Monstres et compagnie
Lupion était une horrible créature issue de croisements douteux, d'expériences folles et d'un cerveau malade totalement dépourvu de conscience. La créature ressemblait à un énorme chien-loup, doté d'une crête cornue sur le dos se prolongeant par un dard de scorpion. Il avait une peau lisse et lustrée parsemée de touffes de poils. Et bien entendu, il avait aussi des griffes.
— Mais c'est quoi, c't'horreur? s'exclama le pilote simiesque.
—Un peu de respect pour mon travail! Vous apprécierez la difficulté que j'ai eu à remplacer la kératine par du simili-métal! Ses griffes et ses crocs sont en silicarbure de bio-tungstène. Je dois vous avouer que je suis très excité par cette audacieuse expérience!
—Expérience? s'insurgea Yamato.
—Audacieuse?» renchérit Traxton.
La créature se jeta sur eux en sifflant. Elle ne semblait pas capable de grogner. Mais le sifflement de la créature était paradoxalement bien plus effrayant. Il donnait l'impression d'être une bouilloire oubliée sur un réchaud. Et il paraissait très improbable que cette créature fut remplie d'eau bouillante.
— Attention à sa queue!»
Trop tard. Le long appendice heurta de plein fouet le capitaine, heureusement sur le plat. Il en fut quitte pour un vol plané avec atterrissage forcé quelques mètre plus loin. Lupion poussa une sorte de ricanement en faisant claquer son dard. Cette fois, ce fut Yamato qui s'exposa pour prendre le coup à la place du capitaine. Solidement campée au sol, elle absorba le choc.
— Yama!
—Aucune inquiétude capitaine. Le venin est organique, mon intégrité structurelle n'est pas compromise.»
Elle fut interrompue par un soupir exaspéré du professeur.
— Un peu de coopération pour mes essais! Mais je note que la prochaine fois, je développerai un venin mixte!»
Ce mec est complètement taré.
Frustré par son échec, Lupion se tourna vers les autres. Il semblait en plus avoir compris qu'il ne devait s'attaquer en priorité qu'aux créatures organiques. Et son instinct si dégénéré fut-il lui commanda d'attaquer la créature la plus faible à sa portée.
Blink.
Le capitaine le comprit instantanément en voyant Lupion faire volte face.
— M3d1c! Protège la gosse, on va l'occuper!»
Sans réfléchir, il empoigna à bras le corps la queue de Lupion. Ses bras mécaniques lui permettaient une solide préhension et il espérait détourner le monstre de la gamine.
— Qu'est-ce-que vous attendez là? La photo trophée? Tirez, merde!»
Jig et Yama obéirent derechef. Les tirs de Yama était précis et chirurgicaux et ceux de Jig, bien plus nourris mais brouillon. Seulement, dans les deux cas...
— C'est parfaitement inutile! Je l'ai équipé de couches de dermes épais. Les armes conventionnelles ne peuvent pas percer sa peau!»
Merci du tuyau, connard.
— Yam, t'as des munitions spéciales chargées?
—Oui. Une seule, Capitaine. Les autres balles n'iront pas.
—Pas grave, ça suffira! JIG! Avec moi!»
Relâchant la queue de la créature qui se débattait comme un serpent, Traxton se recula d'un bond pour rejoindre son pilote, occupé à recharger son arme. Un violent et rapide coup de queue dévastateur les coucha tous les deux, envoyant valdinguer l'arme du pilote dans les airs, hors de portée.
La créature était très intelligente et rusée, par-dessus le marché. Une fois cette menace écartée, elle se reconcentra sur le robot infirmier et la fillette, en découvrant ses doubles rangées de crocs rutilants.
— A terre!»
La mise en garde du gynoïde fut aussitôt suivie d'effet. Son bras-canon déployé pointé sur la créature, elle tira.
Il survint alors plusieurs choses simultanément.
Dans un premier temps, ils découvrirent que Lupion possédaient de toute évidence une vision périphérique élargie et que son cerveau était capable de réagir aussi vite qu'un projectile d'arme à feu. Il fouetta d'un mouvement rageur de sa queue la balle perforante et la dévia, faisant éclater le double-vitrage de protection derrière laquelle se tenait le professeur. Il vira au livide en constatant les dégâts.
— Bon ça suffit, j'en ai assez vu. On peut mettre fin à l'expérience.
—Hein? Mais je croyais que vous vouliez nous tuer!
—Et je n'ai pas changé d'avis. Mais je vais aussi me débarrasser de mon cobaye, je n'en suis pas satisfait. Adieu, donc.»
Il pressa un bouton, et le capitaine comprit alors pourquoi ça s'appelait la salle de Spécimens. C'était une salle de test et d'observation. Et donc équipée pour neutraliser une menace jugée hors de contrôle.
Les murs se mirent à bouger. Ils étaient dans un compacteur géant et ils allaient tous mourir écrabouillés.
— Je suis désolée, capitaine. J'aurais dû anticiper.
—Pas grave, Yam. On pouvait pas deviner. Dis, tu trouves pas ça bizarre qu'il se mette à flipper comme ça, juste maintenant?
—Si. Rien d'anormal, Capitaine. Selon ma banque de données, la perte de protection engendre inconfort et insécurité chez la plupart des êtres humains.»
Les murs se rapprochaient avec un bruit grondement sourd, Lupion sentant la menace était encore plus dangereux. La créature ignora complètement le robot pour se ruer sur la petite. Tout se passe en un éclair.
Littéralement.
Traxton la vit ouvrir tout grand la bouche. Il remarqua alors que la langue de Blink était d'une couleur gris terne. Elle semblait vouloir crier, mais aucun son ne pouvait sortir. Juste une sorte de vibration. Comme une pulsation.
La bouche ouverte sur un cri silencieux, elle exhala un puissant rayon laser qui trancha net Lupion en deux morceaux cautérisés bien nets. M3d1c s'avança vers le capitaine.
— N'approchez pas, Capitaine. Ni toi, Jig. C'est un laser chimique au fluorure de deutérium. C'est radioactif.
—QUOI??»
Blink était tombée à genoux et peinait à reprendre son souffle. Elle semblait au plus mal.
— Vous allez tous mourir, maintenant! s'écria Rijn-Daël, en pleine crise, la gamine va exploser!
—M3d1c, y en a un qui a besoin d'un calmant. Faut qu'on sorte d'ici et vite!»
Fidèle et obéissant, le robot tira sa fléchette sédative sur le scientifique fou qui s'effondra. Aidé de Yamato et de ses gants mécaniques puissants, Traxton tenta d'ouvrir la porte blindée. Mais rien à faire elle était conçue contre ce genre de tentative.
Aidée de M3d1c, Blink se releva, tremblante et chancelante. Elle leur fit signe de s'écarter.
Traxton était tiraillé, en dépit des parois qui se rapprochaient inexorablement. Ou bien il trouvait une solution pour ne pas mourir broyés, ou bien il prenait le risque de mettre la vie de Blink –ou ce qu'il en restait– en jeu. Il interrogea du regard la gamine : elle le lui rendit de la même manière. Il sentit sa résignation et sa profonde détresse.
Il comprit alors qu'elle n'étais pas juste une simple gosse. Ce regard hanté plein de maturité ne laissait pas de place au doute sur ce point.
Elle relâcha ce qui lui restait de combustible et découpa la porte, avant de tomber évanouie. M3d1c la chargea sur son brancard amovible en activant la bulle de protection.
Il s'enfuirent tous juste au moment où ils entendirent tous très distinctement le bruit sec des os qui se brisent accompagné du son humide du fruit trop mûr qui tombe de haut.
— Bordel, mais dans quoi on s'est mis? Qu'est ce qu'on va faire de Blink? C'est quoi un robot?
—Pas du tout Capitaine. Elle a bien des constantes vitales qui sont en train de décliner. Elle est bien humaine, quoique génétiquement modifiée.
—Mais comment tu peux dire ça? T'as vu la même chose que moi, non? Et l'autre, il a dit qu'elle allait exploser! Qu'est ce que c'est que ces conneries?»
L'infirmier s'interrompit quelques secondes, le temps de se livrer –enfin– à l'analyse qu'il désespérait de faire du métabolisme de Blink.
— Elle est bien humaine, capitaine. Son séquençage génétique est en cours, mais gravement altéré, c'est évident. D'après le scan, sa poche interne contenant les résidus radioactifs présentent de gros risques de rupture.
—C'est une "bombe sale"?
—Ses os ont été aussi modifiés pour éclater en esquilles comme des projectiles shrapnels. J'ai bien peur qu'on ait affaire à une arme biologique dans le sens littéral du terme.
—Et on discute! Alors on fait quoi? Le temps presse!»
La puissante main de Jig se posa doucement sur l'épaule de Traxton, pour le rassurer.
— M3d1c a endormi l'autre cinglé. Je propose qu'on aille le réveiller et qu'il nous donne la solution.
—Combien de temps on a, M3d1c?
—Moins de 13 minutes. Difficile à dire. Mais je suis d'accord avec Jigsen. Le professeur est sans aucun doute le seul être humain à des miles stellaire à la ronde capable de faire quelque chose. Au moins la stabiliser. Son foie endommagé et la présence d'organes supplémentaires rendent difficile une estimation claire du pronostic vital.»
Entendre le robot qualifier un être comme Rijn-Daël d'humain avait quelque chose de très ironique. Mais le pire devait sans doute être la personne à l'origine de ce programme de bio ingénierie génétique.
Sans perdre plus de temps, ils se dirigèrent vers la salle de contrôle où le professeur était assommé.
— Attendez, je vais le réveiller.» proposa M3d1c.
Le capitaine ne savait pas que le robot possédait aussi des solutions pour réveiller les patients inconscients. en particulier après avoir été sédatés. Mais il se dit que ce devait être logique, comme dans un bloc opératoire.
Contre toute attente, le robot pinça vigoureusement au niveau des pectoraux de l'homme inconscient qui réagit aussitôt. Juste pour s'assurer du bon réveil de son patient improvisé, le robot lui administra un gifle.
— Aïe! Arrêtez, c'est une agression!»
Le robot lui donna une deuxième baffe.
— Voilà, Capitaine, il est pleinement réveillé et réceptif.»
Réceptif, ça restait à débattre. Le gars avait visiblement la trouille, mais gardait tout de même ses manières de nanti prétentieux et dédaigneux.
— Bon, alors, Tobias. On est maintenant bon potes, toi et moi. Alors, voilà ce qu'on va faire. Soit tu soignes Blink, soit tu meures avec elle.
—Peuh! Je ne cèderai jamais à la menace!»
Alors que le Capitaine s'apprêtait à tester la véracité de cette affirmation pour le moins très sujette à caution, Yam lui attrapa le bras. Le gynoïde lui fit non de la tête et se tourna vers le prisonnier récalcitrant.
— Professeur, d'après mes données, vous êtes le plus éminent bio ingénieur de la galaxie. Moi et mon Capitaine sommes très étonnés que vous refusiez le défi de votre rival.
—Quoi, mon rival?
—Le Pr. Bjornholm. C'est lui qui a séquencé l'ADN de Belinda : nous pensions que vous seriez capable de faire mieux que lui.»
Elle désigna du doigt la petite fille comateuse dans sa bulle protectrice.
— Peut-être faisons nous fausse route, capitaine.
—C'est vrai, Yam, tu as raison. Ré écrire l'ADN de Blink, c'est compliqué et je ne pense pas que ce soit possible.
—Détrompez-vous! J'ai déjà tous les prélèvements et je sais très bien ce qu'à fait ce charlatan!»
Le capitaine arbora une moue sceptique, en haussant les épaules.
— Très bien! Vous me défiez! Mettez là dans le Fût! Dépêchez vous, on a pas une minute à perdre!»
Avec un clin d'œil à Yama, l'équipage s'exécuta, tout en surveillant étroitement le captif. Bien que très réticent au début, Rijn-Daël semblait se prendre au jeu du défi et véritablement s'investir dans le casse-tête qu'était devenu l'ADN de Blink.
— Quel travail de sagouin! Le mélange des bases ne ressemblent à rien, c'est vraiment du travail d'amateur. Décevant de la part de Bjornholm!
—Si vous le dites, professeur. Ca va prendre combien de temps?
—Trois à six heures.»
Un signal sonore retentit. Des portes de sécurité condamnèrent les issues.
«Isotope radioactif détecté. Menace biologique identifiée. Procédure de lock-down enclenchée. Veuillez patienter 4h pendant la décontamination.»
Traxton regarda le visage simiesque de Jig.
— Bon, on tire à la courte paille pour la sieste?»
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