Le chaînon manquant
Amani Diok'kro s'était habillée, avait bouclé sa valise et disparu avant même que le Rodger Young eut reprit de l'altitude. Un peu triste de cette précipitation, le capitaine essayait de penser à la suite des évènements.
Il n'y avait pas beaucoup de temps de trajet jusqu'à la demeure de professeur, donc pas vraiment le temps d'élaborer un plan très abouti.
— On rentre, on le menace de divulguer la vérité s'il ne nous paie pas et qu'il ne relâche pas la gamine. Simple et efficace. Vous en pensez quoi?» demanda ingénument Traxton à son équipage.
Bien qu'il fut le seul à qui incombait la prise de décisions, il avait pour habitude de consulter les membres de son équipage. Par le passé, ça c'était avéré fort utile.
— Je ne suis pas sûr, cap'tain, commença Jig. Il a la gamine, quand même. Et d'après ce que nous a dit Diok'kro, ben... Si on exige la gamine, il va se servir d'elle. C'est garanti.
—Je suis d'accord Capitaine, annonça Yama. Votre idée est bonne, mais nous ne pouvons pas mettre en avant la petite sans la mettre aussitôt en danger.»
Trevor ronchonna pour lui-même. Amani avait disparu trop vite pour donner plus d'infos. Si ce n'était sur la dangerosité de la situation. Rijn-Daël n'avait pas hésité à se servir de lui pour enfumer Diok'kro et tous les faire tuer. Et ça, clairement, il allait le payer. D'une manière ou d'une autre.
— Dans ce cas, nous aurons impérativement besoin de M3d1c.» La capitaine se tourna vers l'infirmier robotique.
— Prépare des sédatifs et ce qu'il faut de fourniture médical. Pense à synthétiser de l'insuline, j'ai dans l'idée qu'on pourrait en avoir besoin.
—Entendu, Capitaine. Comptez sur moi.
—Dans ce cas, on va aller le voir, directement en faisant l'innocent. Il est peut-être même déjà au courant qu'on est toujours vivant. Je pense que l'effet de surprise est inexistant.» décida le capitaine.
Au culot, à l'ancienne.
—J'approuve la décision, Capitaine. Toutefois, je ne pourrais pas beaucoup vous aider.
—Tu nous aides d'habitude, Scipio? J'ai dû louper cet épisode mémorable dans lequel tu fais une prise de catch à un mercenaire zentradien.
—Très drôle, Capitaine. Vous savez très bien de quoi je veux parler. Je ne pourrais pas le faire à cause de ses horribles créatures et des interférences cérébrales qu'elles génèrent.
— Yamato, active ton mode sentinelle. Il ne faudra pas lui laisser une seule chance de nous avoir.»
La gynoïde braqua son regard bleu intense sur le capitaine.
— Il ne vous arrivera rien, Capitaine.
—Et ta blessure?»
Il avisa l'orifice au bord fondu sur le côté du ventre du robot. Le trou restait très impressionnant : un humain n'y aurait pas survécu.
— Je pourrais souder une rustine, mais je n'ai rien qui fasse l'affaire. Il me faudra des pièces détachées.
—Pas la peine. Attrape ça.»
Jig lui lança l'arme rouge. Tous les regards se figèrent sur l'artefact.
—On va vraiment sacrifier une arme pareille alors qu'on va en avoir besoin?
— Jig a raison, Scipio. Yamato est bien plus importante et on a pas besoin de ce truc. L'orichalque est ce qui se fait de mieux et c'est accessoirement le seul métal disponible qu'on peut utiliser. Donc, on démonte le fusil d'assaut.»
—Une sorte de retour karmique des choses, je suppose.
—Oui, y a ça, aussi. Mais c'est surtout une arme appartenant au surplus militaire. Elle est sans doute gravée, immatriculée et certainement volée.
—Argument pertinent Capitaine. Nous n'avons pas besoin de sources d'ennuis supplémentaires.
Le trajet retour vers la villa-laboratoire du professeur fou se fit donc dans le calme très relatif du capitaine qui sifflotait La Cucaracha en astiquant son pistolet pendant que Jig se livrait à un rafistolage soudage de fortune sur Yamato qui endurait stoïquement l'opération.
— Pense à nous dire quand on sera arrivés, Scipio.»
On y est depuis quinze minutes, Capitaine.
—Bah merci, t'aurais pu le dire avant!
—Nous volons en dessous des radars. J'attendais d'être à portée de transmission pour que tous le monde puisse profiter de votre talent de chant.
La résidence était sous étroite surveillance, il l'avait bien remarqué la première fois. Et sans doute sous protection des militaires. L'intrusion était bel et bien impossible.
— Ici le Rodger Young. Demande de contact urgent avec le professeur Rijn-Daël. Priorité absolue! Terminé.»
—Je ne pense pas qu'il mordra à l'hameçon capitaine.
Ils furent cependant tous surpris d'entendre la voix très reconnaissable du Dr Frankenstein de la bio ingénierie génétique.
— Vous voilà enfin! Je vous attendais. Venez vous arrimer à la baie numéro 4. Terminé!»
L'écho de la voix nasillarde s'éteignit, mais pas les lueurs interrogatives dans les yeux de l'équipage.
— Bizarre. Il avait l'air pas au courant de la tentative de meurtre, hasarda le pilote, perturbé.
—Mouais. Y a p'têt un monde dans lequel tout ça n'est qu'un gros coup du hasard. Mais j'aurais tout de même beaucoup de mal à y croire, confessa le capitaine.
—Dans tous les cas, c'est utile. On peut s'approcher sans se faire tirer dessus. Je suggère que nous nous préparions, selon le plan, préconisa Yama, toujours terre-à-terre.
—Scipio, un avis sur la question?»
—Mon avis est toujours le même, Capitaine. On prend l'argent et on s'en va.
—Que tu es vénale!
—Non, pragmatique. Tant qu'on s'inquiète de ses factures, c'est qu'on est encore assez vivant pour ça.
L'endroit était bien plus grand qu'ils ne l'avaient supposé au départ. En plus du quadrilatère de bâtiments, il existait d'autres structures autour de la résidence. La baie d'arrimage n°4 faisait partie de ces extensions. Elle comportait un hangar, un local ainsi qu'un tunnel d'accès reliant l'endroit à l'immense complexe que constituait la résidence principale.
Et bien entendu, les batteries de canons turbo-laser faisaient partie de l'installation, et pas seulement de manière décorative.
—J'ai comme un mauvais pressentiment, Capitaine.
—Tout va bien se passer, arrête de t'en faire pour aucune raison.
Traxton verrouilla ses gants mécaniques et jeta un dernier coup d'œil à son équipage avant de sortir. Yama scannait la zone, Jig ajustait ses cartouchières et M3d1c finissait de remplir sa réserve de seringues.
Ils franchirent la porte pour pénétrer dans le tunnel d'accès. Un long couloir à la lumière blanche éclatante les amena dans une vaste salle également blanche. Devant eux, une porte blindée solidement fermée au dessus de laquelle une fenêtre annonçait une salle de contrôle.
Bien entendu, sitôt entrés, la porte se referma derrière eux avec un bruit sec pendant que plusieurs verrous scellèrent la porte.
— Euh, Cap'tain, sans vouloir être alarmiste, je dirais que ça m'inspire pas des masses.»
Le pilote depuis sa haute stature pouvait inspecter bien plus efficacement la zone. La porte d'en face s'ouvrit.
— Blink?»
La gamine s'avança, hésitante. A peine fit elle quelque pas que sa porte se referma à son tour. Elle semblait encore plus malade qu'auparavant, en plus d'afficher une expression difficile à comprendre. Au moins, elle avait toujours sa tablette, même si elle ne semblait pas avoir très envie de s'en servir.
— Vous voici de retour, Capitaine Traxton. Avec votre équipage au grand complet, cette fois. Soyez tous les bienvenus dans ma salle des Spécimens.»
Tous levèrent la tête vers la fenêtre, au dessus du sas d'accès. Le professeur était là, les toisant avec un mépris d'autant plus écrasant compte tenu de la situation. Mais il n'était pas question pour le capitaine de se laisser faire. Il comptait bien utiliser toutes ses cartes. Et même les as dans ses manches. Il sortit de sa poche la clef pour s'assurer que le professeur la voit bien depuis son perchoir.
— J'ai tes infos, Tobias. Attention à ce que tu vas dire et encore plus à ce que tu vas faire!
—Comment OSEZ-VOUS!
—Mec, on est en relation d'affaire. Et tu as essayé de nous tuer. On est devenus très proches, il me semble. Tu veux tes infos? Envoie le fric. Et Blink vient avec nous.»
Le professeur afficha un sourire patelin, visible même malgré la distance.
— Il y a eu de nouveau, j'en ai bien peur Capitaine. Je change les termes du contrat. Vous repartirez avec l'enfant de toute façon. D'une manière ou d'une autre.
—J'aime pas comment il dit ça, cap'tain, confia Jig à son supérieur en aparté.
—Moi non plus, j'ai l'impression qu'on a loupé un truc.» commenta-t-il à voix basse.
Traxton fit signe à Blink de venir vers eux, mais la gosse s'immobilisa, le dévisageant avec terreur. Yamato décida de prendre la suite de la négociation.
— Le Docteur Diok'kro nous a tout raconté sur le projet C.H.I.L.D. S'il devait nous arriver malheur à nous ou à Belinda, vous serez immédiatement incriminé, professeur. Nous avons pris nos dispositions pour que les informations soient très largement divulguées.»
Rijn-Daël ouvrit la bouche de consternation, avant de la refermer, avec un petit sourire narquois.
— Je ne sais pas ce qu'Amani vous a raconté, mais de toute évidence, elle ne vous a pas tout dit sur le projet de mon sournois et cachottier collègue, August Bjornholm. L'Etat major l'a choisi lui plutôt que moi. Ce qui est regrettable. Tout ce que je voulais, c'était une copie de ses dossiers d'études.
—Et nous l'avons ici, Tobias. On devrait pouvoir trouver un accord, raisonnablement satisfaisant pour tous le monde?
—Non, je ne crois pas. vous m'avez déjà donné tout ce que je voulais. Quoiqu'il y ait sur cette clef de données, je peux très bien m'en passer. Vous m'avez livré un sujet expérimentale sans même vous en apercevoir.»
Il montra au capitaine une flasque de verre composite contenant une fluide rouge. Blink baissa les yeux.
— Mais alors, vous voulez dire que...
—Exact. J'ai prélevé des échantillons de ce spécimen. J'ai tout ce dont j'ai besoin pour faire mieux et renégocier mon avantage auprès de l'Etat Major fédérale. Mais vous ne serez plus là pour le voir.
—Vous oubliez ce qu'a dit Yamato! Si on meurt ici, tout sera diffusé!
—Alors là, je n'ai pas trop d'inquiétude à ce sujet, capitaine. Les militaires ont su étouffer bien pire scandale que ça, entre la guerre civile sur Omicron-438 ou le blocus de la Silicon Planet... Et encore, au cas très improbable où vous n'êtes pas en train d'essayer de bluffer.»
Blink semblait éperdue de désespoir. Elle n'était qu'un spécimen, une création? Dans quel but?
— Sur ce, aussi divertissant que ce fut pour moi, je vais vous présenter ma dernière création, en avant première!
—Une buffet à volonté? Une table dressée?
—Non. Je vous présente Lupion. Il fait partie de mes créations dans la catégorie arme de défense domestique.»
Ils le virent se pencher et appuyer sur un bouton. Un son strident se fit entendre, alors qu'un gyrophare rouge se déclencha à l'ouverture d'une cage latérale. Un grondement sourd se fit entendre alors qu'un odeur putride vient chatouiller les narines du capitaine.
— Cette fois, ça pue vraiment, Cap'tain. Et c'est pas moi.» remarqua Jig.
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