Fille à papa
— Capitaine, je dois porter à votre attention une information importante.
— On arrive bientôt à Megalopolis, M3d1c, alors si c'est grave, annonce-le maintenant.
Au moins, on peut encore faire demi tour.
Le robot médical garda le silence avant de reprendre.
— Cela concerne la jeune Blink. Son état m'inquiète, capitaine.
— Bah! Elle est fatiguée et angoissée, c'est tout. Ca ira mieux quand elle sera de retour chez elle.
— Justement, j'ai noté plusieurs choses : d'une part, elle possède un medi-kit de soin personnel. Elle est diabétique, m'a-t-elle expliqué.
— Va falloir qu'on la ramène avant qu'elle ne soit à cours d'insuline, alors. Ce qui tombe très bien.
— Il n'y a pas que ça. Ses signes vitaux semblent altérés.
— Tu crois qu'elle est malade? Enfin, en plus du diabète, je veux dire.
—Non, enfin rien de pathologique. Pour être parfaitement exact, ses signes vitaux semblent peu à peu décliner. Je crains que... Que sont état n'empire gravement de manière significative.
Le capitaine se tut un moment, avant de reprendre.
— Ce n'est pas quelque chose dont nous sommes responsable n'est ce pas? Est ce que tu peux y faire quelque chose?
— Et bien comment dire... Elle refuse que je l'ausculte plus en détail. Si elle ne le veut pas, mon code d'éthique m'interdit de l'y obliger. En tout pas sans l'accord de son responsable légal.
— Dans ce cas, on signalera la chose à son père. Tu pourras lui proposer tes services à ce moment-là, si tu y tiens.
— Nous verrons, capitaine. Je ne peux que vous demander de faire au plus vite.
— On est pile dans les délais. Encore mieux qu'un Uber. On est arrivé.» lança le pilote à la cantonade.
La planète était visible depuis le cockpit. Même à bonne distance, on distinguait les motifs artificiels géométriques à la surface de la planète. C'était la première implantation humaine dans ce système, et la colonie s'était agrandie pour finalement recouvrir une bonne partie de la zone habitable de la planète. On avait fini par remplacé son code Omega-78 par le nom de la cité : Megalopolis. Elle possédait deux satellites, Omicron Prime et Omicron Seconde. Les astrophysiciens avaient décidément bien peu d'inspiration quand il s'agissait de nommer les planètes.
— Le laboratoire se trouve sur lequel? demanda le capitaine.
— Sur Seconde, répondit instantanément Scipio à tous le monde en même temps.»
Blink sursauta en partant les mains à sa tête, en roulant des yeux effarés.
— Oh, j'ai oublié de te prévenir... Si tu entends une voix dans ta tête, c'est parfaitement normal. Enfin, je veux dire que dans ce cas précis, ça l'est.»
Blink le regarda, les yeux écarquillés de terreur.
— Pour être exact, intervint Yamato, c'est un acronyme ; VI P.I.O pour Première Intelligence Organique. C'est un alien doté d'une formidable capacité de calcul, une sorte d'ordinateur biologique.
— C'est bon de voir que tous le monde s'en rappellent, commenta le principal intéressé.
— C'est juste notre navigateur. Il s'appelle Scipio et il est gentil. Mais un peu prétentieux. Enfin, disons qu'il sait se montrer serviable. C'est tout ce qu'il y a à retenir. Tu ne le verras pas, son espèce ne possède ni squelette ni exosquelette, il est bien à l'abri dans un caisson.
Difficile d'expliquer à une gamine que Scipio ressemblait à un tas de viscères littéralement sans queue ni tête puisqu'il n'était qu'un cerveau. Cette espèce alien avait très vite su s'entendre avec les humains à partir du moment où le glucose fut mis sur la table des négociations.
Les «cérébraux» comme on les appelait plus simplement était une espèce heureusement pacifique mais improductive et se contentait de vivre autour de plantes fournissant naturellement une molécule très proche du glucose. Mais l'arrivée des humains et du sucre bouleversa la donne et les échanges entre les espèces. Et le taux de glycémie des cérébraux.
La fillette, les yeux toujours terrifiés, garda les mains sur sa tête, pas le moins du monde rassurée par ce qu'elle venait d'entendre.
— Bref, coupa Traxton, on va arriver chez ton père. J'espère que tu es contente?»
Blink hocha la tête très solennellement avec un sourire soulagé, mais semblait rester malgré tout préoccupée. M3d1c avait raison, constata-t-il, la petite avait vraiment une mine affreuse et semblait au bout de sa vie.
— On est arrivés en zone de contact, cap'tain, annonça Jig.
— Capitaine, nous sommes pris pour cible, annonce Scipio. L'alarme de proximité vient de se déclencher. Je vous passe une communication entrante sur le canal principal.
— Ici base Bio-Eden! Veuillez décliner *immédiatement* vos noms et matricule avant de vous approcher davantage! Ceci sera notre seul avertissement. A vous!
— Charmant, le comité d'accueil de ton papa, commenta Traxton sans vraiment regarder la fillette.
— Ils doivent être un peu sur les dents, cap'tain, c'est compréhensible.
— Ici le Rodger Young, capitaine Trevor Traxton, vol non enregistré. Nous cherchons à contacter le professeur Rijn-dael. Nous gardons la position. A vous, base Bio-Eden.
— Bien reçu, Rodger Young. Et pourquoi voulez-vous contacter le professeur, Capitaine Traxton? A vous.
— Je crois que la fille du professeur a été enlevée. Nous sommes venus la lui ramener, saine et sauve. A vous.»
Enfin, saine et sauve, ce point restait en suspens, mais ce n'était sans doute pas la chose à annoncer dans une communication radio.
— Sa... Fille? Je ne suis pas sur de comprendre votre requête capitaine Traxton. La garnison n'est pas au courant. Je me renseigne. Ne bougez surtout pas. Terminé.»
La communication était close, mais une ambiance aussi désagréable que pesante commençait à tomber sur le cockpit. Traxton pose les yeux sur Blink et, pourtant très pâle, il lui sembla qu'elle rougissait.
— J'ai l'impression que tu ne nous as pas tout dit, pas vrai, Blink? avança Traxton avec nonchalance.
— Dans quels ennuis tu nous as fourrés?
La petite baissa les yeux, tenta d'écrire quelque chose sur sa palette, mais fini pas y renoncer, abattue. Elle alla s'installer sur un fauteuil et se mit à sangloter.
Réaction pour le moins inattendue qui prit le capitaine de court.
— Scipio? appela-t-il mentalement, qu'est ce que je suis censé faire, là tout de suite maintenant?
— Deux options, capitaine : ou bien la flanquer dans le sas et l'expulser dans le vide spatial et fuir très vite ou... Attendre. Tout simplement.
— Attendre? La première option me semble un peu excessive mais...
— Pourtant, c'est sans doute la plus prudente et la plus logique. Vous laissez vos affects obscurcir votre jugement. Et pour ce qui est d'attendre, n'est ce pas ce qu'on vous a demandé de faire? N'ajoutons pas des fautes supplémentaires à vos erreurs passées, capitaine.
— Mes affects vont très bien, je ne te permets pas!
— Dois-je vous rappeler ce qui s'est passé sur l'astéroïde?
— J'ai dit –et je répète– que je ne veux plus en parler!
— Capitaine? appela timidement le gynoïde.
— Quoi?
— La petite pleure et vous avez les yeux dans le vague depuis cinq bonnes minutes alors je me demandais si vous n'étiez pas en train de l'effrayez...
— A mon avis, Yam, ce n'est pas le regard vide du capitaine qui fait pleurer la gosse, et je ne penses pas non plus que notre Scipio soit si effrayant que ça.» commenta Jig.
— N'étant pas un être biologique, je suis complètement étrangère à ce genre de procédés. La question reste pendante : que fait-on?
— Prendre la fuite me semble une bonne idée, lança Jig, sombrement.
— Et risquer de se faire descendre? Et pire repartir plus pauvre que nous l'étions en arrivant?
— Vaut mieux tenter sa chance que de rester ici à attendre bien gentiment les missiles à guidage laser.
Ils ne pouvaient pas partir comme ça. Se débarrasser de la gamine était tout simplement exclu. Elle avait pourtant réussi à les berner, mais jusqu'à quel point? Pour l'instant, elle séchait ses larmes en reniflant bruyamment et semblait vraiment sincère dans son désespoir. Ils avaient en plus buter deux militaires, déserteurs ou pas, ça restait des crimes majeurs.
La fédération tenait à punir elle-même ses déserteurs, mais... Il avait compulsé les listes de recherches pendant le trajet de retour, et il n'avait pas vu de déserteurs répondant au nom de Mænder Saï ou Natassja Stalmers. Autrement dit, ils avaient sûrement tué des militaires en mission, ce qui faisait d'eux des criminels passibles de tir à vue. Si on parvenait à remonter jusqu'à eux. Et si c'était le cas, ils étaient tous dans la–
— Capitaine? l'interrompit Scipio. Une communication entrante pour vous de Bio-Eden.
Traxton déglutit, avant d'arborer un sourire, et de se redresser fièrement.
— Vous voyez? Aucune raison de s'inquiéter!»
Jig lui lança un regard lourd, de même que Yamato qui darda sur lui son regard de cobalt intense. Blink, quant à elle se redressa en essuyant son visage sur sa manche.
— Ici la base Bio-Eden, lança une voix criarde. Je suis le professeur Tobias Rijn-dael. Je vais vous demander de vous poser sur la plateforme dont je vous envoie les coordonnées.
— Mais c'est un plaisir, professeur!
— Ne faites pas attention aux sentinelles de la garnison, la fédération insiste pour que j'ai des gardes du corps. Ils ne sont pas au courant de mes affaires. Amarrez-vous et nous discuterons en privé. J'ai hâte de revoir ma fille. Rijn-dael, fin de transmission!
— Ce mec est bizarre, commenta Jig.
— Tatata, rien du tout! l'interrompit Traxton, tu parles quand même du père de Blink! Alors tu vas enfin pouvoir rentrer chez toi!
Blink eut l'air effarée de surprise et se fendit d'un petit sourire timide.
Et nous, on va enfin savoir qui tu es vraiment et ce que tu nous caches, lâcha Scipio de sa voix mentale.
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