Chapitre 9 : Sèvenoir (chapitre remanié)

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 L’homme masqué sortit un long couteau ouvragé, trancha les liens enserrant mes mains d’un geste sec. Je secouai mes bras courbaturés et dû serrer mes orteils tant les fourmillements m’empêchaient de me mettre debout. Mon ravisseur me soutint pour me relever. Trop engourdies, mes jambes se dérobèrent sous mon poids. Je m’effondrai sur lui. Il me redressa puis posa une main sur mon épaule en un geste délicat. Je tentai de me maintenir debout sans vaciller.

– Malgré tous ces efforts pour te cacher, beaucoup sont au courant de ton existence, me susurra-t-il à l’oreille.

 Je restai interdite, décontenancée par ses paroles, troublée par sa proximité. Mes poignets étaient rouges, la chair à vif. Je me mordis la lèvre tant ils me brûlaient.

– Pourquoi m’avoir ligotée ? Je ne comprends pas.

– Je craignais tes réactions. Changer de dimension peut entraîner de graves séquelles. Dans ce monde, si tes mains avaient été libres, tu aurais pu utiliser le fluide et me blesser sans le vouloir.

– Qui êtes-vous ?

– Je m’appelle Sèvenoir. Mon nom ne te rappelle-t-il rien ?

 Son timbre, paradoxalement chantant, éveillait en moi une drôle de sensation.

– Tu as tout oublié, constata-t-il d’une voix amère. Je m’en doutais. Tu ne te rappelles donc même pas d’où tu viens.

– Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais non… je ne me souviens de rien.

 Mon désir d’obtenir des réponses prenait le dessus sur ma peur.

– Sais-tu que tu as été trouvée près d’un arbre lorsque tu n’étais qu’un nourrisson ?

 J’acquiesçai d’un signe de tête. Je m’adossai à la colonne pour m’éloigner un peu de lui. Il me laissa faire. Rien dans ses gestes n’indiquait qu’il voulait me faire du mal, mais comment rester calme dans une telle situation ? Mes entrailles se glacèrent. J’avais envie de pleurer, et surtout, de revoir mes proches.

– Je veux bien te dire où nous sommes exactement. Mais vas-tu me croire ?

 Je continuais à l’observer, silencieuse.

– En ce moment même, tu ne te trouves plus sur la planète Terre.

 Mon corps se crispa face à cette révélation. Ma bouche s’entrouvrit et mes yeux s’agrandirent.

– C’est pour cette raison que tes parents adoptifs n’ont jamais compris d’où tu venais. Ils ne peuvent pas se douter qu’en réalité, tu es née sur une autre planète.

 Mon cœur résonnait comme un glas dans ma poitrine.

– Vous m’affirmez que je viens d’un autre monde que celui où j’ai toujours vécu ? répétai-je d’une petite voix chevrotante.

– Oui. Et je viens de te ramener chez toi.

 Mes genoux tremblaient et se pliaient sans que je ne puisse les contrôler. J’inspirai à fond, fermant les yeux. Mes poignets me faisaient terriblement mal. La brûlure, lancinante, m’assommait au point d’éteindre toute envie de m’échapper. Je méditai sur ses paroles pour m’aider à lutter contre la douleur. Comment expliquer rationnellement le fait de passer d’un arbre dans mon jardin à… ici ? Et où se trouvait cet « ici », justement ?

 Où se trouve la frontière entre le rêve et le réel ?

 L’homme masqué disait peut-être la vérité.

– Alors pourquoi ai-je vécu toute mon enfance sur Terre ?

– Ah, très bonne question ! Mais ce n’est pas à moi qu’il faut la poser. Ce maudit Avorian t’a placée sur Terre. Les raisons lui appartiennent.

 Je sentis mon corps se détendre. Comme si le fait de parler avec Sèvenoir m’ancrait dans cette nouvelle réalité.

– Vous me semblez bien humain, pour un extraterrestre. Et puis, vous parlez ma langue.

– Tu ne peux pas savoir à quoi je ressemble exactement. La plupart des habitants de notre monde sont des espèces de type humanoïde. Et c’est toi qui t’exprimes en Orfiannais.

 Je n’arrivais pas à y croire ! Je voulais en savoir plus. Ma curiosité croissait à mesure que ma peur diminuait.

– J’ai la conviction que d’autres planètes sont habitées dans l’Univers, et je crois en l’existence de mondes parallèles. Mes parents et moi en discutions quelquefois. La physique quantique parle de phénomènes vibratoires et de lignes temporelles. Mais de là à concevoir que je me trouve dans un autre monde, que je parle une autre langue, c’est une autre histoire !

 Sèvenoir faisait les cent pas. Je restais collée à mon pilier, encore trop méfiante pour envisager de fuir.

– Tu es rudement intelligente pour ton jeune âge, finit-il par dire. Ta famille et toi admettez ce genre de choses. Tu as eu de bons parents.

– C’est vrai, approuvai-je d’une voix douce. Ce n’est pas votre cas, on dirait...

– En effet. J’ai toujours été seul.

 Il baissa la tête et stoppa sa marche pour me regarder. Je ressentis de la compassion pour lui.

– J’admire le fait que tu arrives si aisément à garder ton calme et ton sang-froid. Pourtant, tu n’es qu’une enfant.

– Je suis une personne hypersensible et empathique. C’est plus fort que moi. Je me préoccupe tout le temps des autres.

 Il m’étudia intensément à travers les fentes de son masque.

– C’est sans doute pour cela que tu es si précieuse… Éprouverais-tu de l’empathie pour moi ?

– Oui.

– Je dois vérifier ta dorure. Je ne voulais pas le faire sans ton accord. J’attendais ton réveil. Tu veux bien que je regarde ?

 Je demeurai interdite, abasourdie par sa demande. Je le dévisageai un moment. Le temps semblait s’étirer. À mesure que les secondes passaient, un sentiment d’oppression grandissait en moi, jusqu’à venir me submerger.

– Regarder… quoi ? soufflai-je, de plus en plus anxieuse.

– Je ne te ferai aucun mal, rassure-toi, je dois juste t’examiner.

 Je me redressai d’un bond, effrayée.

– C’est pour prendre soin de toi, Nêryah !

 Je croisai mes bras sur ma poitrine, sourcils froncés, et secouai la tête en signe de protestation.

 Mon ravisseur s’avança vers moi. Je poussai mon dos contre la colonne, comme pour m’enfoncer dedans. Mes bras serrés contre mon buste, j’agrippai fermement mes épaules avec mes doigts. Une larme coulait le long de ma joue. L’homme masqué s’approcha pour l’essuyer de son index ganté. Je frémis à son contact.

– Nêryah… Tu te méprends sur mes intentions.

 Malgré ces paroles qui se voulaient rassurantes, Sèvenoir attrapa mes poignets. Je criai à cause de mes blessures, mais résistai à sa prise, contractant mes muscles au maximum pour l’empêcher d’ouvrir mes bras. L’homme masqué écarta petit à petit mes membres, sans brusquerie. Impossible de me dégager de sa poigne. Je glissai le long de la colonne de pierre, désespérée. Des larmes de terreur perlèrent au coin de mes yeux.

 Il soupira de lassitude, puis relâcha soudain mes bras.

– Tes poignets ! Comment se fait-il qu’ils soient dans cet état !

 Mon sang suintait de mes plaies. J’eus un haut-le-cœur. Je fermai mes paupières, l’estomac noué.

– Pardon, Nêryah ! Je ne voulais pas te blesser ! s’effara-t-il, pétri de regrets. Les liens n’étaient pas censés te serrer à ce point ! Maudite magie incertaine sur les objets, elle ne m’obéit pas !

 Il examina ma blessure.

– Tu… ne cicatrises pas ? s’étonna-t-il, accablé. Je t’ai détachée il y a un moment… tu aurais dû guérir !

 Je le scrutai, indignée. Il n’avait donc pas remarqué mes blessures. Pourquoi cela l’intriguait-il autant ?

 Je ne savais plus comment réagir. Je m’étais laissée gagnée par la panique, trop épuisée pour pouvoir ressentir ses intentions. Je me trompais sur lui : l’homme masqué voulait peut-être me soigner.

 Alors que j’appuyais sur mes poignets pour stopper les saignements, tentant de soulager la morsure qui lacérait ma chair, un éclair attira mon regard. Une colonne de lumière apparue dans la salle, irradiant tout l’espace de sa clarté aveuglante. Elle tournait sur elle-même et avançait droit sur nous. Ce phénomène détourna l’attention de Sèvenoir. Il se leva d’un bond, bras écartés face à cette étrange magie.

 De fins lacets scintillants sortirent de la tornade luminescente pour m’attraper, jusqu’à entourer mon corps tout entier. Incapable de résister, je me voyais aspirée, tirée par les filaments qui en émanaient.

 Sèvenoir ne semblait pas pouvoir la toucher, ni m’atteindre.

– Non ! Non ! Si proche du but ! cria-t-il.

 J’entrai au centre du cylindre, littéralement absorbée par cette structure intelligente. Contre toute attente, le processus se révéla indolore. Mon corps flottait à l’intérieur, et s’allégea de plus en plus, au point de s’évaporer.

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