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Jeudi 18 janvier 2024, 06h47

    Au creux de ses poings crispés, Jon se raccrochait aux draps immaculés du lit sur lequel il avait été installé. Dans l’infirmerie de fortune érigée à l’extérieur des ruines du FJT, effondré sous les différentes attaques et ripostes lors de l’attaque des Phoenix, il entendait la pluie battre sur la toile au-dessus de leur tête. L’air était chargée d’une odeur d’herbe mouillée qu’il trouvait écoeurante.

Il n’était pas le seul blessé. Sous le barnum s’alignaient tout un tas de lit où reposaient des résistants blessés, aux os brisés ou à la chair déchirée. Techniquement, les Phoenix n’étaient pas les premiers à blâmer : l’effondrement du bâtiment était la raison principale de tous ces corps alignés dans la souffrance et l’attente de soins.

Malgré tous ses efforts, Jon n’arrivait pas à oublier le regard affolé de Vasco, lorsque leurs yeux s’étaient croisés dans le couloir du FJT. Son expression mêlant culpabilité et inquiétude, quelque chose qui n’aurait pas dû avoir sa place sur le visage de quelqu’un venant d’attaquer une base résistante, et étant sans aucun doute à la base des différents massacres au travers de la région.

— Jon, tu pourrais respirer ? Histoire que je vérifie que le bandage craque pas quand tu auras décider d’inspirer à nouveau ?

La remarque de Erwan lui donna envie de sourire, mais il en était incapable : dieu soit loué, le plus jeune n’était pas blessé hormis quelques égratignures. Malheureusement, ce n'était pas le cas de tout le monde : Amali se retrouvait avec un bras fracturé et Eden, bien qu’il entende toujours les battements lents de son cœur quelque part aux alentours, restait introuvable. Il aurait tout donné pour se lever et aller à sa recherche, mais Erwan l’en empêchait :

— Si tu bouges, ta plaie pourrait se rouvrir, et tu as déjà eu de la chance de pas y passer, lui avait-il murmuré après avoir recousu sa plaie à l’abdomen.

Alors il patientait. Yannick et Iverick étaient partis à la recherche de son meilleur ami quelques heures plus tôt ; il espérait de tout cœur que les Phoenix ne se trouvaient plus dans les bois entourant le FJT, auquel cas eux aussi auraient pu se faire prendre en embuscade.

— J’arrive pas à entendre ce qu’ils disent, maugréa t-il.

— Jon, ça va aller. Ils vont le retrouver. Tu entends ses battements de cœur, il n’est pas mort alors, tout va bien se passer.

Le jeune homme hocha lentement la tête, peu enclin à écouter les recommandations de Erwan. À la place, il préféra fermer les yeux, et s’extraire de la réalité où il ne servait à rien, meurtri et en incapacité d’agir.

    Yannick enjamba une nouvelle série de racines sinueuses, reprit son souffle, tout en balayant la forêt d’un regard circulaire. Le jour n'était pas tout à fait levé, rendant leurs recherches difficiles. Les qualques rares rayons du soleil orangé qui s'infiltraient entre les arbres leur donnait une vue minimale sur l'ensemble de la forêt. Cela faisait presque deux heures qu’ils quadrillaient la forêt, et aucune trace de Eden. Plus les minutes passaient, plus l’évidence que les Phoenix l’avaient emmenés s’imprimait comme une évidence dans sa tête. Ils ne pouvaient néanmoins pas rentrer bredouille au FJT. Le jeune homme devait forcément être quelque part, Jon leur avait assuré entendre ses battements de cœur dans la forêt. L'inquiétude le rongeait de l'intérieur, lui broyait les entrailles à la façon d'une boule de démolition dans son estomac.

Au loin, il vit Iverick sauter du tronc d’un arbre sur lequel il était monté pour avoir une vue d’ensemble des alentours, l’air piteux.

— Je comprends pas, murmura l’ancien caporal.

— Moi non plus, Jon a été formel : Eden est là quelque partl

La fatigue, la lassitude et leur sentiment d’impuissance s’élevèrent autour d’eux comme une dissuasion de poursuivre et pourtant, l’un comme l’autre reprirent les recherches Ils devaient le retrouver, coûte que coûte.

S’ils s’étaient mis d’accord pour opérer dans le silence, Iverick décida d’aller à l’encontre même de cette tactique, et commença à hurler le nom du jeune adulte, ses mains en porte-voix. L’éducateur l’imita bien vite : même si quelques soldats du Phœnix demeurraient dans les bois, il n'en avait plus rien à faire, retrouver Eden devenue sa seule et unique priorité.

Au bout de dix minutes supplémentaires de recherches sonores et désespérées, Yannick s’aventura dans une descente terreuse qu’il n’avait pas encore explorée jusqu’alors et, prit d’un soulagement immense, repéra enfin Eden, où plutôt, son corps inerte étendu à même le sol boueux, entre deux buissons.

— Iverick je l’ai ! Je l’ai ! Viens par ici !

Euphorique d’enfin avoir retrouvé le jeune homme, et défait du poids de l’imaginer aux mains des Phœnix, l’éducateur se mit à courir dans la pente, la semelle trop lisse de ses chaussures glissantes sur le sol boueux.

— Eden ! s'époumona t-il en rejoignant l'adolescent.

Le jeune homme ne réagit pas, à l’entente de son prénom. Plus Yannick se rapprochait, et plus la position de Eden lui tordait l'estomac : ainsi étendu, face contre terre, il aurait pu le croire mort si Jon ne lui avait pas certifié entendre ses battements de cœur. Il accéléra encore le pas, se retrouva rapidement au chevet du jeune homme avant de s'agenouiller dans la boue afin de pouvoir attraper son épaule, et la secouer légèrement.

— Eden, hé…

Face au manque de réaction du jeune homme, Yannick commença à lui tapoter les joues du revers des doigts, de le secouer plus frénétiquement. D'une main mal assurée, il retourna le corps sans vie de l'adolescent, pour découvrir son visage maculé de terre et de sang, aux yeux clos et aux traits figés.

Iverick le rejoignit rapidement, et perçut immédiatement ce que Yannick ne semblait avoir vu : un bandage ignoble et mal fait autour du cou du jeune homme, maculé de sang. Alarmé par la blessure apparente, il bouscula quelque peu Yannick pour s’agenouiller bien en face du jeune homme, et considérer le bandage de plus près.

Le tissu, semblable à un lambeau de vêtement, était grossièrement noué autour du frêle cou de Eden, mais ne cachait en aucun cas la blessure suintante dont l'ancien caporal ne supportait pas la vision. Abasourdis, les deux hommes restèrent longuement à simplement fixer le bandage, comme si le simple fait de ne pas le quitter du regard aller leur donner une explication. Tandis que Yannick continuait de tapoter les joues de l'adolescent du bout des doigts, celui-ci commença peu à peu à sortir de son inconscience. En ouvrant lentement les yeux, il parut étonné de tomber nez à nez avec son éducateur, le dévisagea un instant avant de grimacer de douleur.

Eden, soupira t-il de soulagement en souriant au jeune homme.

D'unemain protectrice, il chassa quelques résidus de terre sèche des joues de l'adolescent, avant de se raidir à nouveau, à la simple vue du bandage.

— C’est quoi ça ? Qui t’as fait ça ?

Son ton, mordant et affolé, fit se figer Eden. Le jeune homme le dévisagea encore quelques secondes, avant d'ouvrir la bouche et d'agiter les lèvres. Yannick ne comprit pas immédiatement, le regarda faire avant de se crisper, les doigts raidis sur la joue de l'adolescent. Se rendant compte de l'absence de sons, Eden laissa ses yeux s'écarquiller d'effroi, tandis que Iverick et Yannick, horrifiés, comprenaient enfin ce qui se passait. Dans un geste convulsif, il porta ses mains à son cou, ouvrit la bouche dans un hurlement muet qui tordit l'estomac de Iverick, manqua faire déchanter Yannick.

— On le ramène, ordonna Yannick, le teint blafard. J’appelle Amali, là je crois que…

— Si c’est ce que je crois, ça dépasse nos capacités. Mais j’ose pas retirer ce truc…

Avec un certain dégoût, une appréhension grandissante à chaque centimètres que ses doigts parcouraient en direction du bandage, Iverick effleura le tissu, constata qu’il semblait coller à la peau de Eden. Le concerné, figé de stupeur, la bouche toujours grande ouverte, le regarda faire sans bouger, les larmes aux yeux.

— Non, je touche pas ça. On y va, je vais le porter.

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