont plus besoin de mots. La stèle ne murmure plus. Elle écoute.

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