L'«Overbook Hotel»
— C'est une sacrée somme, tout de même. Vous croyez qu'il tiendra parole?»
Le Capitaine semblait chercher toutes les excuses possibles et imaginables pour se défaire de son contrat et de son client pour le moins encombrant.
—Capitaine, c'est 20'000 ₡. De quoi rembourser la moitié du crédit pris sur le Rodger Young.
— Je savais que tu dirais ça, Scipio, je voulais l'avis des autres. Alors, vous autres?»
De mauvaise humeur car peu enclin à prendre une aussi grave décision, Traxton se reposait une fois de plus sur son équipage. Il lui était arrivé de devoir tuer des gens, mais jamais sans raison ni nécessité. Pour lui, ce cas était différent et sa conscience le tourmentait.
— Bah, pour moi, c'est vraiment pas le bon plan, Cap'tain. vous auriez jamais dû accepter ça.»
Jigsen se curait les ongles de pieds avec la lame récupérée sur le cadavre de Stalmers. Yamato intervint.
— Capitaine, je suis assez d'accord avec Jig. Et j'en ai déjà parlé avec M3d1c. Nous pensons que non seulement c'est une très mauvaise idée, mais en plus, nous pensons qu'on a livré une enfant dont on ne sait strictement rien à un dangereux sociopathe.
—Vous parlez dans mon dos, maintenant? C'est nouveau, ça.»
—Pas vraiment, Capitaine. On le fait tout le temps en fait, quand vous n'êtes pas là ou que vous dormez. Ou que vous êtes aux toilettes.
— Et d'abord, sur quoi tu te bases pour dire que c'est un sociopathe? M3d1c n'est même pas programmé pour la psychiatrie! Ni la psychologie, d'ailleurs.
—C'est juste, Capitaine. Toutefois, son mobilier m'a donné quelques indices concernant le peu de respect qu'il accorde à la vie en générale. J'ai extrapolé ensuite celle qu'il accordait à la vie humaine plus spécifiquement lorsqu'il a planifié le meurtre d'un autre être humain.»
Traxton s'interrompit. Heureusement qu'il était entouré d'un équipage qui réfléchissait plus vite que lui. Soudain, une idée lumineuse lui traversa l'esprit.
— On n'a qu'à le faire chanter! Il nous a engagé pour commettre un crime de sang! On devrait pouvoir le faire cracher au bassinet avec ça.
—Non. Nous n'avons aucune preuve. Si à ce détail ennuyeux mais légalement incontournable on ajoute sa crédibilité et sa notoriété, je dirais que dans deux jours, c'est le peloton d'exécution.»
Encore un fois, le capitaine croisa rageusement les bras en tournoyant sur son siège. Ils avaient réponses à tout. Sauf concernant la solution à apporter au problème.
— Bon, dans ce cas, voilà ce qu'on va faire. On va se barrer très loin en tâchant de se faire oublier.
—C'est un peu la défaite, Cap'taine.» ronchonna le pilote, en se curant les dents.
— Pourtant, vous aviez eu cette excellente idée, capitaine.» Yama regarda le reste de l'équipage d'un air entendu.
— Ah bon?
—Scipio s'en souvient certainement puisque vous lui en avez parlé. N'est-ce-pas?»
Le gynoïde s'adressait au boîtier électronique servant d'interface de communication avec le cérébral. Ce qui lui donnait toujours l'air bizarre d'une personne parlant avec un kit main libre.
—Ah oui, cette idée-là. En effet, Capitaine, elle était brillante. Vous aviez suggéré l'idée d'aller voir cette Amani Diok'kro pour la confronter et en apprendre un peu plus. Mais Jigsen n'était pas d'accord.
— Hein? De quoi?»
Yama leva un index autoritaire sur le pilote outré.
— Son idée était bonne. Je ne sais pas pourquoi tu l'as contredit.»
Comprenant à retardement, Jig referma sa bouche et ravala sa réplique cinglante et le juron pendu à sa langue.
— Ouais. C'est vrai, Cap'tain. Votre idée était vachement bonne, en vrai.»
Traxton sourit de fierté, les dents étincelantes.
— C'est pour ça que je suis votre capitaine, les enfants.
—Et à propos d'enfant, on va sauver Blink, comme prévu? En la ramenant à sa mère, par exemple.» demanda Yama d'un ton faussement innocent, alors que M3d1c fixait le capitaine de ses yeux globuleux.
Déglutissant péniblement, il fit mine de réfléchir.
— Oui, je pense qu'on peut faire ça. Mais pas question de la prendre à bord, hein? Elle reste sa fille, après tout.
—Concernant le lien de filiation entre ces deux humains, Capitaine, je dirais que leurs ADN sont à peu près aussi proches entre eux que le vôtre l'est de cette banane.» affirma M3d1c en sortant le fruit avec à propos de son compartiment embarqué.
—Attends, tu veux dire qu'ils nous auraient menti tous les deux? File moi cette banane.»
Le docteur robot la lui tendit de son bras articulé sous le regard envieux de Jig. Il raffolait des bananes. Yamato garda un long silence avant de lancer vers l'intercom.
— Explique lui, Scipio. Ca ira plus vite.
—Je veux bien, approuva le capitaine. Prête moi ton couteau Jig, cette banane n'est pas assez mûre, j'arrive pas à l'ouvrir.»
—C'est pourtant simple, Capitaine. Cette petite fille n'a clairement aucun lien de parenté avec cet homme. Pourtant, c'est vers lui qu'elle nous a guidé. Pour quelle raison? Plus intéressant encore, pourquoi le professeur a joué le jeu alors qu'il aurait pu nous faire abattre quand nous étions des cibles faciles en orbite géostationnaire?
Mâchonnant ses rondelles de bananes, il se contenta de hocher la tête. Avalant sa bouchée, il pique une nouvelle rondelle à la pointe du couteau.
— Vous avez bien saisi le problème. Donc, je pense que je sais ce que nous allons faire. On va trouver cette Amani et ne surtout pas la tuer. J'aimerais beaucoup entendre ce qu'elle a à nous raconter.
—Un plan brillant, Cap'taine, comme toujours.» commenta Jig, qui soupira en suivant des yeux le trajet de la dernière rondelle de banane.
Ils examinèrent le pad confié par le professeur pour y trouver les informations nécessaires. Il y en avait étrangement très peu. Un nom, un prénom, une photo et l'adresse de l'hôtel de résidence de la dame en question. L'Overbook Hotel.
D'après la photo, il s'agissait d'une femme métisse, entre vingt-cinq et trente ans au sourire discret, le regard vif et pénétrant.
— C'est un peu succinct, non? Scipio, tu as des infos dans les registres civils sur cette femme?»
—Assez peu, Capitaine. D'après les diplômes officiels répertoriés, elle a étudié au STI et s'est très bien classée. Elle est orpheline, donc pas de traces d'elle avant et plus aucune trace après l'obtention de son diplôme en bio-ingénierie sociale.
— Je savais même pas que ça existait, tiens.»
Les robots se regardèrent.
— C'est une discipline bien spécifique, Capitaine, commenta M3d1c, et si on a perdu toute trace d'elle après son diplôme, il n'y a pas beaucoup d'explications possibles.
—Elle a prit un petit job de merde pour payer ses études ruineuses et a fini par faire du chantage à un homme aussi dangereux que richissime?
—En effet, Capitaine, c'est malheureusement une hypothèse tout à fait plausible.
—Malheureusement?
—Elle n'aura plus rien à perdre si c'est le cas et nous devrons par conséquent agir avec précautions.»
Yamato sortit aussitôt son pistolet pour en vérifier le bon fonctionnement alors que le F.S.S Rodger Young faisait route vers la périphérie de la petite planète satellite. Grâce aux coordonnées, ils trouvèrent sans aucune difficulté l'Overbook, hôtel miteux dans lequel logeait Diok'Kro.
Le capitaine avait décidé dans un premier temps d'observer quelques heures les allers et venues de leur cible en cherchant un angle d'approche pacifique mais musclé. Mais il n'y avait rien de bien extraordinaire dans le quotidien de cette femme.
Elle n'avait vu personne, n'était sortie que très peu et semblait privée de tout contact extérieure. Elle demeurait ici complètement isolée.
— Bon, on va pas l'observer là pendant des semaines. Je pense qu'on en a assez vu.»
Yamato hocha la tête, alors que sa rallonge audio-phonique s'enroulait derrière son oreille. Un vrai miracle que ce vieux gadget servît encore à quelque chose.
— Elle n'a pas appelé la réception pour se faire livrer son plat. Nous ne serons pas dérangés lors de notre entrevue.
—M3d1c, tu restes derrière moi, au cas où, comme d'habitude.
—Pas de problème capitaine. D'ailleurs, je tiens à vous rappeler que j'ai toujours votre pommade p–
—Tatata, c'est pas le moment, on a une suspecte à interroger. En route!»
Yamato et Traxton étaient les plus discrets. Leur mission était donc d'ouvrir la voie. Jigsen et M3d1c devait rester en renfort derrière car l'un était tout simplement impossible à cacher vu son gabarit et l'autre impossible à faire taire. Les quatre pattes robotiques n'y changeait rien, sa vie en dépendrait que M3d1c serait purement et simplement incapable de faire une chose aussi triviale que marcher silencieusement. Il brinquebalait sans cesse.
— Tu la vois, Yam?
—Oui, Capitaine. Elle revient avec sa pizza tomate poulet ananas et poivrons.
—Parfait. On va mettre un terme à ses activités criminelles!
—Elle n'a déjà plus rien pour faire chanter le professeur.
—Non, je parlais de la pizza, moi! Quel espèce de tordu mange un truc pareil?
—...»
Ils prirent tous les deux l'escaliers de service. L'hôtel était désert. Même la réception était vide. L'endroit sentait la misère et le désodorisant bon marché. D'après leur espionnage, il savait que Diok'Kro logeait au cinquième étage, chambre 501.
Longeant le corridor à la moquette usée et brûlée par endroit pour des raisons qu'il valait mieux ignorer, ils s'approchèrent silencieusement de la porte de leur victime.
— Je peux vous aider?»
Sursautant, Traxton se retourna sur ce qui semblait être la personne chargée de faire le ménage. L'alien était parfaitement silencieux, et d'une incroyable furtivité.
Cette espèce alien ferait un bibliothécaire redoutable : circonspect et invisible.
— Oh, j'ai perdu les clefs de ma chambre, et je me demandais si...»
L'alien le regarda de ses yeux multiples. Impossible de déchiffrer une quelconque expression sur cette face pour le moins perturbante.
— Ecartez-vous.»
D'un geste, la créature ouvrit la porte de la chambre 501 en un éclair, laissant complètement éberlué le capitaine.
— Et bien, m–merci, monsieur-dame?» hasarda Traxton, encore un peu confus.
—A votre service. Profitez bien de votre séjour avec votre compagne, cher client. Nos lits sont les plus confortables, garantis sans parasite!»
Le temps de dire merci, l'alien avait déjà filé comme le vent. Ils entrèrent tous deux dans la chambre, dans le plus grand silence. La pizza intacte refroidissait sur une table tâchée. On entendait clairement l'eau couler dans la pièce d'â côté.
— Et bien, ma chère Yamato, il ne nous reste plus qu'à la cueillir à la sortie de sa douche. C'est presque trop simple. On dirait bien que la chance est avec nous.
—Ce serait bien la première fois, Capitaine.» répliqua sombrement le gynoïde, très sibylline.
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