Chapitre 53

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53

Jeudi 18 janvier 2024, 09h36

— Non non non, murmura Amali, les yeux écarquillés, non non…

Face à elle, droit comme un I, tendu comme un arc, se tenait Iverick, la mâchoire serrée. Entre ses bras, à la limite de l’inconscience, Eden, les yeux mi-clos.

Elle avait immédiatement remarqué, au premier coup d’œil, le bandage sanguinolent autour du cou du jeune homme, toute l’horreur qu’il représentait.

D’un pas hésitant, elle se rapprocha, passa une main dans les boucles de l’adolescent pour tenter de capter son attention, en vain. Eden fixait le vide, sans réaction.

— Il…, commença t-elle, la voix blanche.

— Plus un mot. Je sais pas exactement ce que ces petits salopards lui ont fait, mais ils se sont débarrassés de la menace qu’il représentait.

La voix rauque de Yannick surprit quelque peu la jeune femme : jamais encore elle ne l’avait vu dans un tel état de colère glaciale, contenue, maîtrisée bien que l’ébullition fusse à deux doigts de faire exploser la marmite.

— On a pas ce qu’il faut ici, s’empressa t-elle de rappeler, après avoir considéré leur infirmerie de fortune d’un regard désolé.

—Tu as le numéro de la nana qui gère la base d’Annecy ?

Interdite, Amali hocha simplement la tête, les lèvres serrées.

Il était certain que les résistants de Annecy possédaient un matériel et une technologie médicale qu’ils ne pouvaient que fantasmer, mais s’en remettre à eux signifiait leur faire confiance et ça, elle ne pouvait pas s’y résoudre. À plusieurs reprises la base d’Annecy,n tout comme celle de Givors, avait pu faire étalage de leur déviance extrémiste et de leur volonté, en un se sens, de destituer Jelena pour prendre sa place. Malgré tout, il leur fallait impérativement de quoi s’occuper de Eden, et ils étaient leur seule option.

— Je vais essayer de l’appeler. Essayez de pas vous faire remarquer par Jon le temps que je revienne, on va avoir besoin d’être un maximum sécurisant pour lui.

Yannick acquiesça, la laissa s’éloigner. Rapidement, elle traversa une partie des ruines du FJT, desquelles quelques personnes extirpaient du matériel, des couvertures, des conserves de nourriture. Un noeud dans sa gorge, déjà formé depuis le retour de Iverick et Yannick, redoubla et enfla jusqu’à devenir asphyxiant. Depuis qu’elle s’était réveillé entre les mains de leurs infirmiers, elle n’arrivait pas à mettre le doigt sur pourquoi Jelena avait ordonnée cette attaque. Sur pourquoi ses soldats les plus hardis avaient attaqués en pleine nuit, blessés Jon et Eden, et démolis leur résidence sans aucune pitié, à grands coups de dons et de combat.

Craignait-elle une riposte après le massacre des résistants de Givors ? En avait-elle personnellement après elle, depuis les mots grinçants qu’elles s’étaient échangés à Lyon ? Elle ne comprenait pas, et être dans l’ignorance la dérangeait encore plus que si elle avait su les motivations derrière l’attaque.

— Maryam, on a retrouvé des téléphones ? Le mien ?

Maryam, une alliée occupée à organiser les affaires récupérées dans les débris, hocha durement la tête, et extirpa d’un sac son portable, dans un état de marche relatif.

— Pas sûre que ça marche par contre, lança t-elle à Amali, l’air grave.

Sans mot dire, Amali récupéra le petit objet et s’éloigne de la foule, s’isola pour se laisser glisser le long d’un tronc. Épuisée, elle tenta de se débrouiller de sa seule main valide pour déverrouiller l’appareil qui bien que dans un piteux état, fonctionnait toujours.

L’écran pulvérisé rendait la visibilité difficile, mais suffisante pour trouver la fiche contact de Jennifer, la cheffe des résistants de Annecy.

Après une grande inspiration tremblante d’appréhension, elle lança l’appel, la gorge sèche.

— Amali ? S’étonna la voix de Jennifer. Wouah, je pensais que tu étais morte depuis tout ce temps. Que me vaut le plaisir de cet appel ?

Ses mots transpiraient le sarcasme, mais Amali en fit abstraction. Pense à Eden, c’est pour lui, se répétait-elle en boucle.

— Jennifer, répondit-elle finalement. Tu te doutes que je t’appelles pas pour prendre des nouvelles. On a besoin de vous.

— Jon, tenta de l’interpeller Erwan. Arrête de t’énerver comme ça, tu vas faire craquer tes points de suture.

Le jeune homme se retourna vers lui, les yeux écarquillés de rage, le teint blafard. Il semblait à Erwan que chaque fibre musculaire du corps de son ami vibrait de colère, comme s’il allait exploser d’une seconde à l’autre.

— Je vais les buter, rétorqua t-il simplement. Tous ! Nathan, Matteo, Vasco, Jelena ! Et Théo ! Oh putain ouais… lui je vais lui briser les os avant de le laisser agoniser.

D’une certaine manière, à cet instant, Jon lui faisait peur. Tout, dans sa gestuelle, son ton glacial et ses yeux exorbités par la rage, tout chez son ami lui envoyait un message d’alerte, lui criait de ne pas approcher sous peine d’être le réceptacle de sa colère.

Iverick et Yannick avaient retrouvés Eden, oui. Laissé pour mort en plein milieu de la forêt, la gorge ouverte, les cordes vocales tranchées. Un cauchemar, un véritable film d’horreur duquel ils auraient dû se réveiller, mais le constat était bien là : Eden était retombé dans l’inconscience, se trouvait sous une surveillance constante le temps que l’ambulance promis par une alliée de Amali n’arrive, et Jon, suffoquant de rage, tournait en rond depuis.

La simple image de Jon découvrant son meilleur ami le transperçait de tristesse. Il y avait tout d’abord eu la sidération, le déni, l’interrogation puis la colère ,la vraie, et ce malgré les faibles tentatives de Eden pour le contenir. Il lui avait attrapé les mains, tenté de capter son regard, rédigé quelques mots sur un carnet pour le tempérer, mais rien n’y avait fait. En plus de la colère contre Théo et les autres soldats du Phoenix, c’était surtout la culpabilité de ne pas avoir été là pour éviter le drame, qui rongeait Jon depuis bientôt deux heures. Il ne cessait de rabâcher que s’il avait évité le coup, qu’il avait suivi son meilleur ami dans sa poursuite de Vasco, rien de tout cela ne serait arrivé. Et il avait sûrement raison, mais le mal était fait, et il n’y pouvait plus rien.

— Il a toujours eu quelque chose contre Eden, reprit-il.

— Qui ça… ?

— Qui ça, Erwan ! Théo, ce petit enculé de Théo ! Toujours à l’emmerder en lui rabâchant que le Phoenix était un foyer pour garçons, et que les gens comme lui c’était pas normal, et tout ce genre de conneries qui me gavaient déjà lourdement quand on étaient enfants mais là, là… ! Je suis pas un violent Erwan tu le sais, mais là, je vais le bousiller, je te le garanties.

Erwan frissonna, mais se rapprocha tout de même de Jon pour attraper ses avant-bras. Il savait bien qu’il n’avait pas le pouvoir de Eden qui parvenait à calmer Jon de façon naturelle, mais il pouvait au moins essayer.

— Jon. Vraiment, tu devrais t’allonger et arrêter de tourner en rond comme ça. Déjà parce que quand Eden sera remis sur pied, il aura besoin que tu sois là, et pas en train d’agoniser parce qu’est u auras rouvert ta blessure et ensuite parce que je pense que tout ça va vraiment partir en couilles, et là, il faudra que tu sois d’attaque. S’te plaît.

Enfin, Jon daigna le regarder et face à son regard suppliant, baissa sa garde. Erwan soupira en constatant ses muscles se détendre un à un, ses yeux se radoucir, quelque peu.

— Tu as le droit d’être en rage, je le suis moi aussi, mais nous exciter comme ça ne servira à rien.

— C’est pas juste, ils avaient pas le droit de lui faire ça…, répondit-il , la voix blanche.

— Bien sûr qu’ils n’avaient pas le droit, mais tu sais bien que les lois et la morale sont des choses abstraites pour les soldats du Phoenix.

La remarque de Yannick, qui venait de sortir de sous le barnum, termina de détendre Jon. La voix de l’homme, sa posture, son visage, tout chez lui avait le don d’apaiser les colères, même les plus violentes. D’un pas tranquille, il rejoignit Jon et Erwan, les entourera de ses bras pour les serrer contre lui. Bien sûr, Jon était bien plus grand que lui désormais, et Erwan menaçait de le dépasser d’un mois à l’autre, mais il s’en fichait : à cet instant, les garçons avaient simplement besoin de son étreinte et de sa présence, de se sentir soutenus et entourés. Erwan lui rendit son étreinte tandis que Jon se raccrocha complètement à lui, agrippé à sa veste comme à une bouée de sauvetage.

— Ça va aller Jon, calme-toi mon grand, murmura l’éducateur en caressant le dos du jeune homme.

— Non ça va pas aller, ils lui ont pris sa voix. Ils lui ont retiré la parole Yannick, ils avaient pas le droit !

— Je sais. Allez, calme-toi.

Au ralentis, Erwan compris que son ami avait fondu en larmes dans les bras de Yannick. Ses épaules, secouées de sanglots et ses reniflements ne trompaient personne.

Il était dévasté et, intimement, Erwan réalisa qu’en brisant Eden, les Phoenix avaient fait d’une pierre deux coups.

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