Le projet C.H.I.L.D.

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— Alors, ça avance comment?»

Le professeur poussa un soupir d'exaspération.

— Ça n'ira pas plus vite si vous n'arrêtez pas de m'importuner! Recoder et reconstruire de l'ADN, c'est un peu plus compliqué que de jouer aux dés.»

Un peu vexé, Jig ramassa ses dés prestement, mais non sans regret.

Il se devait toutefois d'admettre que le professeur était un véritable virtuose. Il monitorait trois écrans, pianotait tellement vite que ses mains en étaient floues, et sa frénésie maniaque était impressionnante. Quoique terrifiant. Ce génie du mal jouait à Dieu le père avec une maestria aussi démesurée que son ego boursouflé.

— Voilà, toutes les données sont compilées. C'est fini.» Il recula son fauteuil à roulettes en poussant un soupir de soulagement.

— Ça y est? Et ben c'est pas trop tôt.
—Non. J'ai dit que j'ai fini de programmer les nanomachines qui vont la reconstruire. Elle en a encore pour un moment là dedans.
—Ce qui tombe très bien Tobias, coupa Traxton, vous pouvez désormais nous en dire plus. J'aimerais vraiment comprendre ce que je viens de voir.
—Je ne sais pas si j'ai le droit de trahir le secret défense, capitaine.»

Yamato pointa son arme sur lui. Le chien du flingue émit un cliquetis d'avertissement.

— Nous sollicitons votre coopération totale, professeur. Répondez aux questions du Capitaine Traxton. Qu'est-ce-que le projet CHILD?»

Il déglutit ostensiblement en lorgnant le pistolet braqué sur lui.

— La procédure de lock-down est encore en cours, Tobias. On a le temps de causer entre potes, alors autant en profiter, tu crois pas?
—Certes, concéda-t-il. Puisque vous insistez si poliment, je vais vous dire tout ce que je sais. Mais autant vous prévenir, ce savoir est dangereux.»

Il prit une profonde inspiration, les yeux clos, ses mains jointes sur son visage livide.

— Tout a commencé avec la pénurie de minerai. Enfin, le conflit avec l'Imperium.
—Il n'y a aucun conflit entre l'Imperium et la Fédération, contra Traxton.
—Aucun dont vous ayez connaissance. La paix repose sur l'équilibre, ne l'oubliez jamais. Bref.
L'État Major veut avoir un arsenal bien garni, ce que ne permettent pas nos ressources actuelles. Vous connaissez l'adage du vieux terrien, «Si vis pacem, para bellum».
—Sauf qu'avec la pénurie, c'est pas possible.»

Le professeur opina du chef, en levant un index, avant de poursuivre.

— Précisément. Ils ont fini par localiser des gisements prometteurs sur une planète déserte et inhospitalière. Ils ont donc confié l'exploitation du site minier à une petite colonie privée, discrète. Des colons d'origine principalement nordique se sont proposés pour s'autofinancer et s'autogérer. La concession prévoyait un accord d'échange entre l'armée et les civiles.»

Perplexe, le capitaine jeta un regard vers Yamato, puis Jigsen, qui semblait lui aussi tout aussi dubitatif.

— J'ai bien peur de ne pas voir le rapport entre ça et une gamine transformée en arme, professeur. Venez en rapidement au fait, je vous prie.»

Rijn-Daël jeta un regard courroucé au capitaine. Ses joues avaient pris une délicate teinte saumon.

— Laissez-moi au moins finir mes explications, goujat! Je vous parlais donc de l'accord entre les deux. L'accord n'a pas été respecté et le conflit a éclaté. C'est la planète dont je vous parlais, Omicron-438. Enfin, plus exactement un planétoïde, un amalgame ferrugineux spatial.»

Cette fois, le capitaine commençait à comprendre. Mais de peur de louper des détails, il jugea préférable de laisser le professeur vider son sac. On était jamais trop prudent.

— Les civils ont fait sécession, et se sont retournés contre les militaires. L'endroit est un véritable bunker naturel, et les mineurs connaissent l'endroit. L'Etat Major ne souhaitait pas que la rébellion s'ébruite et ne fasse tâche d'huile. Mais les militaires ne voulaient pas non plus mobiliser l'essentiel des réserves pour un conflit mineur.
—Ouais, pas de gaspille, quoi.
—Exactement. Ils nous ont contacté moi et August dans le cadre de notre thèse d'étude sur l'utilisation de matériaux biologiques comme succédanés. Ils ont fait un appel d'offre, et August m'a coiffé au poteau. Ils m'ont jugé "trop superficiel, instable et farfelu". Vous imaginez un peu?
—Difficilement, Tobias. On se demande bien pourquoi, répliqua le capitaine d'un ton léger.
—Il a recruté ses pièces maîtresses à l'Institut. Je savais qu'Amani en était et je la connaissais bien, je fus son directeur de thèse. Cette fille ne pouvait étudier que grâce à une bourse fédérale. Je savais donc comment l'amadouer.»

Ce mec n'a vraiment pas d'âme.

Le capitaine essayait de masquer le plus possible le puissant élan de dégoût et de mépris pour le génie minable qui se tenait assis devant lui. Sans doute l'un des esprits le plus brillant de ce côté de la galaxie, mais sans aucune once de sympathie ou de compassion pour qui que ce fut. Et la suite s'annonçait bien pire.

— Je voulais me venger. L'humiliation, vous comprenez? J'ai donc exigé d'avoir des copies des travaux de Bjornholm quand j'ai eu vent de son projet. Il s'est inspiré de mon idée! Que je n'avais pas encore fait breveté, à ce moment là.»

Il a même déposé les brevets pour ces horreurs...

— Vous voulez dire qu'il a kidnappé des gamins pour en faire des monstres?
—Mais enfin, non pas du tout! Capitaine, nous avons une certaine éthique, tout de même, respectez nous. Moi, particulièrement. Lors des escarmouches, les soldats avaient pour consigne de récupérer du matériel biologique présent sur la zone de conflit.
—Euh... Je suis pas sûr de bien vous suivre, là.»

Le scientifique le toisa, un sourire plein de morgue aux lèvres.

— C'est pourtant évident, non? L'infanterie en garnison là bas avait pour mission de collecter des échantillons d'ADN, avec objectif de cloner des personnes connues, des visages familiers. Des gens qui n'éveilleraient aucun soupçon. Pour susciter la confiance des autochtones. Et qui se méfierait d'enfants?
—Vous êtes... Vraiment...
—Un génie? Oui, je sais.»

Yamato sentit que le capitaine perdait ses nerfs et intervint. Il sembla judicieux au gynoïde de recadrer les choses de manière plus objective et moins émotionnelle.

— Ca n'explique pas les déroulements des évènements professeur. Ce n'est pas logique. Nous avons trouvé Blink dans un cargo, aux mains de militaires dont le but était assez clairement de se débarrasser d'elle. Expliquez-vous, je vous prie.»

Lorgnant d'un œil peu rassuré le canon fermement braqué à quelques centimètre de son front, le scientifique esquissa un léger mouvement de recul.

— Eh bien, disons que les choses se sont compliquées. Peut être que Diok'kro vous en a parlé. Il s'avère que c'était elle qui s'occupait des enfants. Elle ne parvenait pas à m'envoyer mes informations. tout était bien trop sécurisé. Elle a donc infléchit la programmation du sujet BK-8.
—Attendez, vous voulez dire que...?
—Exactement. Elle a trafiqué le programme pour que Blink soit écartée du groupe test. Elle devait servir de mule. Mais ses plans ne se sont pas passés comme prévus. Elle n'a pas réussi à sortir la clef cryptée. En revanche, August n'est pas un idiot. Il a très vite fait le rapprochement entre le défaut constaté sur son sujet et les manipulations de Diok'kro. Il a donc voulu faire disparaitre BK-8 sans que les investisseurs –et surtout les militaires– ne découvre l'entourloupe de Diok'kro. C'est à ce moment-là que vous entrez en jeu.
—Amani a démissionné et vous a contacté. Tout devient plus clair, déclara Traxton, pensif.
—Donc, si je comprends bien, je suis morte?»

La voix rauque et gutturale de Blink les surprit tous. Le caisson s'était ouvert en silence, et elle s'était relevée en position assise. Position qu'elle tenait difficilement.

La reconstruction était terminée et elle semblait réussie. Globalement. La jeune femme était très maigre et semblait affaiblie. Si elle n'était pas là où il avait laissée Blink quelques heures auparavant, le capitaine n'aurait jamais pu croire que c'était bien elle.

— Mais, qu'est-ce-que vous avez fait?
—Vous êtes idiot, Traxton, tacla le professeur. Ce sont des sujets clonés, je vous ai dit. Ils ont subi une croissance stimulée, mais Bjornholm avait bloqué les hormones responsables. C'est bien trop difficile à cibler, un vieillissement artificiel accéléré. En réalité, cette fille a bel et bien l'âge que vous lui voyez.»

Blink rougit légèrement, en baissant les yeux.

— Désolée, monsieur le capitaine.
—Ce n'est rien. Tu voulais vivre et tu avais peur, je peux le comprendre.»

Rijn-Daël ricana.

— La preuve que cette Amani a bien fait son travail.
—Elle prétendait s'appeler Khadi et voulait m'aider. Je la croyais mon amie alors qu'elle m'a trahie!
—Les autres sujets n'ont surement pas ce genre d'état d'âme.
—C'est pour ça, alors que je le sens différente des autres gosses? Isolée? Et mes cauchemars? Les bombes? C'était donc vrai? Spuck's aus!»

Elle tremblait de tout ses membres, et pas seulement en raison de son état physique qui risquait de nécessiter une hospitalisation.

— Est-ce que je suis... Humaine?»

La question surprit le capitaine, mais pas le professeur qui la regarda comme une incongruité.

— Tu étais une arme vivante avec une durée de vie limitée. Maintenant, tu es un clone. La véritable Belinda Kunst n'est plus en vie depuis quelques mois, maintenant.»

Rijn-Daël s'effondra sur son siège, une seringue plantée dans la nuque.

— Le repos est conseillé après un gros effort, lança M3d1c. Le robot s'approcha de la table d'opération, ses capteurs visuels braqués sur Blink.

— Tu es humaine, d'après mes scans. Malgré sa maladresse dans la reconstruction de tes protéines et les carences subséquentes, t–»

La fille pleurait à chaudes larmes, et rien de ce que disait le robot ne semblait y changer grand chose. Les portes se déverrouillèrent avec un bruit sec.

«Procédure de lock-down terminée. Merci de votre patience. En cas d'effet secondaire indésirable, merci de contacter d'urgence le support médical.»

— Il faut qu'on se tire d'ici, et vite, cap'tain, conseilla le pilote, l'air sombre.
—Je suis d'accord avec Jigsen, Capitaine. Nous devons partir sans tarder.»

Le capitaine avisa Blink qui continuait de sangloter.

— Je peux pas la laisser là, vous comprenez?
—Bien entendu, Capitaine. Il n'en a jamais été question.
—Tu as entendu, Blink? Tu viens avec nous?»

Elle se redressa pour le regarder, les joues humides et cramoisies sur son teint hâve, tout en reniflant.

— M'appelez plus comme ça. Je ne sais même plus qui je suis. Ou ce que je suis.»

Le capitaine et le pilote s'échangèrent un regard que seuls deux êtres organiques soumis aux vicissitudes de la vie pouvaient s'échanger.

— Je ne sais pas ce que tu vas faire ensuite. C'est maintenant à toi de décider. Tu es bien une humaine, bien plus que ce dégénéré, selon moi.
—Je ne sais pas si ça me rassure, monsieur.»

M3d1c lui tendit à son tour l'un de ses bras.

— De mon expérience médicale, un être humain, c'est bien plus qu'un sac d'organe, Belinda. Enfin, la plupart du temps, ajouta-t-il en jetant un regard vers le corps inanimé du professeur.
—Tu as peur de mourir? Tu te demandes qui tu es et d'où tu viens?»

La jeune femme hocha doucement la tête. Traxton poursuivit sur sa lancée.

— C'est à toi qu'il appartient de le découvrir. Et sans doute qu'en chemin, la réponse que tu cherches se présentera à toi d'elle-même.
—Sans vouloir vous faire peur, il faut vraiment qu'on s'casse. Les militaires s'agitent et je sais pas pourquoi.»

Il avait raison. Des troupes de soldats commençaient de se déployer, et ce n'était certainement par pour un exercice. Le regard cobalt de Yamato faiblit un instant avant de briller de plus belle.

— Apparemment, le professeur est assigné à résidence et sous surveillance militaire. Il est resté inconscient trop longtemps d'affilée, l'alarme muette s'est déclenchée, d'après la domotique.»

Le capitaine Traxton adopta alors son ton le plus ferme et intransigeant.

— Si tu veux vivre, Blink, suis moi.»

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