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Jeudi 18 janvier 2024, 08h13

« Les doigts refermés autour de sa gorge accentua sa prise tandis que d’une main affolée, il tentait de repousser le gardien. L’homme en face de lui, son arme à feu dans la main droite, sa main gauche repliée autour de sa trachée, le défiait de bouger encore plus, les sourcils froncés.

— Tu croyais faire quoi là ?

Vasco gronda, voulut répondre, n’y parvint pas : il n’avait plus d’air. À la place de mots, s’échappèrent de ses lèvres sèches un ridicule couinement qui fit sourire son agresseur d’une oreille à l’autre. La pression des doigts se fit encore plus forte.

— Mec tu devrais le lâcher, lança une voix en provenance du couloir.

— Il a essayé de m’attaquer pendant que je vérifiais son bracelet électrique. Il mériterait que je lui case la nuque.

Ses pointes de pieds ne touchaient plus le sol, son seul soutient, le mur dans son dos, lui paraissait si dur et si froid qu’il ne pouvait en retirer un quelconque apaisement. Sa vue commençait à se troubler, manque d’oxygène et larmes combinées, ses pieds s’agitaient toujours dans le vide.

— Sans déconner Gérald, lâche-le.

Il ne comprit pas vraiment ce qui se passait. Cependant lorsqu’il rouvrit les yeux, et que l’air s’engouffra à nouveau dans ses poumons, il était au sol, recroquevillé contre le mur, tandis qu’un second garde venait de faire irruption dans sa cellule, éloignant son collègue.

Une quinte de toux rauque le prit, le plia en deux. La poussière du sol et sa gorge sèche assemblés n’entraînèrent que douleur à chaque inspiration.

Roulé en boule, il regarda le second garde faire sortir celui qui venait de l’étrangler, avant de se rapprocher de lui.

— Est-ce que ça va ? »

— Vasco, est-ce que tu m’entends ? Ça va ?

D’un bond, Vasco se retrouva début, bien ancré sur ses deux pieds, ses doigts crépitants déjà d’une myriade de petites étincelles alors que face à lui, Nathan semblait plus inquiet qu’autre chose.

Un tic nerveux secoue la joue du jeune homme lorsqu’il reconnut les yeux bleus de son camarade, seulement alors il baissa ses mains.

— Tu m’as fais peur, grommela t-il.

— Parce que toi non ? Tu hurlais en te tenant la gorge. Tu rêvais de…

— Pas du tout, le coupa-t-il abruptement. Je repensais à un truc au centre. Rien à voir avec lui.

D’un simple hochement de tête, Nathan acheva l’échange, avant de se retourner pour quitter le dortoir, Vasco sur les talons.

Ce matin-là, sa chemise d’uniforme lui semblait étrangement étriquée, comme si, à chaque respiration, le tissu se rétrécissait et l’empêchait de reprendre son souffle.

Les couloirs de la base étaient presque déserts, tous les participants à l’intervention de terrain de la veille dormaient, où patientaient pour des soins à l’infirmerie. Nathan n’avait pas fermé l’œil.

Trop hanté pour oser fermer les yeux et prendre le risque de se retrouver à nouveau, face à Théo et son couteau, son regard déterminé, Vasco en fuite, les épaules voûtées, et Eden, prisonnier sans moyen de défense, prononçant ses derniers mots avant que l’impensable ne se produise.

Jamais il n’aurait pensé pouvoir être aussi affecté par quelque évènement que ce soit, après la violence que lui et les autres avaient vécu au centres : il se trompait. Mener un groupuscule au travers des différentes bases de la résistance, ne laissez derrière eux que gravas et blessés, faire en sorte de semer la terreur en guise d’avertissement, était-ce vraiment ce pour quoi il avait envie de combattre ? Lors de leur attentat contre la tour abritant le siège du centre Rhône Alpe deux ans plus tôt, leur objectif était clair : revendiquer, faire passer un message sur les actes inhumains qui se déroulaient dans les centres et en faire payer les dirigeants.

Aujourd’hui, voilà qu’ils s’en prenaient de front à des personnes luttant pour cette même liberté qu’on leur avait arraché sous-couvert de leur mutation lors de la crise de deux-mille-dix-neuf.

Des personnes affaiblis, moins armés, pour la plupart pacifistes.

Ce n’était pas lui. Ce n’était plus lui.

— Nate ?

D’un sursaut, il se reconnecta au monde réel, et fit signe à Vasco de continuer, d’un signe de tête.

Le plus jeune, les mains dans les poches de son pantalon, les yeux rivés sur ses pointes de chaussures, marchait d’un pas robotique, mais assuré. Comme s’il a fait peur de s’emmêler les jambes.

— Tu crois qu’il va bien ?

— Tu entends quoi pr là exactement, marmonna Nathan, la gorge sèche. Il peut décemment pas aller bien.

— Non juste… on l’a pas tué hein ?

S’il entendit clairement le trémolo dans la voix de Vasco, il ne lui en fit cependant pas la remarque. À la place, il prit une grande inspiration, et ferma les yeux.

— J’en sais rien mec. Il était pas… en bon état, quand on est partis.

— … ouais, ok.

Vasco n’ajoute rien, préférant se murer à nouveau dans le silence, isolé de la violence en faisant abstraction de sa présence.

Au détour d’un couloir, ils furent plus que surpris de tomber sur Jelena, sans uniforme, les cheveux détachés, comme si elle venait de se lever. D’un regard étonné, elle considéra Vasco, avant d’interroger Nathan d’un haussement de sourcils :

— Vous avez pas bonne mine.

— Ouais. C’est souvent ce qui se passe quand on passe une nuit blanche, rétorqua t-il avec mordant.

Elle ne prit pas la peine de relever la mauvaise humeur de Nathan, se contenta de faire volte-face en leur indiquant de la suivre. Silencieux, ils remontèrent plusieurs couloirs pour déboucher dans le bureau où séjournait Jelena depuis leur arrivée sur Villeurbanne. L’endroit était en désordre, des feuilles traînaient ci et là, des inscriptions sur les différents tableaux n’inspirèrent à Nathan et Vasco, qu’un profond désordre mental dont semblait souffrir leur cheffe. D’un revers de bras, elle débarrassa deux chaises qu’elle présenta aux garçons qui d’un mouvement robotique, s’y assirent, et attendirent.

Plusieurs secondes s’écoulèrent avant que Jelena ne décide de s’asseoir en face d’eux, visiblement mal à l’aise.

— Je sais ce qui s’est passé hier, finit-elle par lancer, la voix étouffée. Et je sais qu’en ce moment c’est un peu… compliqué, entre Bellecour, tout ça… du coup, je voulais savoir si vous aviez envie d’en parler ?

Un instant, Nathan en resta abasourdi : depuis quand Jelena s’intéressait-elle à leur états d’âme ? Discrètement, il coula un regard à Vasco qui, obstinément, fixait un tableau au mur, le visage inexpressif.

— Qui t’as raconté ce qui s’est passé ?

— Théo, souffla t-elle. J’ai appris pour toi Vasco, c’est pour ça, je voulais savoir si tout allait bien.

Piqué au vif, le jeune homme daigna enfin la regarder, les sourcils haussés. De neutre, son expression venait de se muer en une grimace dégoûtée, à la limite du rejet.

Lentement, il se pencha en avant, appuya ses coudes sur le rebord du bureau pour se rapprocher de Jelena :

— Qu’est-ce que Théo t’a dit… ?

— Que Eden t’a pris en chasse après que vous soyez rentré dans le FJT pour inspecter leur matériel informatique, et qu’il t’a attaqué. Violemment attaqué.

Nathan resta muet, considéra longuement l’expression de Vasco, ses traits bouger, se durcir puis se muer en tout autre chose. Ses lèvres, qui se pincèrent avant de se mettre à trembler.

Dans le silence du bureau, tous purent l’entendre avaler sa salive dans une déglutition bruyante, avant que d’une voix saturée par la colère, il ne demande :

— Il t’a vraiment dit ça ?

— … qu’est ce qui se passe Vasco ? Raconte-moi.

Blême, le jeune homme se redressa, contourna sa chaise pour s’approcher d’une haute étagère dont il commença à détailler les tranches des livres qui y étaient entreposés. Ses épaules, secoués de tremblements, inquiétèrent Nathan, firent se tendre Jelena qui dans l’incompréhension la plus totale, ne savait comment réagir.

Elle ne savait de l’intervention, que ce qu’avait bien voulu lui partager Théo, quelques heures plus tôt. La façon dont ils avait agis, la destruction du FJT après un usage trop conséquents de différents dons, l’attaque de Eden, et la façon dont ils l’avaient maîtrisé, pour se défendre.

Le souci étant qu’à la réaction de Vasco, à son corps qui trahissait tous les signes d’un profond mal-être, elle commençait à se se demander si ce qu’avait dit Théo, était vrai.

Les tremblements cessèrent, d’un coup. Comme si la colère s’était envolée, en un claquement de doigts. Ce ne fut que passager cependant, car la seconde d’après, la bibliothèque volait en éclat, détruite par une explosion aussi soudaine que brutale.

— Et toi tu le crois ? Ce petit psychopathe vient te voir pour te dire que Eden m’a pris en chasse, attaqué, et que pour me défendre j’ai dû… on a…

Après la bibliothèque, ce fut au tour d’une commode d’exploser, le bois carboniser sous la force de l’explosion. D’un hurlement de rage, il envoya valser cadres et bibelots.

— Jelena, cracha t-il, ivre de colère, tu crois sincèrement que j’aurais pu être un instant en danger, face à Eden ? À Eden ? Sérieusement ?

— Non, bien sûr que non mais…

— Ce qui s’est passé, ce qui s’est réellement passé c’est qu’effectivement, Eden m’a pris en chasse sans savoir que c’était moi après qui il courait. Et qu’on a finit par l’encercler et là…

Il se tut, à nouveau. La colère viscérale qui brillait au fond de son regard la seconde d’avant, avait disparu. À la place, un vaste vide, qui affola Nathan d’autant plus que lentement, Vasco venait de se rasseoir.

— Ils avaient raison, Jelena, grommela t-il, la voix blanche. Je suis un monstre, tu es un monstre, Théo est un monstre lui aussi et on mérite juste de tous crever.

— Dis pas ça.

— Arrête de te voiler la face !

Les cris étaient revenus, plus puissants encore. Nathan se tassa dans sa chaise, regarda son camarade plaquer ses mains sur le bureau, se redresser pour dominer Jelena de toute sa hauteur.

— On a commis un attentat il y a deux ans, on a instauré un régime totalitaire au stricte opposé de ce qu’on pensait défendre, on a laissé mourir plein de monde, sous prétexte qu’ils n’adhéraient pas à ce que nous pensions, nous. L’autre jour à Lyon, c’est nous qui avons attaqué les premiers en attrapant Eden et en tabassant Erwan. C’est toi qui a cramé la gueule de dizaines de résistants venu certes nous affronter, mais à raison. On leur a gâché la vie. Et là, qu’est-ce qu’on fait ?

Jelena s’était reculée, abasourdie face au visage crispé de Vasco, de ses yeux plissés desquels débordaient de lourdes larmes.

— On massacre des résistants pour se « venger » de ce que Amali t’as dit, alors que ça ne fait que confirmer ses mots, et moi je fais quoi ? Je laisse Théo torturer Eden sans aucune réaction ? J’ai tourné le dos, lorsqu’il l’a mutilé en lui coupant les cordes vocales. J’ai rien dis, j’ai rien fait. Je suis un putain de monstre hypocrite.

D’un regard haineux, il balaya Nathan qui, de marbre, le regardait sans mot dire depuis qu’ils étaient rentrés dans le bureau de Jelena.

— Il est peut-être mort à l’heure qu’il est, parce qu’en plus de lui faire du mal, on l’a abandonné au milieu de la forêt,comme un chien, la gorge ouverte et à peine cautérisée par ce petit fils de pute. Alors vous savez quoi, quand Amali te traite de monstre, elle a raison. Quand Eden me dit que tout ce qui arrive est de notre faute, il a raison. C’est nous les méchants dans cette histoire, et c’est que maintenant que je m’en rend compte.

D’un revers du bras, il s’essuya les yeux, ravala une respiration secouée de sanglots, avant de quitter le bureau, en trombe. Derrière lui, Nathan et Jelena attendirent quelques instants avant de se concerter d’un regard affligé : que venait-il de se passer exactement ?

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