Chapitre 15 : Leçon de Magie (chapitre remanié)
Au petit matin, je me levai, chancelante, me dirigeai vers la salle de bain. Avais-je réellement vue une fée, cette nuit ?
Cette fichue migraine ne passait pas ! Je ressentais toujours autant de fourmillements dans mon corps. J’avais bien conscience que l’adaptation aux ondes de cette planète serait longue. Je m’aspergeai le visage d’une eau fraiche, priant pour que ses effets vivifiants me sortent de ce cauchemar, puis m’installai dans la baignoire magique. Je fermai les yeux tout en immergeant mon corps dans l’eau chaude.
De retour dans la chambre, j’examinai la pièce.
Non. Je ne reconnaissais rien. Je me trouvais toujours sur Orfianne, chez Avorian.
Tous ces évènements étaient bien réels. Impossible de revenir en arrière.
Je ne pouvais plus retourner sur Terre, à cause de la dangerosité des voyages spatio-temporels.
Je me ressaisis, au bord de la crise d’angoisse. Basculer dans la folie ne m’apporterait rien.
Il ne me restait plus qu’à accepter cette lourde vérité tout en m’intégrant à ma nouvelle planète, comme me l’avait conseillé la mystérieuse Arianna.
Je rejoignis Avorian dans la pièce de vie.
– Je ne sais pas si c’est un rêve ou bien la réalité, mais cette nuit j’ai vu une fée et…
– Tu as beaucoup de chance qu’Arianna soit venue jusqu’ici, m’interrompit-il d’une voix paisible.
– Elle m’a dit qu’on s’était déjà vues, avant, et que vous aviez construit ensemble le portail entre les deux mondes.
– C’est exact. Arianna est ma meilleure amie, et aussi ma plus grande alliée.
– Comment se fait-il que je ne me souvienne de rien ? Il ne me reste que quelques bribes de mes visites sur Orfianne. Je croyais que je m’inventais des histoires !
– Je pense que c’est l’un des effets secondaires du transgèneur. Passer d’un monde à l’autre doit détériorer la mémoire à court terme. Nous le supposons, du moins. Les Fées sont les gardiennes des mondes et ont le pouvoir de se volatiliser, de voyager dans l’espace-temps. Elles n’ont pas besoin de portes pour visiter une planète. Mais les Orfiannais ne peuvent pas séjourner sur Terre. Toi seule a réussi cette prouesse. Sèvenoir, lui, n’y est resté que quelques instants.
– C’est comme si j’avais oublié tout un pan de mon passé.
Avorian me servit une boisson chaude, dont le goût ressemblait à du thé, et me fit signe de prendre des fruits et des galettes de céréales. Cette nuit de sommeil m’avait redonné l’appétit.
Le mage souhaitait débuter mon apprentissage de la magie.
Nous visitâmes son jardin fleuri. Je m’arrêtai devant de curieuses plantes formées d’une longue tige d’environ un mètre, surmontée d’une boule végétale blanche en son extrémité. Il m’informa que c’était une plante bioluminescente : la sphère s’illuminait la nuit, tel un lampadaire. On les cultivait généralement aux abords des chemins et des maisons. Avec cet éclairage naturel, nul besoin de réseaux électriques. Apparemment, il n’existait pas d'infrastructures énergétiques sur Orfianne.
« La nature nous comble », me confia-t-il.
Je me sentais vide, un peu perdue, comme prisonnière sur cette étrange planète. Je ne voulais pas devenir incontrôlable, et que mes pouvoirs se déclenchent tout seuls, comme la veille. Avorian avait raison. Je devais apprendre à les maîtriser.
J’avançai au centre du jardin pour contempler les arbres immenses, tous d’essences différentes. Au fond du verger coulait un petit ruisseau, et, en remontant un peu plus haut, une cascade émergeait des crevasses d’une roche aux formes arrondies. J’avais tellement envie de me baigner dans les bassins naturels, puis m’allonger sur les rochers pour me sécher au soleil.
Des oiseaux nous enchantaient de leurs mélodies joyeuses. J’orientai mon regard vers la cime des arbres, en découvris quelques-uns avec de longues plumes aux couleurs vives. Ils ressemblaient à l’Euplecte avec leur longue queue orangée. D’autres correspondaient en tout point au Quetzal, trogonidé mythique de la forêt tropicale, avec des plumes caudales vertes émeraudes, une petite huppe sur la tête et le ventre rouge. Un autre semblable au Rollier d’Europe s’envola. La teinte bleu-ciel de sa poitrine et de sa couverture alaire s’harmonisait parfaitement au ton indigo du bout de ses ailes.
Mes doutes se dissipaient peu à peu dans cette atmosphère féérique, propice à la méditation. Les yeux tournés vers le ciel, j’observais la lune beige nappée de blanc. Elle régnait maintenant loin du soleil d’Orfianne.
Avorian commença son enseignement :
– La magie est un art qui demande centrage et précision. Nous travaillerons d’abord la posture, l’ancrage au sol, la respiration pour bien ressentir l’énergie de cette planète. Créer un sort nécessite de capter son émanation. On appelle cela le fluide d’Orfianne. Cette énergie particulière ensemence notre corps, puis se transforme à l’intérieur de nous en une nouvelle vibration : la magie. Pour la matérialiser en dehors de nous, c’est-à-dire en faire un pouvoir, nous avons besoin de nos deux mains. Chacune de nos paumes possède une polarité propre. Un être vivant est engendré par l’union du Yin et du Yang, comme on dit sur Terre ; la magie est conçue de la même façon. Elle ne peut pas naître de rien, ni d’une seule polarité. Tu comprends le principe ?
J’acquiesçai en hochant la tête. Je n’avais donc pas intérêt à perdre l’une de mes mains. Sinon, plus de magie !
– Pour simplifier, la magie d’Orfianne s’exprime en nous, et à travers nous, résuma le mage. Une fois que nous l’avons canalisée, nous pouvons l’utiliser à notre guise, en la polarisant dans nos mains pour qu’elle prenne forme. Elle ne sera plus seulement une vibration, mais un sort visible, presque palpable, agissant dans notre dimension, sur la matière.
Nous pratiquâmes une forme de méditation, debout, les jambes écartées et genoux légèrement pliés, avec des respirations et quelques mouvements de bras. Au bout d’un certain temps, je commençais à percevoir les ondes de ma nouvelle planète. La force de la nature affluait en moi, telle la sève d’un arbre. Dans ce jardin si paisible, toutes les conditions étaient réunies pour y parvenir, mais qu’en serait-il dans une situation périlleuse ?
– Canaliser la puissance d’une planète puis la transformer en substance magique demande une grande maîtrise de soi. La concentration permet de dompter ce pouvoir illimité, d’éviter qu’il nous dévore de l’intérieur. Notre corps devient alors un catalyseur, cette pratique peut donc s’avérer extrêmement dangereuse, ajouta le mage, pendant que je me recueillais.
Il me montra une posture : la paume de la main droite tournée vers le ciel, à l’horizontale, et la main gauche placée à la verticale, comme pour pousser quelque chose. Des étincelles émergèrent de ses mains. En une seconde, un rayon lumineux de la largeur d’un ruban sortit miraculeusement de lui, sans le moindre effort. Son pouvoir fusa à une vitesse incroyable, percuta un arbre, puis disparut. La cible n’eut aucun dommage. J’applaudis mon professeur de magie, la bouche grande ouverte, aussi admirative qu’impressionnée.
Mon hôte m’apprit plusieurs positionnements de bras et me fit répéter le tout inlassablement. Je devais les mémoriser, jusqu’à ce que je parvienne à les reproduire sans réfléchir.
« Il faut que cela devienne instinctif », appuya-t-il.
Parfois, les bras s’arrondissaient devant le buste, les paumes l’une au-dessus de l’autre. Cette position permettait de créer une forme sphérique, de sortes de boules de lumière bleu-ciel. Elles avaient le pouvoir de perforer pratiquement toute matière. Ce pouvoir servait-il à transpercer ses adversaires ?
Je repris les exercices de respiration avant d’essayer. Lorsque je me sentis prête, connectée à ma planète, je me plaçai en position. Je rassemblai l’énergie accumulée dans mes paumes, tout en inspirant. J’exerçai une petite pression à l’aide de mes bras, imaginant qu’une sphère jaillissait de moi, mais rien ne se produisit. Et à vrai dire, j’en fus presque soulagée. Cela aurait été vraiment effrayant de voir une boule de lumière apparaître de mon propre corps.
Je lançai un regard à Avorian, découragée. Il m’adressa un petit signe de tête pour que je persévère et m’y attèle.
Après quelques heures d’acharnement, je réussis enfin à créer quelque chose d’à peu près rond : une petite bille bleutée, aussi fine et translucide qu’une bulle de savon. Elle naquit réellement dans mes paumes. Ma concentration se matérialisait dans cette forme miraculeuse. Mon professeur me démoralisait déjà avant que je ne crie victoire : « Bien, c’était le plus facile. On va s’y mettre sérieusement ». Je devais à présent faire grossir ma sphère. Je me recentrai, mes doigts se contractèrent. Aucune magie n’en sortit.
– Nêryah, essaie de te détendre. Plus tu vas te crisper, plus tu risques de bloquer le fluide !
Je relâchai mes épaules, soufflai un grand coup. Je fermai les yeux pour simplement ressentir la caresse du vent, écouter le chant cristallin des oiseaux. Quelle paix dans ce jardin ! Sans que je ne le commande, la magie de la planète fourmilla en moi, comme une réponse à cette osmose nouvelle. Une sphère bleue apparut dans mes mains. Je me relaxai davantage, imaginant qu’elle gonflait dans mes paumes. L’image se réalisa. Ma boule s’élargit jusqu’à la taille d’un ballon.
– Bravo ! Lance ton sort dans le vide, maintenant !
J’exécutai l’injonction du mage. Mon globe s’élança dans les airs puis s’écrasa contre un rocher à une dizaine de mètres de nous. Il le perfora, démolissant la roche qui éclata en mille morceaux. Je ne voyais plus ma sphère. Elle semblait s’être évaporée.
– Ouah ! C’est impressionnant ! m’exclamai-je.
– Bien, on va tenter de préserver mon jardin. Tu vas t’exercer à lancer plusieurs sphères sur moi, contre mon bouclier.
– Quoi ? Sûrement pas ! Je ne veux pas risquer de vous blesser !
– Le bouclier est une substance magique impénétrable. Il restera en place, autour de mon corps, et aucun pouvoir – pas même les sphères – ne pourra le transpercer. Regarde.
Avorian joignit ses mains, dans une position de prière, avec les doigts légèrement repliés. Une forme transparente aux reflets arc-en-ciel se déploya autour de lui. La substance sortait directement de son corps puis épousait ce dernier, jusqu’à devenir une large bulle protectrice autour du mage, de la tête aux pieds.
– Il faut t’habituer à ces nouvelles sensations et au fait d’engendrer une substance de tes propres mains. Tout ira bien, mon bouclier est infranchissable !
Je me détendis le plus possible. La magie circulait en moi. Je parvins à recréer une sphère bleutée, boule de lumière qui scintillait dans mes paumes. Je la projetai contre le bouclier d’Avorian, non sans appréhension. Elle s’écrasa contre lui, la bulle protectrice tint bon. Elle absorba mon pouvoir.
Après deux bonnes heures d’entraînement, j’arrivais à engendrer plusieurs sphères successives. Toutes disparaissaient miraculeusement contre son bouclier.
Je m’exerçai ainsi jusqu’au soir.
Affamée et fourbue, je lorgnais les plats alléchants étalés sur la table. Nous dégustions des fruits et légumes Orfiannais. Certains ressemblaient tant par l’aspect que par leur goût au melon, à la carotte, ou encore à du concombre. Ce menu végétarien me convenait parfaitement, mais rien ne pouvait remplacer les délicieux petits plats de ma mère, Sijia.
Avorian poursuivit son enseignement pendant le repas, récapitulant les exercices de base : ancrage au sol, respiration, silence intérieur, dans le but de s’unir à l’aura de ce monde.
Je croquai un fruit juteux, la mine soucieuse. Sans le savoir, ma mère adoptive m’avait enseigné les fondements de la magie d’Orfianne lorsqu’elle évoquait sa culture d’origine ainsi que tout le savoir-faire de ses ancêtres. La médecine chinoise parlait de cette énergie naturelle, du Yin et Yang, circulant dans nos méridiens.
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