Chapitre 43

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Jeudi 04 janvier 2024, 03h21

    Brusquement réveillé par un claquement de porte tout proche de son oreille, Vasco se redressa d'un bond sur sa couchette, les yeux plissés, prêt à bondir sur le potentiel intrus. La luminosité ambiante du dortoir le força à baisser sa garde, battre des cils pour s'habituer. Groggy, il secoua la tête pour enfin pouvoir considérer celui ou celle qui sans douceur, venait de pénétrer dans le dortoir.

— On te réveille peut-être ?

Le ton moqueur de Théo le laissa de marbre. D'un regard, il balaya les nouveaux arrivants avant de se recoucher, et de remonter sa couverture au-dessus de sa tête pour se protéger de la luminosité ambiante.

— Te recouches pas, on venait te chercher, grommela Nathan.

— Je suis pas de garde, allez vous faire foutre.

Un court silence s'en suivit, que son vis à vis brisa finalement d'un simple « Jon et Eden sont de nouveaux sous nos radars ».

Piqué au vif, Vasco cligna une nouvelle fois des yeux avant de daigner ressortir de sous sa couverture, toute son attention portée sur Nathan.

— Qu'est-ce que tu dis ?

— Jon et Eden. On les a retrouvé.

Dubitatif, le jeune homme s'extirpa pour de bon de ses couvertures pour s'asseoir sur le rebord de son lit, et darder sur Nathan son regard le plus incisif.

— Et comment c'est possible ? Ça fait deux ans qu'on a plus entendu parler d'eux.

— Faut croire qu'ils en avaient marre de se cacher ? répondit Théo en haussant les épaules. Ils sont apparus sur les enregistrements des caméras de surveillance à reconnaissance faciale que Jelena a fait installer sur les lignes de trains principales. Comme leurs tronches sont déjà dans les fichiers de ''personnes à surveiller'', bah ça a direct envoyé un message et bam, révélation. Ces cons, ils ont porté des masques chirurgicaux presque jusqu'à la fin de leur petite virée, mais leur dernière minute à visage découvert à suffit pour les coincer.

Vasco opina, se redressa pour de bon afin d'aller attraper un pantalon dans son armoire, un tee-shirt et une paire de gants qu'il enfila avec attention.

Eden et Jon étaient donc ressortis du bois ? C'était impensable. Depuis la mort de Mehdi deux ans plus tôt, et leur prise de position à la tête du gouvernement, ils n'avaient plus jamais entendu parler de Amali, Iverick, Yannick, Erwan, et les deux revenants.

— C'est bizarre..., marmonna t-il. Qu'est-ce qu'ils foutaient dans ce train ?

— Ils ont volé de la morphine, à première vue. Et Eden a buté un contrôleur.

— Cool, toujours aussi safe le mec, ça fait plaisir.

Après avoir nouée sa ceinture, Vasco esquissa un mouvement pour quitter le dortoir, Nathan et Théo sur les talons. Le couloir de leur nouvelle base militaire était désert, seul l'écho de leurs semelles de botte sur le sol perçait le silence de plomb qui régnait en maître autour d'eux.

— Et du coup, Jelena est dans quel état ?

— À ton avis ? Sur les dents. C'est pour ça qu'elle veut te voir, répondit Nathan.

— Tss, et elle pense que je vais régler ce problème comment ? Quelle ligne de train ?

— Paris-Lyon. Ils se sont jetés du train en marche aux alentours de Macon.

— Ils ont quoi ?

Un instant perturbé dans sa progression, Vasco se stoppa dans tous mouvements pour considérer le visage amusé de Nathan. Le plus âgé du trio haussa les épaules avec légèreté, tout en se remettant en marche :

— Sauté du train.

— Mais...., souffla Vasco.

— Cherche pas, s'ils l'ont fait c'est qu'ils étaient sûrs de pas se péter les dents à l'atterrissage.

— Ouais mais quand même. Et après c'est nous les tarés ?

Le temps qu'ils atteignent le bureau de Jelena, plus aucun mots ne furent échangé. À la place, chacun repensa à leurs deux camarades, et à la façon dont d'amis, ils étaient devenus chasseurs et proies.

En accord avec ce que Nathan lui avait indiqué, ils trouvèrent effectivement Jelena dans une position délicate, à mi-chemin entre la contrariété et l'euphorie. Piquée derrière son ordinateur, elle pianotait sans même regarder le clavier, tout en expliquant à l'un de ses soldats les plus compétents pourquoi le retour de Eden et Jon dans le circuit, pouvait représenter un réel danger.

Vasco s'avança le premier, se racla la gorge avant de porter son poing serré à son cœur, qu'il écarta ensuite dans un geste fluide, pour revenir à sa position initiale.

— Bonjour Jelena.

— Nathan t'as dit ? Juste au moment où on avait enfin réussi à hum... calmer les foules ?

Nathan pouffa, s'attira le regard désapprobateur de Jelena qui d'un commun accord avec son vis à vis précédent, cessa de taper à l'ordinateur pour totalement se tourner vers les nouveaux arrivants.

— Il y a un truc que je comprends pas, avoua t-elle en venant s'asseoir sur le rebord de son bureau. Pourquoi s'être caché durant deux ans pour refaire surface avec un... motif pareil ?

— J'imagine qu'ils connaissent quelqu'un qui doit être malade. Et comme tu as coupé l'accès aux soins aux personnes non-déclarés et à tes détracteurs bah... ils en font clairement parti, ce qui expliquerai leur geste désespéré pour récupérer des médicaments.

La réponse de Nathan sembla la convaincre un minimum, bien que son expression resta un long moment figée dans une concentration intense que personne n'osa briser.

— En plus, continua finalement le jeune homme, le système de caméra à reconnaissance faciale est récent. Si ça se trouve, ça fait un bail qu'ils pillent nos trains et que nous n'en savons rien.

— N'empêche. Dans tous les cas, j'ai demandé à mes hommes déployés sur le terrain du Mâconnais de ratisser les environs, et de les retrouver.

Ce fut au tour de Vasco de prendre la parole, plus qu'intrigué par le déroulement des opérations et surtout, de la prise de position de Jelena.

Depuis deux ans, et bien qu'ils n'aient plus eu de nouvelles de la Résistance, jamais elle n'avait émis le souhait de lancer des recherches pour les retrouver. Son entre-vue avec Amali à la gare lui avait suffit à poser des termes clairs sur leur bonne entente, et leur ancienne éducatrice n'avait jusque là, jamais fait reparler d'elle. Pas de coups d'éclat, pas de tentatives pour venir frontalement remettre en cause la façon qu'avait Jelena de diriger le pays, rien. Alors pourquoi maintenant, à cause d'une simple vidéo, tout le monde semblait si agité ?

— Techniquement, ils ont rien fait de ''mal'', alors pourquoi...

— Ils ont volé une grosse quantité de morphine, répliqua Jelena.

— Et Eden a tué un contrôleur avec son don, qu'il n'est d'ailleurs pas autorisé à utiliser sans être déclaré, ce qui est tout de même pas négligeable niveau ''mal'', ajouta Nathan.

Le sifflet coupé, Vasco agita vaguement la main pour témoigner de sa lassitude face au refus de répondre franchement à ses questions de la part de Jelena et Nathan, avant d'aller s'asseoir dans un coin de la pièce. De sa nouvelle place, il put écouter la conversation, la façon presque épidermique que Jelena eut de parler des moyens déployés sur place pour retrouver Amali et son groupe. Ses gestes, sa voix plus aiguë que d'habitude, tout transpirait un certain enthousiasme à avoir remis la main sur la Résistance, et c'est ce qui dérangeait grandement Vasco. De plus, il n'était que cinq heures du matin, et il était clair que cette information, bien qu'intéressante, aurait pu attendre leur réunion de débriefing de la garde du lendemain.

Après avoir écouté quelques minutes de plus le dialogue vif et enjoué de Jelena, Nathan et Théo, il décida de prendre congé de sa supérieure et ses collègues pour aller prendre son petit déjeuner, bien que la faim n'y soit pas.

Quelque chose dans ce vol de morphine le dérangeait. Jamais encore il n'avait fait le lien avec les nouvelles obligations de déclaration et du port de bracelets de reconnaissance, avec les droits qu'ils avaient de fait, retirer à leurs anciens camarades du foyer. Sans bracelet, il n'était plus question de pouvoir sortir entre vingt heures et sept heures du matin, même pour le travail, ils n'étaient plus prioritaire sur les consultations médicales et aux urgences, et n'avaient pas le droit de se procurer de médicaments, sans parler de tous les lieux qui leurs étaient fermés, comme le cinéma ou même l'école. Une situation radicale et dramatique pour ceux qui refusaient à porter ce petit bracelet d'un reconnaissance qui, dans un certain sens, lui faisait beaucoup penser à celui qu'ils portaient au centre, et qui selon la couleur, leur attribuait un certain degrés de dangerosité.

Qu'elle tente de palier le traumatisme en recréant les circonstances de ce dernier, ou qu'il s'agisse d'une simple coïncidence rien n'excusait réellement les mesures plus que restrictives qu'avait imposées Jelena.

— Salut Vasco. T'es au courant ?

— Tu crois que je serai debout si tôt autrement ? Durant mon jour de repos en plus ?

Matteo sourit, lui étreignit l'épaule tout en désignant la direction de laquelle venait Vasco d'un geste vague :

— Réunion au sommet ?

— Si t'as envie de perdre ton temps, libre à toi. Moi je vais graille.

Sans rien ajouter, Vasco dépassa son vis à vis, pour rejoindre les ascenseurs et, quelques étages plus bas, la salle de réfectoire des différents soldats qui n'avaient plus que cette base comme maison.

    Le sommeil guettait Amali depuis un bon moment déjà, et rendait sa concentration des plus subjectives. Bien que lourdes de fatigue, ses paupières s'obstinaient à rester ouvertes afin que ses yeux puissent suivre ligne par ligne, le manuel médical qu'un ami à elle avait réussi à lui avoir auprès d'un libraire de la vieille école. Il était trop tard pour tout saisir bien sûr, mais elle arrivait à comprendre le plus gros de ce que les mots racontaient.

Roulée en boule sur son fauteuil au tissu usé, elle jetait de temps à autre de furtifs regards à Erwan, étendu sur son lit, les lèvres entrouvertes, le visage baigné de sueur. Toutes les vingts minutes, elle devait quitter son poste de surveillance pour changer les serviettes humides qu'elle s'entêtait à lui appliquer sur le front pour ainsi faire baisser la fièvre. Mais rien, toujours ce quarante-et-un virgule neuf aussi alarmant que la toux de plus en plus grasse de l'adolescent.

Depuis deux semaines, l'état de Erwan n'avait cessé de se détériorer, passant de simple angine à ce que tous redoutaient être le début d'une pneumonie. À l'aide de leurs faibles moyens, ils avaient bien tenté d'endiguer la maladie mais, force était de constater qu'une quinzaine de jours après la première quinte de toux, rien ne s'était arrangé, bien au contraire.

En dernier recours, elle avait accepté que Jon et Eden partent récupérer de la morphine dans un convoi à quelques dizaines de kilomètres de leur base, avec l'espoir infime que ce médicament-ci réussirait là où tous les autres anti-douleurs avaient échoués.

Elle savait que la morphine n'était pas ''bonne'' prise à trop haute dose, et espérait vraiment qu'avec seulement quelques gélules, la fièvre retomberait enfin. Erwan n'avait que quatorze ans, elle ne pouvait pas le laisser souffrir plus longtemps.

Au réveil sur la table de nuit, il était presque sept heures lorsque son talkie-walkie la renseigna sur le retour de Yannick, Eden et Jon. Soulagée de les savoir en sécurité entre les murs de leur base, elle soupira, battit des cils, avant de passer ses doigts dans les cheveux de Erwan.

— Ça va aller, promit-elle dans un murmure.

Erwan répondit d'une simple respiration plus lourde que les autres, avant d'attraper son regard, les yeux brillants.

À peine Amali avait-elle fermé son livre que la porte du dortoir des garçons s'ouvrit à la volée, sur un Jon aussi agité que déterminé. Dans une main, il tenait une petite trousse opaque et dans l'autre, une bouteille d'eau ouverte.

En quelques enjambées, il rejoignit le lit de Erwan, s'assit sur le rebord, et aida l'adolescent à se redresser.

— Tout s'est bien passé ? demanda Amali, soucieuse.

— Un infecté à bord nous a quelque peu facilité la tâche, mais ouais, ça s'est bien passé.

La réponse de Eden la fit sourire ; depuis deux ans que Jelena et le mouvement du ''Phoenix'' était passé au pouvoir, ce n'était pas la première fois que Eden et Jon se lançaient dans ce genre de missions suicide. Sans aller jusqu'à parler d'habitude, elle ne pouvait nier qu'ils possédaient désormais une certaine aisance dans le pillage de trains.

Jon venait de passer un bras autour des épaules de Erwan pour le tenir bien droit contre lui, lui parlait doucement, pour attirer son attention.

— Allez, avale ça Wanou.

— L'appelle pas comme ça, c'est ridicule, le rabroua Eden.

Jon lui coula un regard en biais, décida de l'ignorer, tout en faisant avaler la gélule à ce qui depuis le temps, se rapprochait plus d'un petit frère que d'un simple camarade de foyer.

— Amali, tu te rends compte qu'on va pas pouvoir continuer comme ça ? s'enquit Eden. Il a besoin de vrais soins, d'une vraie prise en charge par des pros. Il est super mal en point là.

Comme pour confirmer ses dires, Erwan se plia en deux, en proie à une quinte de toux qui aussi violente que bruyante, s'acheva sur un rejet de glaire à la couleur jaunâtre. Jon déglutit, écœuré par la vision de la glaire sur les couvertures, tandis que son meilleur ami pointait le rejet d'un doigt équivoque.

— Parce que tu crois que les ''pros'' comme tu dis prendront en charge un résistant sans bracelet de reconnaissance ?

— Il faut tenter. Tu vois bien qu'il... qu'il tient plus là. Après tout ce qu'on a vécu, le perdre comme ça serait juste ridicule.

— Eden a raison, ajouta Jon, le plus jeune toujours serré contre son flanc.

— Eden a toujours raison avec toi.

Jon roula des yeux, retourna complètement à la prise en charge de Erwan tandis que Amali et son meilleur ami, d'un regard froid, se jaugeaient d'un bout à l'autre de la pièce.

Amali se rendait bien compte du problème, de l'état plus que critique de Erwan : entre sa fièvre qui ne baissait plus, sa toux grasse et les glaires qu'il recrachait avec douleur toutes les heures, elle ne pouvait nier que ce qu'elle pensait être un rhume, n'en était pas un, et qu'il fallait le soigner au plus vite.

Cependant, et c'était là qu'était le problème, aucun médecin compétent ne prendrait le risque d’ausculter pire, de soigner un adolescent non déclaré, sans bracelet.

Et ça, Eden ne semblait pas vouloir le comprendre.

— Avec toute la morphine qu'on a récupéré, on a largement de quoi acheter deux faux bracelets et...

— Et puis quoi encore ? tonna la voix de Yannick. Tu as envie que la milice nous tombe dessus ?

— Plutôt ironique de la part de celui qui nous a sciemment envoyé piller les stocks de morphine d'un train.

Yannick dans l'encadrement de la porte, secoua la tête, vint s'asseoir près de Jon et Erwan pour jauger l'état du plus jeune, de ses joues rouges et luisantes de sueur à son souffle sifflant, il laissa son visage se décomposer.

— C'est pas idiot comme solution, nota Iverick, depuis le couloir. Le gamin a pas tort, on peut largement se faire fabriquer deux faux bracelets de reconnaissance avec toute la morphine qu'ils ont rapporté.

Amali siffla entre ses dents serrées, démunie de ne pas trouver de soutien du côté de Iverick qui pourtant, était souvent du côté le plus rationnel des décisions. L'ancien caporal venait de passer la porte, un plateau sur lequel trônait plusieurs sandwichs ainsi qu'une bouteille d'eau entre les mains.

D'un pas tranquille, il distribua le contenu de son plateau à Eden, Jon et Yannick avant de s'asseoir sur le rebord d'une commode. Il semblait réfléchir activement à une solution au problème que soulevait Erwan avec la maladie qui de jour en jour, le rongeait de l'intérieur sans possibilité d'être soigné dans la légalité.

— Christine peut pas s'occuper de lui ?

— Elle était pharmacienne avant, pas médecin, rétorqua Amali.

— Et...

— Non. Les pharmaciens ne sont rien d'autre que des médecins ratés. Erwan doit être vu par quelqu'un de compétent, asséna Eden, vif.

Amali laissa malgré elle un rire lui échapper, n'arriva pas à se rattraper à temps. Jon l'imita, sous le regard effaré de Yannick.

— La tension te rend drôle Eden, sourit l'éducateur.

— Je cherchais pas à l'être. Et on a toujours pas trouvé de solution pour...

Il s'interrompit lorsque dans la pièce, une alarme assez puissante pour couvrir leurs voix s'éleva des différents hauts-parleurs. De marbre, tous se jaugèrent avec hébétement, avant que Amali ne décroche son talkie-walkie :

— Un problème ?

— Un ordre vient d'être donné à la milice qui patrouille dans le coin, répondit la voix du garde de nuit. Et c'est pas bon pour nous.

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