Les mercenaires
— D'après mes calculs et l'impeccable trajectoire que j'ai établie, capitaine, nous serons arrivés avant le passage du notre cible. Veuillez noter aussi que j'ai pris en compte l'économie de carburant et q-
— Merci, Scipio, ça ira. Allez, du mouvement! Yamato, va chercher les guns. Jigsen, tu vas nous amarrer à un de ces débris ; Je veux que ce soit fait sans bavure et sans laisser de traces.
— Yoho, cap'tain!
Traxton regarda son pilote avec consternation.
— N'en fais pas des caisses, on est pas de pirates
— Bah si, un peu quand même» contra le pilote.
— Un peu de discrétion ne ferait pas de mal, pour changer.
Ils furent interrompus par l'arrivée d'un robot.
— M3d1c, au rapport, mon capitaine.
Le robot infirmier entra de sa démarche de crabe dans le poste de pilotage.
— Ah, parfait. Tiens toi prêt, je –enfin on– pourrait avoir besoin de soin si ça dérape. Mais ça ne dérapera pas, n'est-ce-pas?
— Aucune raison, capitaine» assura Yamato, l'air aussi confiant que pouvait l'être un gynoïde garde du corps. Ce qui n'était pas peu dire.
— Euh, non, bien sûr, aucune raison. M3d1c, reste dans le coin quand même, au cas ou.
Yamato posa son regard bleuté sur le capitaine, pendant que le pilote leva les yeux au plafond.
Ce fut la voix mentale du navigateur qui interrompit le cours des pensées du capitaine.
— Cible repérée, capitaine Traxton. D'après leur route, je dirais q-
— Combien de temps
— Si vous me laissiez terminer mes phrases, vous auriez vos réponses ; ils approchent à grande vélocité et seront sur nous dans 10 minutes, tout au plus.
— Bizarre, tu as bien dit qu'il se déplace à grande vitesse?
Le pilote prit une expression qu'on identifiait comme de la contrariété.
— En effet, c'est étrange qu'un cargo gaspillent autant son carburant, surtout qu'il semble se rendre vers le complexe de recyclage. C'est pas comme si il risquait de louper l'ouverture.
— Et tu me dis ça que maintenant, Scipio? s'insurgea le capitaine.
Le navigateur ne prit même pas la peine de répondre. Ce fut Yamato qui interrompit le silence éloquent de Scipio.
— C'est étrange capitaine. On devrait se méfier, c'est très suspect. Scipio, peux tu scanner le cargo?
— Le scan est en cours, mais les résultats ne sont pas concluant.
— Comment ça, pas concluant?
—Les senseurs détectent deux formes de vie et la soute de fret est blindée, donc protégée contre les rayons. Je ne sais pas ce qu'ils transportent ni pourquoi ils semblent si pressés de se rendre à la déchèterie.
Le ton perplexe du navigateur n'entama en rien l'enthousiasme de Traxton.
— Allez, on est pas venu là pour rien! Si ça se trouve, c'est justement un stock de métaux à recycler très urgent un peu irradiés! On arrivera facilement à tout revendre, je connais des tas de personnes que ça pourrait intéresser.
Le pilote garda le silence, pendant que Yamato vérifiait son arme personnelle.
— Jig, mon vieux, ça va bien se passer. Pas la peine de se faire du mouron, qu'est ce qui pourrait mal tourner?
— Je peux vous faire une liste, cap'tain, par ordre de gravité, de probabilité voire alphabétique.
— Je suis de l'avis du capitaine, trancha Scipio, nous devons tenter, ne serait ce que pour rentrer dans nos frais. Et Yamato aussi est d'accord avec le capitaine.
Le pilote poussa un long soupir inhumain. Son immense cage thoracique le lui permettait.
— Elle est toujours d'accord avec le capitaine... Très bien, vous avez gagné. On les accroche, on les pillent et on se tire.
— Et d'après le signal du transpondeur, ce n'est pas un vaisseau de la fédération, mais d'une obscure compagnie. Si ça peut te rassurer.
— J'imagine que ça ira.» capitula-t-il.
Il s'installa à son fauteuil, ses longs bras en position, paré à la manœuvre.
Toute l'attention était braquée sur la verrière du cockpit alors que le cargo apparaissait en visuel. Le capitaine et son équipage était assez «habitués» à ce genre de manœuvre. En général, ils ne s'attaquaient qu'à ce genre de petits vaisseaux isolés, peu importants ni escortés. La bordure extérieure était parfaite pour ça, loin des routes principales, bien trop surveillées et susceptibles de déclencher une alerte prompte et une réaction assez violente.
Les gens se rendaient la plupart du temps et n'étaient de toute façon pas en position de faire autrement. Le vide spatiale et l'arme de poing étaient en général assez dissuasif et suffisant pour décourager toute tentative d'héroïsme mal placée. D'ailleurs, personne n'était prêt à risquer sa vie pour le transport d'une cargaison qui n'était de toute façon pas la leur. Surtout pour un salaire de misère.
— Manœuvre d'approche en cours», déclara Jig, sans le plus grand des calmes.
— Ne pouvons nous pas jouer le vaisseau en détresse?
— Nan, Yam, la dernière fois, ils ne se sont pas arrêtés. Et d'ailleurs, qui serait assez con pour prendre un risque pareil dans un endroit comme celui-là?» objecta Traxton.
— Ils n'auraient pas vraiment tort de se méfier, non? Allez, à l'ancienne cap'tain. Cramponnez-vous, ça va bumper.
Il tira sur la manette qui commandait les silent-blocs d'amarrage ; il fallait simplement ne pas louper le coche, sans quoi, il risquait de perdre l'effet de surprise et faire fuir leur proie sans espoir de pouvoir recommencer.
— Brouilleur activé, capitaine» déclara Yamato depuis son poste.
— C'est parti... Déployez Thelma et Louise!
Yamato braqua son regard bleu sur le malotru.
— Capitaine, nous en avons déjà parlé : on ne donne pas de prénoms féminins à nos bumpers.»
Cramponné à son fauteuil, ceinture bouclée, dents serrées, le vaisseau fondit sur sa cible. Le choc eu lieu, considérablement amorti par les bumpers, mais...
— On glisse, cap'tain! Comment ça se fait?
— Parce que j'ai pas activé l'attraction magnétique...
Traxton écrasa le bouton aussi rouge que lui, en priant pour que le sas soit toujours accessible. Le raclement qui s'ensuivit et le net ralentissement du vaisseau donnaient un avis assez clair sur la situation.
— Abordage réussi, cap'tain!» déclara Jig d'une voix tonitruante, avant d'enfiler son énorme casque, suivi dans son mouvement par les autres. L'anonymat était un droit et surtout une nécessité quand on s'adonnait à la piraterie.
— Scipio, surveille les alentours et tiens nous au jus ; les autres, avec moi, à la porte du sas. On a des invités qu'il ne faut pas faire attendre. Yam, pressurise le sas.
Parvenus dans la chambre du sas, des coups retentirent.
— Ma parole, mais qu'est ce qu'ils foutent?
— On dirait qu'ils cognent à la porte? Peut-être qu'ils ont très envie qu'on la leur ouvre?» répondit le pilote avec un haussement de ses très larges épaules.
Bam. Bam. Bam.
— M3d1c, tu ouvres la porte à mon signal. Armes en joue, et personne ne tirent sans que je n'en donne l'ordre, compris, Jig?
Le pilote baissa un regard piteux.
— Entendu, cap'tain.
Bam. Bam. Bam.
— 3... 2... 1... Ouvre!
Le robot s'exécuta, faisant disparaître le panneau de métal.
— Oh merde...
Devant eux, se tenaient les deux individus scannés. Une femme aux traits reptiliens, avec un plastron de l'armée spatiale indiquant qu'ils avaient devant eux d'un côté "Natassja Stalmers" et de l'autre, un colosse verdâtre muni de défense lui sortant de la bouche, dans la même tenue et qui se nommait "Mænder Saï". D'après leurs bandes patronymes totalement militaires.
La femme au regard glacé affichait un sourire particulièrement malveillant.
— Allons, Mænder, garde tes forces pour ces gentlemans... Enfin, si on peut dire.
Elle détailla le capitaine de la tête au pied, sans se départir de son sourire carnassier avant de poursuivre.
— Toi, tu prends le gorille» Stalmers désigna Jig,
— Et moi je prends les deux autres.
— J'ai un gynoïde garde du corps et je n'hésiterai pas à m'en servir!» protesta le capitaine.
— Et...? Tu crois que j'ai peur d'un robot-pute?
— Techniquement parlant, je n'occupe pas cette fonction-là à bord, lieutenant Stalmers, même si j-
— M'en fout. Mænder, à l'attaque!
En poussant un rugissement, le colosse se jeta sur la menace la plus évidente pour lui, consistant en la personne du pilote, particulièrement massif et musclé. Les deux titans roulèrent au sol dans une foire d'empoigne digne d'une baston de bistrot.
Stalmers quant à elle dégaina une dague recourbée qui n'était pas sans évoquer un crochet de serpent, très en accord avec sa physionomie.
Le capitaine avait juste enfilé ses gants de préhension et seul Yamato pointait une arme dans la direction du lieutenant.
— Tu comptes vraiment tirer ici, la pute? Faudra trouver mieux que ça pour me faire peur.
— Ah, je n'avais pas pensé à ce détail.» admit Yamato.
D'habitude, les gens avaient un minimum d'instinct de conservation et la peur de mourir calmait toutes velléités héroïques. Ce qui n'était pas le cas chez les militaires de la Fédération Spatiale.
— Vous pouvez encore vous rendre, et bénéficier d'un procès équitable devant une cours martiale avant une exécution sommaire mais rapide.
Mænder grognait pendant que Jig tentait de se protéger des coups.
— En garde!» Le capitaine arbora sa meilleure posture de boxe, et adopta une attitude défensive. Au moins, ses gants mécaniques de préhension lui assurait une certaine protection contre la lame de Stalmers. Le hic, c'était que seuls ses avants bras étaient protégés. Il le savait et il savait qu'elle le savait qu'il savait. Rien qu'à son regard vicieux posé sur sa jugulaire.
— Je sens que je vais adorer ça...» murmura-t-elle, avec un plaisir frisant l'obscénité.
Complètement indifférente au raffut de son équipier occupé à se bagarrer, Stalmers empoigna sa dague, et se mit à faire des mouvements souples et vifs. La partie s'annonçait difficile. Ou peut-être pas.
Traxton lança son plus beau crochet du droit qu'elle esquiva sans effort, presque avec nonchalance, avant de détendre le bras d'un geste vif et nerveux.
— Qu'est ce qu–
Le capitaine sentit un liquide chaud lui couler le long de la joue.
— Un petit rasage, capitaine?» ironisa-t-elle.
Son attention fut attirée par un gémissement de son acolyte. Une seringue dépassait de sa nuque musculeuse. Mænder poussa un grognement avant de se relever prestement et tenta de s'en prendre au robot médical.
— Capitaine? Au secours, capitaine.» Heureusement, les robots ne paniquaient pas.
— Maitrise-le, enfin! Il est pas pire qu'un patient junky complètement défoncé!
Grâce à ses bras multiples, M3d1c réussit à immobiliser son assaillant qui se démenait comme un beau diable, alors que Jig gisait au sol, complètement sonné.
— Ca suffira pas pour l'anesthésier, le robot. Mais tu l'as énervé.» annonça Stalmers, en ricanant.
Le capitaine tenta sa chance et prit la diversion ; il plongea sur le lieutenant qui, encore une fois, l'évita sans effort. Traxton s'effondra par terre, dans la pire des positions possibles.
Stalmers se jeta sur sa cible, lui planta le genou entre les omoplates, et approcha sa lame inéluctablement de la gorge du capitaine, lentement, savourant le geste.
— Ne bougez-pas!» ordonna Yam, en pointant son arme sur la militaire.
— Je t'ai déjà dit que tirer ici reviendrait à tuer tout le monde. Il est débile, ce robot!»
Yamato opina et, contre toute attente, rengaina son pistolet.
— Non, officier Stalmers, mais je suis capable d'apprendre et de m'adapter.
Elle tendit son bras droit, qui se transforma sous les yeux médusés de Stalmers. Un canon apparut, pointé dans la direction de l'agresseur du capitaine.
— Mais qu'est-ce que tu comprends pas q–
Une légère fumée s'échappait déjà du canon. Stalmers écarquilla les yeux, en portant la main à son abdomen. Un filet de sang s'écoula de ses lèvres et elle s'effondra sur le capitaine.
— Merci, Yama, mais comment...?
— Balle expansive faible vélocité, Capitaine. Maintenant...
— NAT!
Mænder se libéra sauvagement de la poigne de M3d1c et se rua cette fois sur le capitaine tel un taureau furieux mais verdâtre. Complètement ivre de rage, le regard meurtrier, ses deux énormes mains se tendirent vers la gorge du capitaine. Il menaçait de le décapiter comme on ouvre une bouteille de champagne.
— Mais... C'est... même... pas moi qu–
Des étoiles dansaient déjà devant ses yeux pendant qu'un voile gris obscurcissait progressivement sa vision.
Mænder desserra subitement sa prise, comme assommé et s'effondra à son tour, les yeux révulsés, une espèce d'écume blanchâtre aux lèvres.
Reprenant peu à peu ses esprits, ainsi que son champ de vision, Traxton aperçut une seconde fléchette. Se massant la gorge, il se disait qu'il fallait qu'il vérifie s'il pouvait toujours parler.
— Je crois que l'anesthésie à mieux fonctionné cette fois-ci.
L'air bravache, il n'en menait vraiment pas large, et le son de sa voix, rauque et étouffé, ne lui plaisait pas du tout.
— En effet capitaine, je crois que l'anesthésie définitive était la meilleure solution. C'est la seule que j'ai eu le temps de synthétiser. J'ai prêté serment, je ne suis pas censé tuer des gens.
— Tu m'as sauvé moi!» protesta Traxton. Jig grogna de douleur.
— En attendant, tu peux le soigner lui. Yama et moi, on va inspecter cette cargaison au plus vite et déguerpir.
— C'étaient des soldats de la fédération» remarqua Yam.
— Je sais, j'ai deux yeux reliés à mon cerveau et le tout fonctionne très bien ensemble.
— Je vous informe que, conformément à la procédure fédérale, l'alerte a été donnée dès que le vaisseau s'est arrêté. On doit faire très vite.
— C'est bien ce que je disais. Et en plus, si ça se trouve, c'était des déserteurs...
L'hypothèse était loin d'être incohérente. Deux militaires sur un vol civil comme celui là, c'était très inhabituelle. Donc intéressant.
Il pénétra dans l'autre vaisseau, Yama lui emboitant le pas en espérant ne pas avoir d'autres mauvaises surprises.
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