Chapitre 42

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42

Deux ans plus tard

Mercredi 03 janvier 2024, 17h56

    Jon, les mains tremblantes, tourna une nouvelle page de son magazine automobile rétro, le nez faussement plongé entre les différents articles. Par-dessus le papier, ses yeux suivaient les allers et venus du contrôleur de son wagon, le temps qu'il mettait pour revenir après avoir passé les portes coulissantes qui menaient au sas du train.

Les sièges autour de lui étaient pour la plupart inoccupés. Seuls quelques personnes pour la plupart non accompagnées, aux visages majoritairement couverts de masques chirurgicaux, qui se dévisageaient sans mot dire. Les épaules tendues, les mains à plat sur les tablettes de leur sièges, ils se jaugeaient de part et d'autre du petit espace, cherchaient à entrevoir les bracelets des autres voyageurs. Pour se rassurer, s'informer, se déculpabiliser peut-être ?

Jon lui, ne portait pas de bracelet. Cependant, il avait fait attention avant de partir à opter pour un pull aux manches assez longues, avec lesquelles il jouait depuis le départ de la gare.

Personne ne devait savoir qu'il n'était pas déclaré.

Un mouvement sur sa droite attira son attention ; Eden, les lèvres pincées et armé d'un crayon à papier, gribouillait quelque chose dans son carnet, tout en s'assurant d'être assez bruyant pour capter son attention. Les autres passagers n'exprimèrent envers lui qu'un certain agacement, rien qui puisse se rapprocher de près ou de loin à de l'intérêt, ce qui rassura Jon.

Il haussa un sourcil, plia brutalement son magazine pour indiquer à son partenaire qu'il avait compris avant de se racler la gorge.

Le son, unique dans la rame, attira sur lui bon nombre de regards déconcertés. À l'aise dans son jeu d'acteur, Jon porta son bras à hauteur de visage afin de tousser au creux de son coude.

Le contrôleur passa à nouveau, interrogea une femme sur son titre de transport, lui demanda de lui présenter le code barre de son bracelet, avant de retourner dans le sas d'entrée, les mains dans les poches.

Lorsque les portes coulissantes se furent refermées derrière lui, Eden se redressa, épousseta son pantalon et réajusta son masque en tissu noir sur son nez avant d'à son tour, rejoindre le sas. Décontracté, les bras ballants le long du corps, il donnait l'impression d'être un simple passager se rendant aux toilettes. En se relevant cependant, il fit ''accidentellement'' tomber le carnet sur lequel il écrivait quelques secondes plus tôt, de façon à ce que Jon puisse le récupérer. Tandis que l'appel d'air des portes coulissantes se faisait entendre dans le train, ses doigts se refermèrent sur la tranche du carnet, qu'il balaya d'un regard rapide avant de le reposer, face cachée, sur la tablette de Eden : « Garde une oreille sur mes battements de cœur, merci ».

Jon manqua rire, se retint comme il le put. Comme le lui avait demandé Eden, il darda son attention sur la pulsation régulière du cœur de son meilleur ami, tout en écoutant ce qui au-delà des oreilles indiscrètes des autres voyageurs, était en train de se jouer dans le sas.

— Vous allez me conduire jusqu'au wagon où sont entreposés les stocks de morphine, et vous ne direz rien jusqu'à ce que je vous y autorise.

Un sourire en coin étira les lèvres de Jon, tandis qu'il reprenait sa fausse lecture de magazine.

Quelques minutes s'écoulèrent, durant lesquelles rien ne se passa, durant lesquelles il n'entendit rien de plus que les pas rapides de Eden et du contrôleur, les battements de cœurs tranquilles pour l'un, erratiques pour l'autre.

Puis la fermeture éclair du sac à dos qu'on défait, les médicaments qu'on entasse dans le sac, le grincement des dents du contrôleur. Lorsque le ''zip'' caractéristique d'un sac qu'on referme retentit aux oreilles de Jon, il plia son magazine, le rangea dans le petit filet contre le siège devant lui, avant de se lever à son tour pour rejoindre le sas.

Le temps qu'il y arrive, Eden et le contrôleur étaient de retour. Son meilleur ami lui désigna son sac à dos rempli à ras-bord, avant de pointer le contrôleur du menton :

— Je m'occupe de notre couverture ?

— Fais ce que tu veux, tu sais très bien que je désapprouve.

Eden haussa les épaules, extirpa une boîte de morphine de sa poche, avant de la tendre au contrôleur d'un geste vif :

— Vous allez avaler tous les cachets de cette boîte, sans exception.

— C'est peut-être pas nécessaire, murmura Jon en attrapant le poignet de son ami. Même si j'ai dis ''Fais ce que tu veux'', je le pensais pas vraiment.

— Il a vu nos visages, et il faudra bien une explication pour les boites volées.

— Ton sac à dos est rempli de boites, même avec toute la meilleure volonté du monde, ce type ne pourrait jamais tout avaler. Et puis on porte des masques…

— On peut tout faire avec de la bonne volonté. Et on les avait pas au moment de l'embarquement.

Tandis qu'il s'agenouillait pour sortir les boites de son sac à dos et en vider le contenu dans de petites trousses opaques, Jon resta figé sur le contrôleur qui, obéissant face aux ordres de Eden, commençait à avaler gélule sur gélule, les yeux pleins de larmes. Il savait que Eden avait raison, que le contrôleur, comme tous les membres d'équipage, avaient dû suivre la formation concernant la reconnaissance des membres de tête du mouvement résistant et ainsi, les identifier mais n'en restait pas moins que le regarder se suicider était dur à encaisser. Sous l'emprise de l'ordre, il défaisait chaque gélule du petit morceau d'aluminium de la boîte, les avalait dans des déglutitions révulsées, tentait de retenir ses larmes. C'était terrible Jon le savait, car la seule faute qu'avait réellement commis l'homme avait été de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.

— C'est bon, souffla Eden en jetant la dernière boite vide aux pieds du contrôleur.

L'homme tremblait des pieds à la tête, avait du mal à avaler les gélules sans eau. Ses yeux rivés sur Eden, il le vrillait d'un regard aussi noir que son uniforme. Jon balaya son meilleur ami du regard, l'observa refermer son sac qui ne contenait désormais plus que de petites trousses opaques remplies de morphine, avant de désigner la porte du pouce :

— On y va ?

— On est à plus de deux-cent kilomètre-heure.

— J, on a déjà sauté pour pire que ça...

Il s'interrompit lorsque dans le train, une vive alarme se mit à hurler, diffusée par tous les hauts-parleurs des wagons. Eden se figea, tendit l'oreille pour entendre la nature de l'alarme, qui ne mit pas longtemps à se faire connaître :

— Mesdames, messieurs, merci de rester calme. Malgré nos tests préalables et notre vigilance, un infecté vient de nous être signalé en voiture sept. En accord avec les directives gouvernementales dans ce cas de figure, cette voiture sera donc condamnée et inaccessible jusqu'à notre terminus. Nous demandons aux passagers de la voiture sept de rester calmes et de se munir de masques chirurgicaux, nos employés spécialisés dans le domaine veillent à votre sécurité.

L'alarme continua de hurler encore quelques secondes, avant que sur le palier au-dessus de leur têtes, ne se mettent à retentir des hurlements horrifiés. Seuls les salles hautes permettaient de communiquer entre voitures, et il se trouvait que comble de malchance, Jon et Eden furent voyageurs de la voiture six.

— Super diversion, lança Eden en resserrant les bretelles de son sac à dos.

Jon roula des yeux, couvrit une dernière fois le contrôleur du regard avant de laisser son meilleur ami se hisser sur son dos. Avec habitude, il attrapa les jambes de Eden pour le maintenir en place, tandis que ce dernier nouait ses bras autour de son cou.

Un choc sourd retentit en haut des marches, fit frémir Jon ; les agents de sécurité devaient être en train de repousser les voyageurs de la voiture sept pour les empêcher de quitter leur wagon.

— Vous allez rentrer dans les toilettes et vous y enfermer, ordonna Eden.

Le contrôleur obéit, encore, et disparu dans le petit espace sanitaire, ne laissant derrière lui qu'un sas au sol jonché de boites de morphine vides.

— Et pour les autres voyageurs ?

— Ils seront trop choqué de découvrir ce pauvre contrôleur mort pour faire le lien avec nous. Et puis, on peut dire que pour une fois, cet infecté à bord tombe à pic ! Les gens vont être focalisés sur lui, pas sur nous. Et puis...

Théâtralement, Eden retira le masque chirurgical en tissu noir qu'il portait jusqu'à lors, inspira à pleins poumons, avant de jeter le morceau de tissu par terre.

— Difficile de faire un portrait robot juste avec des yeux visibles.

— Si tu le dis.

D'une main experte, Jon défit le mécanisme de sécurité de la porte, fut assez vif pour couper l'alarme avant qu'elle ne se mette à hurler dans l'entièreté du train. Le vent lui fouetta le visage comme une mauvaise gifle, il en perdit son souffle quelques instants. Dehors, la nuit était des plus noires, le ciel des plus tristes, sans étoiles, sans éclat. Un nuage épais laissait entrevoir la position de la lune, mais ne donnait pas assez de visibilité à Jon pour pouvoir évaluer la distance nécessaire à son saut.

— Il fait trop noir, lança t-il à Eden.

— J'ai une torche dans mon sac.

En quelques tours de bras, la torche à grande portée éclairait les rails qui défilaient à une vitesse affolante devant eux. Deux voies, puis de l'herbe, une pante recouverte de verdure. Il pouvait facilement atteindre la bordure d'un seul saut.

— Déporte-toi sur le côté quelques secondes que je puisse refermer la porte.

Jon soupira, sortit de sa poche l'équivalent d'un poing américain confectionné par Yannick et qui, une fois enfilé, lui permettait de planter les pointes dans la taule du train afin de pouvoir s'y accrocher. C'était risqué, d'autant plus avec le poids de Eden sur son dos mais, comme le lui avait rappelé son meilleur ami, ce n'était pas la première fois qu'ils opéraient de la sorte.

— J, on pourrait se grouiller ?

— Ça se voit que c'est pas toi qui doit gérer équilibre, vitesse et précision en même temps.

Un petit rire retentit contre son oreille, lui influa une bouffée d'air frais cruciale pour s'extrader du train en marche, s'y raccrocher afin de laisser le temps à Eden de refermer derrière eux. Puis, les pieds en appuis sur la surface en métal froid, Jon prit une grande inspiration, ferma les yeux, prit son élan et finalement, sauta. Ses pieds comme deux ressors, couplés aux muscles de ses cuisses, lui permirent de rejoindre la pente dans un seul saut plus ou moins maîtrisé. L'atterrissage fut bien moins agréable : sous le choc de leur entré en collision avec le sol humide, Eden en relâcha sa prise autour de ses épaules, alla rouler un peu plus loin, pendant que Jon se rattrapait du mieux qu'il le pouvait. À genoux sur le sol à l'herbe haute, il reprit son souffle, regarda le train s'éloigner dans la nuit, chercha du regard Eden et sa lampe torche, échoués quelques mètres en contrebas.

— Tout va bien ? s'enquit Jon, inquiet.

Pour toute réponse, son meilleur ami leva un pouce en l'air.

Après avoir patienté encore quelques secondes, Jon se redressa, et partit rejoindre Eden, qui de son côté n'avait pas bougé d'un centimètre depuis sa chute.

— Je t'avais dit que le train roulait super vite et que c'était casse-gueule.

— Je vais bien, grogna Eden en se redressant.

Jon ricana en constatant la terre qui maculait le visage de son vis à vis, tenta d'en retirer le maximum avant de se heurter au roulement d'yeux fatigué de Eden.

— Bon, soupira t-il. On a plus qu'à attendre Yaya. Espérons qu'il se magne le train, il fait super froid.

Jon opina, se laissa tomber sur une parcelle de terre moins humide que le reste pour attendre l'arrivée de leur éducateur.

Ils étaient bien trop loin de leur base pour rentrer à pied et au vu des circonstances, à savoir la nuit avancée et le froid mordant de mois de janvier, ni l'un ni l'autre n'avaient envie de se prêter à la randonnée longue et périlleuse qui les attendait. .

Eden vint le rejoindre, extirpa de sa poche de veste un paquet de cigarettes aux coins cornés, le carton abîmé.

— Wouah, tu les as eu où ? s'étonna Jon en haussant un sourcil.

— Iverick les a échangé à un mec contre des dosettes de café Nespresso.

Un rire accompagné de condensation s'échappa des lèvres de Jon, tandis que son meilleur ami allumait une cigarette avant de la porter à ses lèvres. Mécaniquement, il expira une bouffée de fumée avant de la lui tendre.

De bonne grâce, Jon l'attrapa, la porta à ses lèvres dans un geste à la limite du robotique, savoura un instant la sensation de la fumée dans sa gorge glacée avant d'expirer vers le ciel. Les volutes de fumée s'étendirent comme d'abstraits d'abstraits danseurs vers le ciel d'encre, avant d'y mourir.

Il était devenu si rare de pouvoir s'offrir le luxe d'une cigarette que bien au-delà du danger que représentait l'objet du crime pour leur santé, ils en arrivaient à soupirer d'aise à la simple sensation.

— Il pourrait pas nous avoir de l'herbe aussi ?

— T'es sérieux ? Jon, la drogue c'est mal.

— Tu te fous de moi ?

Dans un geste vif, il tourna la tête vers Eden, le regarda retenir un gloussement, avant de le repousser en arrière d'une bousculade amicale.

— T'es con.

— Hum. N'empêche que si Amali te chope avec de la beuh, crois-moi que les centres et Jelena te sembleront être le club Med à côté.

— Elle sait qu'on est majeurs ?

— Ouais. Et elle s'en fout.

Ce ne fut qu'une demie-heure plus tard que Yannick les rejoignit enfin, éclairé à la seule lumière d'une lampe frontale, haut perché sur une jument alezane. Une de ses mains guidait l'animal tandis que dans l'autre, il serrait deux longes, celles des deux montures destinés à ses jeunes.

— T'as pris ton temps, rouspété Eden.

Il resserra les bretelles de son sac à dos avant de passer un premier pied à l'étrier.

— Je me suis dit que vu le cadre, je pouvais me permettre de prendre mon temps.

— Hilarant. T'as mangé un clown ?

— Et toi un chien ? Pourquoi tu m'aboies dessus comme ça ? Pètes un coup mon grand.

Jon gloussa, se couvrit la bouche de la main, sous les regard fatigués de Eden et Yannick. À son tour il se mit en selle, raffermit sa prise sur les rênes de sa monture, les yeux clos.

— Vous avez la morphine ? s'enquit Yannick après avoir frapper les flancs de sa jument.

— À ton avis ? Et il y a d'autres moyens de faire avancer ton cheval.

— J'ai pas envie d'y passer la nuit. Et en plus, la fièvre de Erwan est remontée en flèche.

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