Chapitre 4 - 1

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— Mademoiselle Cervier, veuillez vous habiller, vous allez nous suivre au commissariat.

— Mais…

Le reste de la phrase reste au fond de ma gorge. Dans un effort, je débloque mes muscles et me dirige vers la chambre pour enfiler mes vêtements. Toute discussion serait vaine.

À l'hôtel de police, le commissaire Bergal a pris place à son bureau ; assise face à lui, mes mains moites serrent mon sac. L'inspecteur Marty, derrière moi, s'appuie sur la paroi à côté de la porte. Cécile a tenu à m'accompagner et m'attend dans le couloir.

Le policier laisse entrevoir une impatience latente, ses doigts pianotent bruyamment. Il me fixe en plissant les yeux, semble ne pas trop savoir comment conduire son interrogatoire, se questionnant, je suppose, sur la réalité de mon amnésie. Je maintiens mon regard droit, même si j'ai conscience qu'il exprime une certaine détresse. Que va-t-il encore m'annoncer ? Dans quel pétrin suis-je ?

— Quel jour avez-vous été hospitalisée ? demande-t-il d'un ton sec.

Sa dureté me déstabilise, je dois me reprendre. J'hésite quelques secondes.

— Samedi. Samedi après-midi.

— En êtes-vous sûre ?

Réprimant un tremblement face à son attitude, je murmure mon explication :

— Oui. Mes problèmes de mémoire touchent les événements qui ont eu lieu avant.

La clarté de ma réponse l'étonne.

— Combien de temps y êtes-vous restée ? poursuit-il d'une voix un peu plus calme.

— Je suis sortie mercredi matin, Madame Lumière est venue me chercher.

— Et depuis ?

— Je vis chez elle.

— Pourquoi vous n'êtes pas retournée chez vous ? poursuit-il, les yeux écarquillés.

— Le médecin a estimé que j'avais besoin de surveillance et puis, je ne sais même pas où ça se trouve.

— Vous n'avez pas questionné votre amie ? rétorque-t-il.

J'avale ma salive avec difficulté.

— Si, mais elle me dit qu'on ne peut pas y aller pour l'instant. De toute façon, elle me répond toujours de façon très évasive.

Au fil des questions, je me recroqueville sur mon siège. Baissant les yeux, je continue :

— Elle me cache certaines choses, je ne comprends pas pourquoi et ça m'inquiète.

— Que pourrait-elle vous cacher ?

Je hausse les épaules.

— Je n'en sais rien.

Perplexe, le commissaire fronce les sourcils, il attend quelques secondes puis enchaîne :

— Vous ne vous souvenez vraiment de rien ?

— Je n'ai que des impressions, rien de net. D'ailleurs, tout ce qui me revient est désagréable, pénible, dis-je en tordant mes doigts.

— Expliquez-moi ça, demande-t-il de sa voix implacable.

— Il me semble percevoir des cris, des bruits sourds comme des chocs. Tout est tellement…

— Tellement quoi ? s'impatiente-t-il.

— ça me fait peur, prononcé-je à contrecœur.

Son agacement reprend le dessus, sa phrase fuse sans ménagement :

— Vous vous êtes battue ?

— Je ne sais pas.

— On vous a frappée ?

— Je ne crois pas.

Mon air effrayé ne l'arrête pas.

— Qui crie ?

— Je… je ne sais pas, soufflé-je sur un ton presque désespéré.

— C'est une voix d'homme ou de femme ?

— D'homme, je pense, elle est grave.

— Connaissez-vous cet homme ?

Je le regarde, étonnée.

— Je…

— Vous le connaissez ? assène-t-il un ton plus haut.

— Je ne sais pas. Mais à quoi riment toutes ces questions ? rétorqué-je, laissant percer mon irritation et mon angoisse.

— J'essaie de comprendre, de reconstituer ce qui vous est arrivé, ce qui s'est passé.

Mon cerveau tente d'aller plus loin, sans y parvenir.

— Mais quel est le rapport avec l'accident de… Patrick Grenas ?

— Pensez-vous qu'il y en a un ? enchaîne-t-il.

— Comment pourrais-je le savoir ? réponds-je, paumes tournées vers le haut.

Ses yeux froids sont rivés aux miens. Appuyé des deux mains sur les accoudoirs de son fauteuil, il se penche vers moi.

N'osant pas bouger, j'agrippe les côtés de mon siège. Je n'y comprends rien. Si seulement mes souvenirs revenaient. Ma voix s'est bien rétablie, le reste devrait suivre. Combien de temps vais-je encore lutter ?

— Comment avez-vous occupé votre temps ces derniers jours ? reprend-il après quelques secondes.

— à des tâches du quotidien.

— C'est-à-dire ?

— Ménage, cuisine…

— Rien d'autre ? insiste-t-il.

— J'ai lu des magazines, discuté avec mon amie, constaté-je, sans comprendre où il veut en venir.

— Vous êtes ressortie mercredi ?

— Non, je me suis reposée.

— Dans l'après-midi, vous n'êtes pas allée faire des courses ? s'obstine-t-il en gigotant sur son siège.

— Non, Cécile avait tout le nécessaire.

— Et jeudi, qu'avez-vous fait ?

J'observe quelques secondes de réflexion.

— Jeudi matin, Cécile avait rendez-vous chez le médecin. Je suis restée seule à la maison. J'ai passé l'aspirateur puis j'ai préparé le repas.

— Vous n'avez vu personne ?

— Non.

Son visage se durcit. Derrière, son collègue racle sa gorge. Lorsque je me retourne, une grimace déforme son visage. Il semble ennuyé, peut-être même contrarié. Alors, l'inspecteur intervient :

— Personne n'a sonné à la porte ?

— Non.

Pourquoi s'entête-t-il ainsi ?

— Vous n'êtes pas sortie faire une course ?

Que cherche-t-il ?

— Ah si, je suis allée chercher du pain.

Il parait soulagé.

— à quelle boulangerie ?

— à l'angle de la rue.

Le commissaire note le renseignement sur son calepin et affiche une moue irritée.

— Je constate tout de même que la mort de votre compagnon n'a pas l'air de vous peiner.

— Je…

Je suis percutée par sa remarque et toute la rudesse qu'elle inclut.

Effectivement, je n'ai pas versé une larme. Depuis des jours d'ailleurs. Je ne ressens rien, aucun chagrin, pas une émotion. Pas même avec Cécile.

Surprise moi-même de ce manque de réaction, j'analyse un instant la situation. Qui est cet homme dont on me parle ? Aucun visage ne me revient, aucun souvenir de ma vie de couple n'émerge dans mon esprit, je ne sens pas sa main dans la mienne, son bras autour de mes épaules...

Je reviens à la réalité et prends conscience que les deux enquêteurs m'observent. Ils attendent sans doute une justification de ma part. Mais je n'en ai pas. Suis-je aussi insensible en temps normal ?

— Mademoiselle Cervier, nous pensons que la cause de l'accident de Monsieur Grenas est un sabotage, lance le commissaire, le regard toujours rivé au mien.

— Comment ça ? répliqué-je, interloquée.

— Il semblerait que sa voiture ait été dégradée volontairement, confirme-t-il.

Je marque un temps.

— Et ?

— Vous parlez de cris. Si vous vous êtes disputés, vous auriez pu vouloir vous venger.

— Je n'ai jamais soulevé le capot d'une voiture.

— On dit ça ! rétorque-t-il, ironique.

— Je ne connais absolument rien à la mécanique.

— On a tous quelques notions… qui s'avèrent bien utiles un jour ou l'autre.

Le sous-entendu me laisse ahurie.

— Le véhicule est en cours d'examen. Nous vous demandons de rester à notre disposition. Nous aurons besoin de vous interroger à nouveau.

Sur ces paroles, il se lève et me raccompagne jusqu'à la porte.

Dans le corridor, je retrouve Cécile. Mon air interdit l'interpelle et elle me questionne sur l'entretien. Pendant quelques secondes, pourtant, je reste silencieuse, le temps pour moi de bien comprendre les informations du policier ainsi que la portée de ses insinuations.

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