Chapitre 50

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Mercredi 17 janvier 2024, 01h03

   Éclairé à la seule lumière de la lune, Eden courrait aussi vite qu’il le pouvait. Ses pieds foulaient brutalement feuilles mortes et sentiers boueux, perçant à travers la forêt à la poursuite du quatrième intrus. Il voyait la silhouette de sa cible à quelques mètres devant lui, savait qu’il allait finir par le rattraper.

— Arrête-toi ! ordonna t-il.

Il savait pertinemment que son don ne marchait pas sans que la personne ne soit au moins face à lui, mais quelque chose l’empêchait de rester silencieux. Et de savoir Erwan et Jon à la merci des trois autres intrus le terrifiait : Jon était blessé, peut-être gravement, et lui courrait à travers bois après le dernier intrus ? Où était la logique ? De plus, il n’était pas certains que leurs assaillants ne soient que quarre . Pourquoi attaquer à un nombre aussi bas ? Soit les Phœnix se moquaient vraiment d’eux et de leur force de frappe, soit ils avaient bel et bien perdu la tête.

Alors qu’il commençait à s’essouffler, leur course durant depuis dix minutes déjà, le ciel sembla lui faire un cadeau car devant lui, l’intrus trébucha sur une racine, avant de lourdement s’étaler de tout son long dans une flaque de boue. Les bruits d’éclaboussure ravirent Eden qui se hâta de bondir au côté de sa cible pour l’immobiliser de son talon entre les reins.

— Bouge plus, gronda t-il.

— Putain bouge de là Eden.

Abasourdi, le jeune homme sentit un frisson lui remonter des reins jusqu’à l’échine, avant de donner l’opportunité à son vis à vis de se retourner pour lui faire face.

— Vasco ?

Brusquement, Vasco se dégagea pour se redresser : d’un geste du bras, il tenta de retirer un minimum de la boue qui lui maculait le visage et lentement, s’insinuait dans ses narines.

— Pourquoi tu m’as suivi…, grinça t-il tout bas. Tu aurais pas dû me suivre mais rester avec Jon, tu…

— Wouah, on appelé ça être le dernier des abrutis, s’esclaffa la voix amusée de Théo, quelque part autour d’eux.

Vasco se tendit, bien qu’il sache pertinemment que ni Eden, ni Théo ne pouvait s’en rendre compte. Dans le peu de luminosité qu’offrait la lune presque pleine, il discerna Eden se mettre en position défensive, tous les sens en alerte. Ses yeux comme deux torches s'illuminèrent de leur caractéristique teinte verte qui même des années après sa mutation, fascinait toujours autant Vasco.

Dans un froissement de feuilles mortes, Théo apparut bientôt, l’éclat de ses yeux camouflé derrière les verres carrés de ses lunettes.

— Bien joué Vasco, sourit-il en venant poser une main sur son épaule. Dis Eden, à quel moment tu t’es dis que le plus qualifier pour prendre en chasse un mec dans les bois en pleine nuit, c’était toi ? Je veux dire, de tous ces connards de résistants, t’es pas le plus… imposant, on va dire ça comme ça.

Eden grinça des dents, mais ne répondit rien, préférant se murer dans un silence de circonstance.

Tout autour d’eux, du mouvement, des bruits de pas sur les feuilles mortes mouillés commencèrent à se faire entendre. Peu à peu, la majeure partie de la troupe envoyée au FJT et patrouillant dans les bois se réunissait, pour former un attroupement compact autour d’eux. Vasco observa Eden se tendre, jeter de brefs regards en tous sens : sans doute comprenait-il son erreur, celle d’être parti seul à sa poursuite, pour se retrouver ainsi pris au piège au milieu d’une bonne quinzaine de soldats du Phoenix. Quelques secondes, personne n’osa parler : seul le murmure du vent dans les branchages accompagnait le piège qui venait de se refermer sur Eden, brutal.

— Reculez, tenta le résistant, fébrile.

— Attrapez-le, ordonna Théo d’un ton glacial.

En quelques secondes à peine, et ce malgré ses veines tentatives pour se défendre, Eden fut maîtrisé : les poings liés dans le dos, les yeux bandés par un morceau de tissu à la propreté discutable, il fut forcé à s’agenouiller dans la boue. La sensation de se retrouver ainsi, vulnérable et sans possibilité de lutter face à ses anciens camarade le rendait fou.

Nathan, qui les avait rejoint entre temps, se tenait près de Vasco, et observait leur ancien camarade secouer de tremblements - de peur ou de colère, ils ne le sauraient jamais.

— Qu’est-ce qu’on fait, on le ramène à Jelena ?

— Non, objecta Théo avant que quiconque n’ait pu répondre. L’ordre était clair : faire passer le message à la résistance. Qu’ils sachent à quoi s’attendre si l’envie les prenait d’aller confronter Jelena. Et puis…

D’un air critique, Théo dévisagea le résistant, qu’il toucha ensuite de la pointe de sa chaussure dans une grimace dégoûtée.

— Soyons honnête, son don est cool, mais comment voulez-vous le forcer à l’utiliser pour nous ? Plus têtu que ce mec, tu crèves.

Les gestes de Théo, ses mots, ne firent pas rire Nathan qui d’un toussotement, lui signifia de se calmer. Le plus jeune releva la tête vers lui, haussa un sourcil avant de revenir à Eden, toutes griffes dehors. La situation l’excitait, il éructait l’impatience par tous les pores.

— À la rigueur, Jon aurait pu nous être utile : il est puissant, et bien plus malléable que Eden, c’est certain. Mais le but de la mission n’est pas de ramener qui que ce soit, objecta Vasco. On a fait notre taff, on a qu'à le laisser là : les résistants sont prévenus on…

Vasco s’interrompît, sidéré. Un rire moqueur, premier son à franchir les lèvres du prisonnier depuis qu’il était ligoté, surprit tout le monde. D'un regard critique, il toisa Eden, le maudit sans mot dire : il s'apprêtait à le dégager de la mauvaise posture dans laqeuelle il se trouvait, et voilà qu'il riait ?

— Et d’où tu crois que Jon vous aurait obéi ? Tu t’avances un peu vite là, il est pas comme vous, il a des principes.

— Oui, parce que Jon est mieux que tout le monde, 'avais oublié, siffla Vasco. Mais pourquoi je crois ça ? Je vais te le dire mon petit Eden.

Lentement, Vasco se rapprocha, s’accroupit en face du prisonnier pour prendre son menton entre ses doigts, le forçant à relever le visage vers lui :

— Jon, ne tient qu’à deux choses dans ce monde pourri : Amali, e toi.

Il marqua une pause, passa la langue sur ses lèvres s!èches avant de poursuivre. La façon qu'avait Eden de toujours mettre Jon sur un pied d'estale le sidérait : pourquoi serait-il mieux qu'eux ? Mieux que lui ? C'était ridicule, la seule chose que Jon avait de plus que lui, c'était d'avoir choisi de rester auprès de Eden au lieu de suivre ses convictions, ce que Vasco lui, s'était refusé à faire. Et aujourd'hui, il osait lui cracher ces mots à la figure ? Il plaisantait ? La colère bouillonante au creux de son torse, il reprit :

— Et quoi de mieux pour forcer la main à quelqu’un que de s’en prendre à l’une des personnes qu’il préfère en ce bas monde ? Le souci étant que Amali est la chasse gardée de Jelena, et une femme pour qui j’ai un grand respect. Toi en revanche…

Nathan, resté en retrait, tressaillit : quelque chose dans la voix de Vasco avait changé. C’était presque imperceptible, mais bien là : une sorte de lascivité prédatrice qui le mit mal à l’aise. La façon que son camarade avait de s’adresser à Eden, à seulement quelques centimètres de son visage, son sourire en coin et ses phrases lourdes de menaces, tout semblait lui échapper, et ça le terrifiait. Il avait appris avec le temps, à se méfier des sauts d’humeur de Vasco, de la colère bouillonnante qui d’un coup, pouvait surgir sans crier garde et tout brûler sur son passage. Et bien que des années se soient écoulés depuis le foyer, il savait que la relation si singulière qu’entretenaient Eden et Vasco pouvait être un élément déclencheur à ce débordement. La simple présence du résistant près de lui était un facteur à risque. Il savait bien que quoi que puisse en dire Vasco, ce qu'il éprouvait envers Eden était loin de l'indifférence, et à la façon dont Jelena avait décompensée aux mots de Amali, Vasco risquait bien de prendre le même chemin face aux mots de Eden.

— Parce que tu crois vraiment que si Jon avait à choisir entre me sauver et vous rejoindre, ou me laisser périr et rester auprès de la résistance, il choisirait de tout plaquer pour moi ? Vous êtes des abrutis qui le sous-estimez. Jon a de l’honneur, lui.

Un cracha sur les chaussures de Vasco et un coup de pied reçu au visage plus tard, Eden haletant, tentait de reprendre son souffle, le nez en sang. Plié en deux, il fut redressé avec violence par les mains que Vasco venait de passer dans ses cheveux. La pression exercée sur son cou lui faisait un mal de chien, mais plutôt mourir que de donner aux Phoenix la satisfaction de le voir souffrir sous leur prise. D'un mouvement brusque, sans demander l'avis de ses camarades, Vasco remonta le bandeau du prisonnier, révélant ses orbes gorgées de colère. Yeux dans les yeux, les deux jeunes hommes se considérèrent longuement : dents serrées, sourcils froncés, aucun ne s'autorisa à briser le contact.

— T’es bien le seul à pas avoir remarqué que le seul rêve que poursuit ce pauvre Jon depuis des années, c’est de te tringler. Alors crois ce que tu veux, mais entre nous rejoindre pour sauver ton cul ou perdre pour de bon l’espoir d’un jour pouvoir te soulever en restant avec la résistance, crois-moi que Jon portera notre uniforme. Et avec le sourire.

Nathan regarda Eden ouvrir la bouche, la refermer, puis déglutir bruyamment. Il ne savait pas quoi répondre, et son silence exalta d’autant plus Vasco qui se félicita silencieusement d’avoir trouvé les mots justes pour piquer Eden au bon endroit. D'une poigne de fer, il le secoua une dernière fois avant de relâcher sa prise sur les boucles du prisonnier.

— Alors, est-ce que ton Jon est toujours aussi parfait, maintenant que tu sais qu'il est resté dans votre camp pour toi, et non pour ses convictions ?

Eden papillonna des cils, les yeux toujours rivés sur Vasco qui bien que l'ayant relâché, ne s'était pas écarté pour autant, toujours trop près de lui pour son propre bien. Sidéré, il réalisa avec un temps de retard que les yeux découverts, il aurait peut-être pu tenter quelque chose contre Vasco, mais déjà le jeune homme rebaissait son bandeau, le replongeant dans le noir complet.

Dans une enjambée satisfaite, Théo se rapprocha des deux jeunes adultes pour s’accroupir près de Vasco, tout sourire. Vasco tressaillit, étonné d'être ainsi extirpé de sa dualité avec Eden par la présence de son camarade.

— J’ai une super idée pour faire passer un petit message à la résistance, et s’assurer que Eden ici présent ne sera plus un danger pour nous.

Vasco lui jeta un bref regard en coin, quelque peu intrigué par l'excitation qui transpirait dans la voix de Théo, sous les yeux écarquillés de Nathan.

— Vous allez pas… ? osa t-il demander dans une bribe de voix.

— Bien sûr que non. On est pas des monstres. Et puis ce serait contre-productif de le buter.

Ça, Nathan ne pouvait pas le certifier : tout, dans la posture de Vasco et le sourire immense de Théo, lui donnait envie de vomir. Ils ne ressemblaient qu’à deux prédateurs assoiffés de sang devant une proie mourante, ce tableau le répugnait.

À l’éclat brillant de la lame qu’extirpa Théo de sa sacoche, Nathan fit un pas en avant, mais fut bien vite retenu par Vasco, qui s’était relevé.

— Faites pas ça, souffla t-il.

— Vois le bon côté, Jelena le voulait mort, on va juste le rendre inoffensif, c’est tout bénef pour lui.

Ce qui rassura quelque peu Nathan, fut le changement dans la voix de Vasco : de la toute puissance, il était passé au doute. Celui de laisser agir Théo, porté par la folie qui depuis les centre n’avaient cessée de le ronger de l’intérieur. En un instant, sa posture s’était ébranlée : les épaules voûtées, Vasco fit mine de s’éloigner du centre du cercle où il abandonnait Eden aux mains de Théo.

— Vasco le laisse pas faire ça, chuchota Nathan, gorgé d'un espoir minime que son camarade restraigne Théo .

Aucune réponse.

Et pourtant, au premier hurlement de Eden, Nathan vit Vasco frissonner, et baisser la tête.

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