Mascarade
de
Nathalie Guillaume
Je n’ai pas une ride et mes courbes sont parfaites.
Mon corps se compose de trois parties distinctes qui, mises ensemble, forment un tout agréable à l’œil.
Je n’ai certes pas une taille de guêpe (mais qui en a une ? et puis je ne tiendrais pas debout, hihihi), mais je sais que j’attire les regards.
Je ne suis pas comme ces tartes ou ces flans qui n’ont aucune chance de rivaliser avec moi.
Ou alors en désespoir de cause. Ou qu’on cache.
Pas des divas qu’on expose fièrement pour une grande occasion, devant pléthore d’invités.
Je sais que, pendant toute la durée de la fête, les yeux saliveront sur moi.
Mais chacun sait se tenir en bonne société.
Pourtant je sais qu’ils n’attendent que ça. Tous et toutes.
Je ne laisse aucun sexe indifférent. Ni même aucun âge.
J’attire de sept à soixante-dix-sept ans. Je le sais.
Ne dit-on pas qu’on garde le meilleur pour la fin ?
Le seul problème, c’est ma nature.
Je sais que je ne suis pas bonne.
Je la vois à chaque fois, la désillusion dans leurs yeux.
Au premier contact, ils subissent encore l’influence de leur biais positif, trompés par mon apparence.
Mais au deuxième coup de cuiller, ils doutent.
Tiens, ce n’est pas ce à quoi je m’attendais.
Au troisième, la sentence tombe : la déception.
Et comment ne pas l’être ?
Ma pâte est sans goût : édulcorée, sans vrai sucre.
Mon fourrage aussi laisse à désirer : des ingrédients de piètre qualité.
Et les fruits, parlons-en : placés encore congelés, leur jus — un mélange de givre et d’arôme chimique — file vers le bas et détrempe ce que je ne peux décemment pas appeler une génoise.
Ma grand-mère n’a jamais eu à souffrir de ces regards dépités.
La pâte à sucre n’a pas toujours existé.
Quand elle est arrivée, mes tantes, elles, avaient continué à avoir du goût malgré tout.
Que s’est-il passé en quelques années ?
Être magnifique à l’extérieur prend un temps considérable.
La pâte doit se travailler longuement, avec une multitude d’ustensiles différents — coûteux, d’ailleurs — et spécifiquement dédiés à ma nature.
Ils ne peuvent servir à autre chose, pas même à une bête tarte.
C’est sans doute pour cela que mon intérieur est bâclé.
Que je participe à un anniversaire d’enfant décoré en circuit de course,
ou que je sois une pièce montée surmontée de deux époux amoureux,
je me demande si je ne reflète pas un peu les personnes que je suis censée fêter :
belles et lisses dehors, ternes et insipides dedans.
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