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Jeudi 31 mars 2024, 10h39

    Lorsque Vasco ouvrit les yeux, il ne comprit tout d’abord pas où il se trouvait. Rien ne lui semblait familier autour de lui : le mobilier, les murs, la tapisserie et les fenêtres, il ne reconnaissait rien du tout. Aveuglé par la lumière trop forte des néons qui clignotaient au plafond, il dû s’y reprendre à deux fois avant d’enfin pouvoir considérer la pièce, une sorte d’infirmerie rudimentaire qui ne lui disait absolument rien. Ce n’(était ni celle de la base militaire de Villeurbanne, ni celle de la base de Paris, ou encore celle de l’Elysée.

Sans sa tête, tout était flou : du moment où Jon était rentré en trombe dans la salle du foyer où il avait été enfermé jusqu’à ce qu’il ne soit mis dehors avec pour seule consigne de ne plus jamais revenir, tout était clair. Après ça, il se souvenait brièvement d’avoir marché seul, en titubant, anesthésié par la douleur atroce de ses mains, avant de s’écrouler quelque part au pied d’un arbre.

Puis plus rien.

Frustré de ne pas se souvenir de ce qui s’était passé après ça, il tenta de bouger, de se relever mais, pour la première fois depuis qu’il s’était réveillé, il remarqua que quelque chose l’empêchait de se mouvoir correctement. Une sorte de poids, quelque chose de lourd et d’encombrant au niveau de ses bras, comme…

D’une œillade soudainement plus affolé, Vasco manqua hurler en découvrant au bout de ses bras un bloc de ciment où disparaissaient ses mains. Comme une paire de menotte affreusement lourdes et douloureuses. Bien plus agité qu’il ne l’était jusqu’alors, il tenta de se déplacer, de se mettre debout, mais se confronta assez vite à la douleur abominable de ses mains brisées emprisonnés dans le ciment, et à son incapacité à soulever le bloc au risque de voir ses mains se détacher de ses bras.

— C’est quoi ça, s’étrangle t-il.

Alors que ses pensées s’embrouillaient dans une sorte de purée gluante et opaque, la porte de l’infirmerie s’ouvrit pour laisser entrer Nathan et Théo, en grande discussion. Si la présence de Nathan le rassura, celle de Théo le mit hors de lui car, inconsciemment, il était persuadé que le plus jeune avait quelque chose à voir avec sa condition, mais également avec ce qui était arrivé à Amali.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? gronda t-il en désignant le bloc de ciment du menton.

— Ça ? répéta Nathan, glacial. C’est tout ce que tu mérites, espèce de petite merde.

Sa respiration se bloqua dans sa gorge. Les yeux de Nathan, sa voix tranchante, tout dans sa gestuelle et sa posture dégoulinait de colère.

Dubitatif, il demanda ce qu’il se passait, ne reçut en réponse qu’un regard lourd de reproches de la part des deux autres hommes.

Pour la première fois depuis qu’ils étaient rentrés, il remarqua le visage tuméfié de Théo, ses contusions et ses hématomes. S’il ne le connaissait pas, il aurait jurer que l’adolescent s’était fait tabasser mais, Vasco savait bien que personne n’aurait pu autant s’acharner sur Théo sans finir irradié, brûlé au troisième degrés. Deux conclusions ‘imposèrent à lui : soit il avait trouvé plus fort que lui, soit il s’était blessé seul.

— Qu’est-ce qui t’es arrivé ? s’enquit-il d’un ton suspicieux.

— C’est une blague ?

Le rire nerveux de Théo ne fit que confirmer ses doutes : quelque chose sentait mauvais, très mauvais, et il s’apprêtait à en découvrir les tenants et aboutissants?

— Tu vas vraiment faire celui qui se rappelle de rien ? Sans déconner ?

Bingo.

— Tu vas vraiment faire comme s’il s’était rien passé ? Et après vous osez dire que c’est moi le taré ?

D’un rire plus désespéré encore, Théo se rapprocha, s’accroupit en prenant appui sur le bloc de ciment pour considérer Vasco, les yeux dans les yeux :

— Tu pensais vraiment t’en tirer en prenant la fuite après m’avoir défiguré ?

— … pardon ?

— Non, je ne t’accorde pas mon pardon, espèce de foutu connard.

D’un revers de la main, et sans qu’il ne puisse voir le coup venir, Théo le gifla, avant de se redresser, l’air faussement ému par la situation.

Plus sonné par la situation que par le coup, Vasco considéra longuement Nathan, tenta de percer sa carapace glaciale, en vain.

— T’as vraiment pas de race pour avoir fait ça, siffla le plus âgé, la mâchoire crispée. Eden, ou Jon, j’aurais compris mais Amali ? Tu as osé toucher à Amali ?

Dans une déglutition bruyante, il ravala sa salive, sentant l’entièreté de son corps se transformer en glaçon. Une vague de froid qui partit de ses pieds jusqu’à son cuir chevelu le travers a en une fraction de seconde, le pétrifia sur place.

Enfin, il comprenait. Du retour de Jon à sa situation, le scénario de la journée commençait lentement à se réassembler dans sa tête.

Théo avait tué Amali, et tentait de lui faire porter le chapeau.

— C’est pas moi, se défendit-il immédiatement, les yeux écarquillés. Nathan c’est pas moi je te jure, tu peux appeler les autres, les résistants, j’étais avec eux ! Jon m’a trouvé en train de rôder près du foyer qu’ils habitent, il m’a pété les mains et m’a enfermé ! Je te jure que j’ai rien à voir là-dedans !

— Mais bien sûr. Je te crois sur le fait que tu aies été fouiner du côté de là où se trouvait Eden pour te racheter une conscience, mais la suite ? Jon qui te bousille les mains ?

— Tu as vu l’état de mes mains avant de me les couler dans ce bloc de ciment ?

L’affolement le gagnait de seconde en seconde. Il sentait la rage irradier des deux autres jeunes, et savait qu’il ne pourrait rien dire ou faire pour changer ça.

Théo avait su raconter les événements à sa sauce, l’incluant dans un conflit auquel il n’avait même pas assisté, pour lui faire porter le poids de la mort de Amali. L’horreur de la situation lui tordait le ventre : il avait fait des choses odieuses dans sa vie, des choses dont il n’était pas fier mais qu’il reconnaissait, cependant la mort de son ancienne éducatrice n’avait rien à voir avec lui, et jamais il n’accepterait d’être considéré comme coupable d’un tel crime.

— J’aurais jamais pu tuer Amali ! Nathan réfléchis ! Tu m’en crois vraiment capable ?

— Quand on sait que c’est Jon que tu visais à la base, ouais, carrément. C’est peut-être un accident Vasco, n’empêche qu’elle est morte à cause de toi, et ça, c’est juste pas acceptable. Je te laisse imaginer dans quel état est Jelena.

Il aurait tant souhaité pouvoir s’essuyer le front d’un revers de la main, en écarter toute la sueur qui lui dégoulinait de la racine des cheveux jusqu’au yeux mais à nouveau, ses blessures et le ciment le contraignirent. Son souffle se faisait de plus en plus court, à mesure que le scénario inventé par Théo prenait forme dans sa tête : lui, en train de se battre contre un Jon révolté par ce qui était arrivé à Eden. Lui, qui essaye de tuer Jon, et Amali qui se met sur sa route. Théo, ce pauvre Théo, qui assiste à la scène et le confronte, lui assurant qu’il ira tout raconter aux autres. Dans un excès de colère, il le tabasse, et prend la fuite. Plus tard, ils le retrouvent inerte au pied d’un arbre : sa culpabilité est immuable.

— Tu as vraiment gobé l’histoire de ce fou furieux ? Nathan ?

— J'en ai marre de l’entendre jouer la pauvre victime. On l’emmène.

Le ton sans appel de Nathan termina de le pétrifier. Sans qu’il ne puisse dire ou faire quoi que ce soit, Théo le redressa d’une poigne de fer, lui arrachant un hurlement lorsque trop lourd sur ses mains brisées, le bloc de ciment décolla du sol.

— Arrête de gueuler comme ça, t’as que ce que tu mérites.

Sans lui laisser d’autre choix, Théo et Nathan le conduisirent hors de l’infirmerie, et enfin il comprit où il se trouvait.

Un centre de confinement. L’un des vieux centres où à l’époque, les autorités avaient enfermés les mutants et que Jelena avait par la suite réquisitionné pour enfermer ses opposants politiques.

Son cœur se mit à battre encore plus fort, sa tête à tourner.

Non, non, non, pensa t-il alors qu’au détour d’un couloir long et humide, Nathan ouvrit une cellule.

Sans ménagement, Théo le poussa à l’intérieur, se ficha éperdument de voir son corps s’écrouler sous le poids du bloc de ciment et la douleur tétanisante. Dans un dernier regard emprunt de colère, le plus jeune le dévisagea, et secoua la tête :

— Tous tes beaux discours par rapport à la « torture » que j’ai infligée à Eden… T’as pas de face, tu me dégoûtes.

Sans rien ajouter de plus, il claqua la porte dans un grincement métallique, plongeant la minuscule cellule dans une obscurité totale et silencieuse.

Lundi 08 avril 2024, 09h26

     La planche de bois qui avait été taillée et gravée en l’honneur de Amali n’était pas très grande ni très belle. Une simple blanche de bois clair, gravé d’un élégant « Amali Olsen, 1996 - 2024, ‘’Famille et courage, ses maîtres mots’’ » que Yannick avait pris un soin tout particulier à taillé dans une écriture ronde et douce, à la pointe de son couteau suisse.

L’enterrement avait eu lieu une semaine plus tôt, et pourtant, comme tous les matins, Jon était venu s’agenouiller devant le panneau de bois, pour réfléchir et calmer ses angoisses.

Avait-il seulement fermé l’œil depuis qu’il avait vu la jeune femme, criblée de balle, chuter de quatre étages pour s’écraser au sol ? Non, sans aucun doute. Ses nuits, il les passait à déambuler dans les couloirs du foyer, à y croiser Erwan, aussi insomniaque que lui, les yeux cernés et le teint terreux. Ensemble, ils s’asseyaient souvent dehors, dans l’herbe, et restaient à simplement observer la forêt qui s’étendait par-delà le foyer, espérant trouver le sommeil dans l’ennui. Jamais cette technique n’avait marché mais, il y avait quelque chose de rassurant pour eux de se soutenir dans leur cycle infernal de vie sans sommeil. Ils savaient qu’ils n’étaient pas les seuls à combattre l’insomnie : Yannick et Iverick avaient opté pour la solution de facilité : l’alcool pour l’un, les somnifères pour l’autre. Quand à Eden, il avait réussi à trouver un rythme malsain d’entraînement sportif à outrance le jour, et de semi-coma la nuit, pour récupérer des heures infinies passées à courir et à soulever des poids.

Personne n’allait bien, et tous pouvaient assister à leur auto-destruction commune. S’ils continuaient ainsi, Erwan et lui mourraient de fatigue, tandis que Yannick décéderait d’une cirrhose et que Eden, sans doute plus lent à s’éteindre, finirait par se tuer à l’entraînement.

Ils ne pouvaient décemment pas en arriver là. Pas alors que tranquillement rentrés à Paris, les soldats du Phoenix vivaient toujours, sans doute loin d’être rongés par les remords d’avoir abattu Amali.

Ça ne pouvait plus durer. Tout en relisant l’épitaphe de son éducatrice, Jon serra les dents, s’imaginant dans un fantasme profond, étranglant Théo, le brisant morceau par morceau, lentement. Il se faisait peur lu-même, à se laisser submerger par ces idées aussi morbides que violentes mais, qu’y pouvait-il ? Ces actes atroces, il en rêvait depuis que Théo avait levé la main sur Eden. Peut-être bien que lui aussi perdait la raison, finalement.

Dans un soupir, il se releva, considéra encore un instant la tombe rudimentaire.

— Je sais que tu aurais désapprouvé Amali, mais je vais les faire payer. Tous autant qu’ils sont.

D’un regard, il balaya les différents bâtiments du foyer avant de ravaler sa salive, et de s’envoler d’un bond, direction la base militaire de Annecy ou du moins, ce qu’il

En restait.

Jennifer fut plutôt surprise de voir apparaître Jon au milieu de la cour dévastée de la base. Jusqu’alors occupée à contempler les dégâts laissés par l’affrontement de la semaine passée, elle se hâta d’ouvrir la fenêtre pour indiquer au jeune homme où elle se trouvait d’une apostrophe aussi chaleureuse que son corps fatigué le lui permettait.

D’un saut, le jeune résistant sauta jusqu’à sa fenêtre pour rentrer dans le bureau, épousseta son jean, avant de lui tendre la main.

— Il ne t’a pas loupé dis donc, lança t-elle en touchant la brûlure au visage de Jon du bout des doigts.

— C’est moins douloureux que ça en a l’air.

— N’empêche que c’est pas beau à voir. Alors, que me vaut le plaisir de ta venue ?

Jon la regarda s’éloigner pour s’asseoir derrière son bureau où s’empilaient des piles de papiers qu’il reconnut comme étant les fiches de recensement des résistants de Rhône Alpe.

— Combien ? S’enquit-il en désignant les fiches.

— Plus d’une cinquantaine. Un vrai massacre, je comprends pas ce qui a pu déraper à ce point.

— Faire appel aux Humanfirst n’était pas malin.

— Je ne pouvais pas savoir qu’ils s’en prendraient à nous.

— Ils en ont après tout ce qui a muté, alors forcément qu’ils nous attaqueraient. On est pour l’égalité, là où eux veulent que le monde redevienne ce qu’il était avant la prise de pouvoir de Jelena : les humains au pouvoir, et les mutants en prison. Et ils auraient tort de vouloir autre chose vu comme la situation a dérapé avec l’arrivée de Jelena à la tête du pays.

Jennifer hocha pensivement la tête, avant de laisser un long soupir franchir ses lèvres : bien sûr que Jon avait raison et que faire appel aux Humanfirst était stupide cependant, elle voyait dans cette option la meilleure des solutions face aux Phoenix. Et par désespoir, l’esprit peut perdre de sa réflexion.

Elle regarda pensivement Jon faire le tour du bureau,avant de s’asseoir en face d’elle, la lèvre inférieure entre les dents.

— Tu es pas venu jusqu’ici pour me dire que j’avais mal géré les choses, je me trompe ?

— Je veux faire passer un message sur la fréquence de la Résistance au niveau nationale. Je veux remobiliser les troupes, et préparer notre dernière offensive contre les Phoenix. Je veux les voir morts.

À mesure que sa tirade progressait, ses sourcils se fronçaient et sa voix s’alourdissait, un peu comme si dans sa tête, il associait des images à ses mots. Jennifer resta un long moment silencieuse, à simplement fixer l’état de rage et de détermination dans lequel se trouvait Jon. C’était assez effrayant, surtout lorsque l’on savait de quoi le jeune homme était capable.

— Ça fait des mois que personne n’a utilisé cette fréquence Jon.

— Parce que ça fait des mois qu’on a cessé d’être des Résistants. Jennifer, on ne résiste plus, on survit ! On doit changer ça, y’en a marre de se faire massacrer au seul titre que nous essayons d’arranger les choses entre humains et mutants.

Jennifer ne pouvait qu’acquiescer aux paroles lourdes de ressentiments du jeune homme : il avait raison, et ça la tuait de l’admettre. Bien qu’elle ait préparer des hommes et des femmes au combat des mois durant, leur cause n’avait plus réellement de sens car, d’actuellement, ils n’agissaient plus contre la menace. Ils la subissaient. Le dernier évènement en date en était le parfait exemple : sans l’intervention des Humanfirst, Jelena aurait encore eut l’avantage sur eux. Côme à chaque fois, ils auraient dû plier face aux Phoenix et ça, ce n’était plus possible.

Elle comprenait la rage de Jon, les Phoenix avaient fait énormément de mal à son meilleur ami, et avaient tué £Amali, il ne pouvait qu’être écumant de rage.

— Yannick et Iverick savent que tu es ici ?

— Ce ne sont pas mes parents, ils n’ont pas à être informés du moindr ede mes faits et gestes. Et puis, ils seraient contre : pour eux, on a assez souffert, on devrait se retirer définitivement du combat. C’est hors de question. Amali vivait pour l’égalité et la justice : elle ne sera pas morte pour rien.

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