Transactions
L'approche ne posa pas de gros problèmes de pilotage ou autre ; la plateforme d'amarrage était illuminée comme une machine à sous, et il semblait bien qu'une silhouette les attendait déjà.
— Ben, c'est plutôt bon signe, vous pensez pas?» annonça Traxton.
— Ouep. Comité d'accueil restreint, ça me va. Je suis un grand timide.
— Jig, reste à l'affût, prêt à redécoller en cas de grabuge. Yama, avec moi, et M3d1c aussi, tant qu'on y est. On sera pas trop de trois et j'ai besoin de tes compétences médicales.
— A vos ordres, capitaine!» répondirent les deux robots à l'unisson.
Descendant de bord, ils furent accueillis par un homme au comportement guindé, au ton ampoulé et aux manières amidonnées.
— Le Pr. va vous recevoir dans le petit salon, si vous voulez bien me suivre.»
Alors que l'homme tourna les talons, Traxton en profita pour regarder plus en détail la mise de l'employé. On était jamais trop prudent. Il aurait très bien pu cacher une arme, ou n'importe quoi d'autre. Ce qui attira l'attention du capitaine, pourtant peu observateur, ce fut la tenu du sbire. Ses vêtements étaient fait d'une matière bizarre, avaient une texture étrange, quelque chose de très organique et très perturbant. Il n'avait encore jamais vu ce genre de chose auparavant.
Original, ça. Faudra que je me mette à la page, un de ces jours.
— Par ici, capitaine» fit-il avec une certaine condescendance en montrant d'un geste théâtrale la porte.
— Suivez ce couloir, et n'ayez aucune crainte, la base est intégralement sécurisée.»
Traxton ne put s'empêcher de penser que –justement– il y avait toutes les raisons d'être deux fois plus prudent.
L'homme s'inclina avec raideur avant de s'éclipser.
— Qu'a-t-il voulu dire par "sécurisée"?» demanda-t-il ouvertement à la gosse, qui semblait dubitative.
Blink eut un sourire crispé, et ouvrit la voie, avec une confiance qui forcerait le respect si ce n'était la primeur de la jeunesse qui lui faisait ignorer le danger.
Une fois le corridor enfilé, Blink, Traxton, Yamato et M3d1c pénétrèrent dans un salon pour le moins étrange. Une longue plante semblable a un ficus trônait dans un coin. Sauf que la plante n'étais pas verte, mais d'un rose pâle déroutant.
Un fauteuil d'honneur trônait devant une table basse flanquée de deux canapés tout aussi bizarre. La pièce était dans les tons saumon, et la lumière semblait pulser, un peu comme un néon. La texture du canapé ressemblait à du cuir capitonné, et des yeux étaient sculptés dans les montants.
— Capitaine, déclara Yamato, je crois que nous ne sommes pas seul.
— Je confirme cet avis, capitaine. Le mobilier est... vivant.
— Pas exactement.» lança un voix claironnante.
Un homme grand, mince et anguleux venait d'entrer dans le salon de réception. Il portait une longue veste d'intérieure noire et portait sur l'équipage un regard dans le même ton. Un mèche de cheveux noir lui barrait un coté du visage osseux.
— Professeur Rijn-dael, je présume?» tenta bravement Traxton, la main tendue.
L'homme se contenta de regarder brièvement la main et de l'ignorer superbement avant de frotter machinalement les siennes, un sourire semi-circulaire dessiné sur son visage asymétrique.
— C'est bien moi, en effet. Et concernant l'objet de votre visite...
— Votre fille kidnappée?» rappela Traxton, bien plus vexé par le snobisme que par la feinte ignorance du scientifique.
— Voilà. Et bien merci à vous de m'avoir ramené Ducka–
— Blink.» l'interrompit Yamato.
Rijn-dael toisa le gynoïde, offusqué d'avoir été interrompu de la sorte.
— C'est ainsi que sa mère et moi nous l'appelions alors qu'elle n'était qu'un bébé. Une chose qu'une machine ne peut pas comprendre, de toute évidence.»
Il tourna le dos à la garde du corps pour ne se concentrer que sur le Capitaine.
— Donc, Blink, installe toi et vous aussi, prenez place, nous avons à parler.
— Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que ça signifie.» commença le capitaine.
— Vous êtes un mercenaire, n'est-ce-pas? J'ai une mission à vous proposer, contre une rémunération substantielle. Et cela concerne justement ma fille.»
Il montra d'un geste dramatique la gamine.
— Je vous écoute, même si je ne vois pas bien le rapport.
— En réalité, ça concerne son enlèvement et les circonstances dans lesquelles vous l'avez retrouvée. Je ne pourrais jamais assez vous remercier pour votre aide fortuite. Mais le hasard fait parfois bien les choses.
Il s'interrompit quelque instant, le temps de faire quelque pas, les mains jointes.
— Je vais devoir tout vous expliquer un peu depuis le début, M. Traxton. J'ai commencé à créer une ligne de vêtements et de mobiliers en matières organiques, vous savez, pour pallier le manque de matériau. Cette pénurie qui nous impacte tous.
— Quand vous dites matières organiques, vous voulez dire...?
— Ce que vos machines ont constaté par elles-mêmes. Ce magnifique canapé sur lequel vous êtes assis est en vraie peau. Notez comme elle est soyeuse! C'est une créature que j'ai bio-ingéniée spécialement à cette fin. De même que cette plante.»
Attends, quoi??
En la regardant plus en détail, le capitaine s'aperçut avec horreur et dégoût que les tiges évoquaient des veines rigides, et que la plante en peau possédait deux globes oculaires comme deux petits litchis répugnants.
— Et mon fauteuil, ça va sans dire, est ma plus grande réussite» déclara-t-il, en caressant langoureusement l'accoudoir, ce qui le fit ronronner.
— J'ai déposé les brevets et ma réussite audacieuse a suscité une certaine... Jalousie.
— Très compréhensible.» commenta sobrement Traxton en restant le plus possible au bord du canapé.
— Je ne vous le fais pas dire. C'est pour cette raison qu'une certaine Amani Dio'kro a commandité l'enlèvement de la petite pour m'obliger à retirer mes brevets. Vous imaginez la chose?
— Je croyais que c'était une histoire de rançon, Professeur.» déclara Yamato, ses yeux bleutés rivés dans ceux du professeur.
Il haussa un sourcil indigné.
— C'était bien ça l'objet de la rançon. Et arrêtez de prendre la parole tant qu'on ne vous la donne pas. Capitaine, éduquez vos machines enfin. Bientôt, elle voudra prendre votre place.»
Il s'interrompit, se triturant nerveusement les doigts.
— Bref, je vous demande de me débarrasser de cette importune. Avons nous un accord?
— Vous voulez qu'on fasse disparaitre cette Dio'kro? Définitivement?
— Si c'était pour l'envoyer dans une autre galaxie, ce serait fait depuis longtemps. Bon, vous allez me la trucider oui ou non?
— Ma foi, à propos de la rémunération et concernant le paiement...
— 10'000 crédits fédéraux. Soit deux ans de salaires pour un ouvrier standard. C'est plus qu'honnête comme proposition.
— Justement non, coupa Yamato, intransigeante. Vous devez au moins doubler la mise concernant les frais engagés et le prix de notre totale discrétion dans cette affaire. C'est très risqué pour tous le monde. si vous voyez ce que je veux dire.
Le capitaine se félicité d'avoir acquis le module «négociations» dans la programmation de Yamato. Dire qu'il avait hésité avec le module «gogo-dancing».
— Eh bien soit! 20'000 ₡ et c'est ma meilleure offre!»
Estomaqué, Traxton se leva d'un bon.
— Marché conclu! Nous nous mettons en route. Mais il nous faut plus de précisions.»
Le professeur se rassit, en reprenant son calme apparent. Il sortit de sa manche un petit appareil qu'il tendit à Traxton.
— Vous trouverez les coordonnées ici. Cette... criminelle loge dans un hôtel du spatio-port, ici même. C'est là qu'elle attend sa rançon, comme dit votre robot. Transmettez lui bien le bonjour, de ma part.
— Nous n'y manquerons pas! Mais une dernière chose : comment la reconnaitrons-nous?
— Très simplement. Vous trouverez un fichier avec sa photo dans le pad.»
Il désigna l'appareil que tenait Traxton.
— Bonne chance, capitaine. Ne me décevez pas.»
Il se leva, leur signifiant par là leur congé. Le robot infirmier s'avança sur ses quatre jambes, les bras repliés sur son brancard ventral intégré qui ressemblait à une pièce d'armure.
— Il faut soigner Blink immédiatement, professeur. Elle ne va pas bien.»
La voix de M3d1c surprit tous le monde.
— Bien sûr. Viens avec moi, ma petite chérie, je vais t'examiner dans le détail.»
Alors que le professeur entrainait Blink avec lui, elle jeta un dernier coup d'œil vers le capitaine, l'air terrifié. Le père et sa fille disparurent derrière une porte valvulaire vascularisée.
— Scipio, qu'est ce que tu en penses? On est d'accord, ça pue la merde, pas vrai?
Le silence lui répondit. Soit le navigateur l'ignorait, soit il ne pouvait pas l'entendre.
— Capitaine, permettez moi de vous faire part de quelques doutes et objections concernant notre nouvel ordre de mission et ce contrat pour le moins très discutable.» commença Yamato, le cobalt de ses yeux irradiant ceux de Traxton.
— Attends, Yam, je n'arrive pas à contacter Scipio par télépathie. Comment ça se fait?
— Je pense avoir la réponse, capitaine. Nous sommes dans une pièce organique et cela cause trop d'interférences avec les ondes cérébrales présentes.
— Tu veux dire que ces... Trucs pensent?»
La capitaine regarda le mobilier, la décoration, même le lustre, tout semblait être vivant.
— Je crois que je vais vomir... Sortons d'ici!»
Il finit effectivement par vomir, mais dans un vrai et authentique pot de fleur végétale. Il s'en félicita intérieurement mais ce constat ne le réjouit pas pour autant.
— Capitaine Traxton? Ou étiez vous? Vous avez purement et simplement disparus!
— Scipio?»
Dans son soulagement, il parla à voix haute s'en même s'en rendre compte.
— On a rencontré Rijn-Dael et ce mec est complètement barje. Même si il paye bien.»
— Que vous a t il donc proposé pour vous mettre dans cet état de trouble extrême, Capitaine?
Traxton hésita alors que M3d1c et Yamato le regardaient fixement, dans l'expectative. Qu'y avait il de pire dans tous ça? L'assassinat d'une personne commandité par une personnalité officielle, bien en vue ou le fait que cette même personne créait des êtres vivants servant de mobiliers?
— Scipio, mon vieux, j'ai une vraie question pour toi : une vie humaine, ça coute plus ou moins cher qu'une table basse?
— Très bonne question Capitaine, même si je ne sais pas d'où elle sort. Je dirais que ça dépend de la table basse. Ou de l'humain.
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