Chapitre 44

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Jeudi 04 janvier 2024, 12h41

    En moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire, tous furent habillés, équipés de leur uniforme et réunis dans une petite salle réservée aux situations d'urgence. La ''base'' qu'ils avaient réquisitionnés depuis leur départ d camping, n'était ni plus ni moins qu'un ancien foyer de jeunes travailleurs assez excentré pour ne pas attirer l'attention. Constitué de cinq étages, le bâtiment accueillait en son sein plusieurs membres de la Résistance, quelques mutants qui sans partager leur point de vue, n'étaient pas non plus du côté de Jelena et qui, depuis quelques temps, craignaient de la montée en puissance d'un groupuscule devenu de plus en plus imposant, les Humanfirst.

Les deux derniers étages étaient réservés aux dortoirs et aux sanitaires, le troisième à plusieurs salles d'entraînement physique et d'une salle commune, le second des cuisines et des espaces repas. Quant au premier, le plus accessible, bien qu'il ne fut pas celui comportant le plus de passage, était monopolisé par leurs installations de surveillance de la milice alentour, de leur documentation et surtout, d'une multitude d'ordinateurs récupérés à droite et à gauche pour assurer le bon maintien de leur niveau technologique.

Jon fut le dernier à rentrer dans la ''salle de réunion'', et referma la porte derrière lui dans un geste lent. Dans la précipitation, il avait trop serré son harnais mais, ce n'était pas le moment de marmonner à ce sujet ; l'heure était grave.

Eden et lui se tenaient l'un près de l'autre, et partageaient une expression épuisée, cause de leur dernière nuit sans sommeil, passée à monter à cheval et à sauter de train en marche.

Le garde de nuit, Adrien, un ancien gendarme, gesticulait en tous sens devant son ordinateur, et expliquait à Amali à grands renforts de geste comment il était possible que l'ordre suivant eut été donné : « Entamez les recherches, on a la confirmation qu'une branche de la Résistance se cache dans le coin : deux d'entre eux ont été vu cette nuit dans la ligne de train Paris-Lyon, et ont sauté aux alentours de Mâcon. J'exige un rapport d'activité dans vingt-quatre heures, et n'oubliez pas, couvrez un maximum le périmètre. Ces mutants sont dangereux et n'agissent sans doute pas seuls, alors soyez prudents ».

— Pourtant, on a éliminé le contrôleur, souffla Eden.

— Il a peut-être survécu a...

Eden pencha la tête vers lui, le couvrit d'un regard équivoque, un sourcil froncé, l'autre haussé.

— Ouais non c'est vrai, il aurait pas pu survivre à ça.

— On sait comment ils nous ont reconnus ? s'enquit Eden, assez puissant pour que tous puissent l'entendre.

Adrien et Amali se concertèrent d'un regard avant de faire signe aux garçons d'approcher. Une fois postés devant l'écran, chacun put constater la présence de leur visages sur ce qui semblait être une photo-capture de caméra de surveillance.

— … merde, murmura Jon. Elles étaient où ces caméras ?

— Visiblement un peu partout dans la rame. J'ai bien peur qu'elles aient tout filmé et qu'elles aient donc pu prendre en capture le moment où vous avez sauté du train, vers Mâcon. C'est pour ça qu'ils couvrent le périmètre là-bas.

Tandis qu'il inspirait lentement pour tenter de retrouver un semblant de calme, Jon commença à trépigner d'un pied sur l'autre, à l'étroit dans son harnais mais aussi dans sa cage thoracique qui se resserrait comme un étau mortel autour de ses poumons. Il savait qu'Eden et lui n'y étaient pour rien, mais de voir son visage sur les captures de la caméra de surveillance ne lui plaisait pas.

— C'est pas la peine de se mettre en mode alerte tout de suite, tenta Eden. Ils nous cherchent dans le Mâconnais, et on est genre à...

— … à quinze minutes de Villefranche. S'ils veulent vraiment nous retrouver, ils nous retrouveront.

Les sautillements de Jon s'intensifièrent à mesure que son angoisse augmentait, et que le ton entre Amali et Eden montait.

Depuis quelques temps déjà, tous avaient pu remarquer les désaccords fréquents entre l'ancienne éducatrice et Eden, sur des sujets divers et variés. Amali qui avait désormais aux alentours de trente ans, n'hésitait plus à se confronter avec le plus jeune qui de son côté, affirmait ses idées et ses choix avec mordant. Jon avait toujours connu son meilleur ami comme quelqu'un à la langue acérée et l'esprit affruité, mais face à une Amali gorgée de détermination et de tension, il pouvait parfois avoir du mal à riposter.

— Pour le moment l'important c'est pas d'y aller frontal avec Jelena, mais de trouver un moyen de guérir Erwan !

— S'ils nous tombent dessus avant qu'on ait pu agir, alors trouver un médecin compétent ne servira à rien !

— Il n'y a que Jon et moi sur ces enregistrements. Il suffit qu'on aille montrer nos tronches sur d'autres enregistrements de caméras de surveillance à bonne distance d'ici pour vous écarter du danger. C'est aussi simple que ça, gronda Eden.

— Entre le marché noir de bracelet et les plans suicidaires, tu es inventif aujourd'hui.

Avant que Eden n'ait pu répliquer, Yannick s'était interposé, figure inébranlable entre les deux forts caractères qui se livraient bataille. Amali fronça les sourcils, toutes griffes dehors.

— C'est stop. Amali tu vas avoir trente ans, essaye de te tempérer et Eden ? Du calme, ce n'est pas la peine de t'énerver comme ça. D'ailleurs, je pense que ce ne serait pas du luxe que Jon et toi alliez dormir pour récupérer un peu. On sait très bien ce que donne vos échanges lorsque vous êtes crevés.

— T'as raison, je vais aller me coucher, vu que c'est moi qui ai tort, siffla Eden en faisant volte- face.

Sans plus prêter attention aux veines tentatives de Yannick pour calmer le jeu, Eden traversa la salle en sens inverse, Jon sur les talons.

Leur trajet jusqu'au dortoir du quatrième étage fut rapide, bien que leur corps ne puissent plus encaisser le moindre effort musculaire. Jon, bien que ses muscles furent renforcés par sa mutation, sentait chaque de ses fibres trembler sous l'effort, chaque pas coûteux et lent.

La porte de leur dortoir claqua derrière eux, surprit Erwan qui depuis leur départ, ne s'était pas vraiment rendormi. L'adolescent battit des cils, dévisagea Eden et Jon avec intérêt, avant de hausser un sourcil :

— Ça va pas ?

— Si si t'inquiète pas, répondit Jon.

— Non, ça va pas du tout, répliqua Eden, au même moment.

Les deux jeunes hommes se dévisagèrent un instant, avant que Erwan ne capte à nouveau leur intention d'une quinte de toux rauque.

Aussitôt, Eden et Jon furent à son chevet, prévenants et soucieux des joues écarlates de l'adolescent.

— Et Amali veut prendre son temps, gronda Eden.

— Arrête avec ça. Essaye de comprendre son point de v...

— On a de quoi le faire soigner, alors je vois pas pourquoi on reste ici à attendre que sa fièvre l'emporte.

Erwan blêmit, frissonna des pieds à la tête, sous le regard agacé de Jon qui, d'un coup de coude assez violent dans les côtes de son meilleur ami, lui fit connaître son point de vue sur sa remarque tout sauf fine.

— Il reste du miel ? s'enquit le plus jeune.

— Bien sûr. Je vais t'en chercher.

Sans laisser le temps à Jon de le retenir, Eden se releva et quitta le dortoir, la tête enfoncée entre les épaules, voûté.

Le temps qu'il revienne, Jon eut le temps de prendre la température de Erwan – affolante – et de changer les draps de son lit, trempés de sueur.

Eden avait raison, il n'était plus question d'attendre et de chercher des solutions qui peut-être, ne pourraient jamais être mises en place. La pandémie leur avait déjà arraché Jason, Mehdi, Elies, une bonne partie du groupe des Tous Petits et tant d'autres qui ne méritaient pas de mourir dans de telles circonstances. Il était hors de question que Erwan soit le prochain sur la liste pour une question de sûreté illusoire.

— Jon ?

— Dis-moi ?

— C'est pas dangereux pour vous de rester près de moi comme ça ?

— On a pas de terrains à risque. Pas comme toi.

Erwan hocha doucement la tête, se laissa retomber contre son oreiller, vidé. La fièvre, la fatigue et son impuissance à se tenir prêt à agir alors même qu'il sentait l'orage arriver le dépassaient. Il se sentait si faible, si lourd à maintenir ainsi étendu dans son lit depuis deux semaines.

Jon capta son regard, ouvrit la bouche pour lui adresser quelques mots lorsque la porte se rouvrit à nouveau sur Eden, un pot de miel bien entamé entre les mains.

— Pas besoin de l'accord d'Amali.

— Eden t'es en boucle là, maugré Jon en secouant la tête.

Son meilleur ami l'ignora, vint porter le pot de miel au souffrant avant de se poster face à lui, bras croisés :

— Si on se débrouille bien, on peut mettre la milice sur une fausse piste, et gagner du temps. Comme ça eh bien... on pourra faire soigner Erwan en sécurité et tout ira bien.

— T'as pas l'air convaincu de ce que tu dis.

— Si si.

Jon haussa un sourcil, indiqua à son vis à vis qu'il n'était plus dupe au point de croire chaque mot qui pouvait franchir ses lèvres, et l'invita d'un mouvement tranquille à s'ouvrir sur ce qui le tourmentait.

— Il faut agir vite c'est tout. Et là bah on fait rien et ça me stresse.

— Eden, relax. Je vous accorde le même crédit à Amali et à toi, mais s'il y en a un seul à suivre, tu te doutes bien de qui je choisirai. Alors dis-moi ce que tu as en tête, et on fonce.

Jeudi 04 janvier 2024, 15h39

    L'atterrissage fut plus brusque que prévu, lui coupa le souffle alors que durement, son corps heurtait le sol dur de la salle d'entraînement. Dans un pique de douleur aussi vive que prenante, Nathan sentit son dos se tordre d'une façon inconfortable. Étendu à même le sol, il prit le temps de reprendre son souffle avant de se redresser en position assise, passa une main entre ses mèches humides.

À l'autre bout du terrain d'entraînement, Matteo se tenait bien droit, d'épaisses lianes ancrés dans le sol tout autour de lui, menaçantes. L'homme haussa un sourcil dans sa direction, lui fit signe de se relever de la main, avant de bondir en avant.

Nathan pesta, eut juste le temps de croiser ses bras devant son visage, d'activer son don et d'ainsi se protéger d'un dôme de protection translucide. Matteo ralentit le pas à la vue de la barrière opaque autour du jeune homme, chercha une faille pour percer la défense de son vis à vis, en vain. Les dômes de Nathan, pour peu qu'il y accorde une concentration et une volonté suffisante, pouvaient résister à toutes les attaques possibles et inimaginables, qu'il s'agisse d'attaques frontales portés par la mutation, ou face aux simples armes de poings.

— Nate, ça a aucun intérêt de faire ça, le rabroua Matteo.

L'ancien infirmier croisa les bras sur sa poitrine, battit des cils pour rompre l'usage de ses capacités surnaturelles, avant d'indiquer à Nathan de faire de même. À bout de forces, le jeune homme abaissa à son tour sa garde, fit disparaître son dôme de protection avant d'accepter la main tendue que Matteo lui proposait pour se relever. En une seconde, il fut sur pied bien que chaque fibre de ses muscles fatigués semblaient vouloir lui faire faux bond.

Matteo le laissa se reprendre quelques longues dizaines de seconde, atténuer les battements erratiques de son cœur, refaire le point sur la situation.

Afin de se garantir une longueur d'avance sur toute tentative de renversement potentiel, Jelena insistait auprès d'eux sur un point primordial dans sa stratégie de contrôle : il fallait qu'à tout moment ses troupes soient opérationnelles mais surtout, entraînées. Depuis qu'ils avaient renversé le gouvernement deux ans auparavant, chaque jour rimait avec renforcement musculaire, entretien et développement des dons, qu'ils soient offensifs ou non. Chaque jour rimait avec douleur physique et psychologique, celle pour Nathan de ne pas pouvoir rivaliser avec la moitié des autres ''soldats'' dont s'était entourée Jelena. Ne serait-ce que pour tenir tête dix secondes face à Vasco ou Théo, il lui fallait mettre en place une stratégie de protection instantanée, ne pas leur laisser le temps d'attaquer les premiers. Voilà à quoi se résumait son don en quelques sortes : anticiper, et faire barrière aux attaques.

— Tu veux aller boire un coup ? s'enquit Matteo.

— Je veux aller me jeter d'une falaise oui.

— Nathan te bile pas, on a tous des jours sans.

Le jeune homme grinça des dents, avant de s'éloigner de son adversaire pour rejoindre la bouteille d'eau qu'il avait abandonnée à l'entrée de la sale. Dans l'entrebâillement de la porte, il distingua les éclats de voix de Vasco et Jelena, trop proches pour n'être que de passage dans le coin.

Sans surprise, il vit bientôt apparaître les deux mutants dans une démarche presque synchronisée. L'une arborait un air grave, tandis que l'autre tenait entre ses mains plusieurs longs bâtons d'entraînement au maniement de l'épée.

— C'est quoi ça ?

— N'interprétez pas mal ce que je vais vous dire mais...

Jelena se tut un instant, coula un regard interrogateur à Vasco qui se contenta de hausser les épaules.

— Si on doit se retrouver à croiser Jon sur notre route, il vaut mieux être préparés.

Nathan marqua une pause, laissa son regard sauter des bâtons d'entraînement au rictus dubitatif et figé de Vasco qui sans se faire remarquer par Jelena, roula des yeux.

— C'est à dire ? interrogea Matteo.

— On peut pas le blesser par balles alors il faut prévoir un autre moyen de le contenir en cas de problème.

— Depuis quand il est question de faire du mal à Jon ? J'ai loupé un épisode ?

La remarque de Nathan soulagea Vasco, qui n'en montra cependant rien, préférant lâcher sans douceur son chargement aux pieds de ses pairs. Jelena secoua la tête, reprit une certaine contenance avant d'exposer ses crainte sur un éventuel retournement de situation du côté de la Résistance, sur une hypothétique remontée au front.

— Tout ça à cause du train ? récapitula Nathan.

— Mieux vaut être prudents. On est plus puissants qu'eux, ça ne fait aucun doute mais à choisir, je préférerai ne pas avoir à déplorer de blesser graves à cause de Jon. Si nous avons réussi à travailler nos dons et les développer à leur plus haut potentiel, nul doute que du côté de Amali, ils ont dû suivre le même schéma.

— Admettons, grogna Vasco, de mauvaise humeur. Et pour Erwan on fait comment ? Et Eden ?

— On sait déjà quelle parade adopter face à Jon, c'est pour ça que je vous demande de la travailler. En ce qui concerne les autres mutants de la Résistance et notamment Erwan et Eden, je suis dessus depuis l'annonce de leur réapparition hier. Ne vous trompez pas, je ne sous-estime en aucun cas la puissance de frappe de vos anciens camarades, bien au contraire.

Tandis que Jelena s'éloignait pour entreposer les bâtons de bois sur une étagère de la salle, Nathan alla se poster aux côtés de Vasco, bras croisés. L'un comme l'autre pouvaient aisément deviner la réelle crainte qui se cachait derrière les discours pompeux de Jelena. Deux ans plus tôt, et alors qu'elle venait tout juste de prendre le pouvoir, sa plus grosse crainte pouvait se résumer en un seul mot, un seul prénom : Amali. Amali qui était pourtant sans pouvoir, sans don, une simple humaine certes immunisée mais qui techniquement, ne représentait aucune menace. Non, ce que Jelena craignait vraiment de la part de l'éducatrice, était plutôt son charisme, sa détermination et surtout, la faiblesse dont elle était victime dès lors qu'elle se retrouvait proche d'elle.

Nathan avait su repérer dans les premiers mois, les tentatives vaines de Jelena pour cacher le manque et l'envie irrépressible de partir à la recherche de Amali. En somme, tomber sur Eden et Jon sur les images de surveillance était une aubaine pour elle, un prétexte pour relancer les recherches et peut-être, remettre la main sur celle qui pourtant, représentait son plus gros point faible.

— Elle sait que Erwan peut littéralement faire voler des bagnoles ? souffla Vasco, tout bas.

— Elle est dépassée je crois.

Son ami tourna vers lui un regard entendu, avant de héler leur chef afin de l'aider à ranger le matériel.

Resté seul auprès de Matteo, Nathan soupira, repoussa en arrière quelques mèches de cheveux rebelles, tout en suivant l'évolution de Jelena et Vasco d'un œil attentif.

Il avait beaucoup appris sur Jelena depuis leur emprisonnement au centre jusqu'à leur arrivée au pouvoir. Il savait que plus que tout, c'était la trahison de la justice en laquelle elle croyait qui avait bousculé Jelena. Qui l'avait rendu déstabilisée et fragile. Et alors même que la Résistance pourrait potentiellement faire son retour dans l'équation, alors même que le problème des Humanfirst n'était toujours pas réglé, il commençait à douter de la marche à suivre. Il ne pouvait prévoir comment réagirait Jelena si elle venait à se retrouver en face de Eden, Jon, Iverick ou Erwan. Ou pire, si elle venait à se retrouver face à Amali. Tout ce qu'elle avait mis si longtemps à construire pourrait, d'un simple regard de son ancienne éducatrice, s'effriter, se fissurer, puis se briser.

Nathan n'aimait pas l'incertitude, et cette simple vidéo de surveillance venait de les y plonger la tête la première, sans filet de sécurité.

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