Chapitre 30 : Des dessins dans le sable (chapitre remanié)
Aux premières lueurs du jour, je partis faire un brin de toilette dans le ruisseau pendant que Avorian dégustait son petit-déjeuner. L’eau glacée me fit frissonner, malmenant mes membres endoloris par ces longues journées de marche. Haut les cœurs ! Le froid diminue les courbatures ! m’encourageai-je.
Je broyai une feuille dont l’odeur rappelait celle de la menthe, en récupérai le jus et me lavai les dents avec ma petite brosse végétale. Liana pouffa de rire. Sa réaction ne m’étonna nullement, puisque les Fées ne mangeaient que des fleurs. Impossible de garder mon sérieux. Je recrachai le suc verdâtre, gloussai avec elle.
Une fois nos gourdes remplies de l’eau du ruisseau, nous levâmes le camp, et marchâmes d’un pas rapide durant toute la matinée. Liana se reposait de temps à autre sur l’une de nos épaules.
Nous sortîmes de la forêt en début d’après-midi ; la vaste étendue d’arbres laissait place à un monde minéral. Nous progressâmes tout d’abord dans un désert de roches sculptées par les eaux. Puis, en fin de journée, le sable et des coquillages de toutes formes s’invitèrent dans ce paysage rocailleux. La brise nous apportait des senteurs iodées. Un peu plus loin, j’aperçus l’océan ; des milliers d’étoiles miroitaient à sa surface.
Je retirai mes chaussures et courus dans sa direction. Son eau évoluait du bleu clair au turquoise. Les vagues, festonnées d’écume blanche, se brisaient en un chant jubilatoire sur le récif. Quelles contrées pouvaient bien se cacher au-delà de la mer ? Les pieds dans l’eau, je m’enfonçais dans le sable doré, presque orange. Je n’avais jamais vu pareille couleur. Chaque grain luisait sous les derniers rayons mordorés.
Avec l’accord d’Avorian, j’ôtai ma tenue, gardant uniquement mes sous-vêtements pour rejoindre les vagues. Je nageai un bon moment pendant qu’il se trempait les pieds aux côtés de Liana, toujours sur son épaule. Je finis par les rejoindre. L’air de la mer couplé à cette baignade inespérée me ragaillardirent.
Liana et moi nous amusions à nous arroser. Elle riait aux éclats en me poursuivant et projetait des jets d’eau à l’aide de ses pouvoirs de Fée. Je sautais pour les esquiver, essayait en vain de l’attraper, mais elle se montrait bien plus vive que moi. Son habilité au vol m’impressionnait. Avorian observait notre petit jeu en souriant. J’éprouvais le désir secret que ces instants de bonheur puissent lui faire oublier son passé, et moi, ma vie terrestre.
Nos joyeuses chamailleries prirent fin pour admirer le soleil couchant. L’astre de feu descendait lentement dans l’océan, comme pour offrir sa lumière aux fonds marins. Le ciel se teintait de nuances rose, parme, orange, livrant à nos regards un festival de couleurs étincelantes.
Liana prit un air sérieux :
– Mes chers amis, nos chemins se séparent ici. Je ne peux pas prendre le risque d’aller plus loin en laissant mon domaine à l’ennemi. La grotte est toute proche.
– Merci de nous avoir guidés, Liana ! Ta présence nous a fait tant de bien ! la remerciai-je. Tu vas me manquer.
– Toi aussi, Nêryah. N’oublie pas de t’amuser. Cette planète est merveilleuse ; profite de sa nature.
Elle effleura délicatement ma main.
Avorian la remercia chaleureusement et lui recommanda d’être prudente.
La Fée s’éloignait déjà. Son départ m’attristait. Nous formions un sacré trio depuis son arrivée. Elle avait véritablement égayé nos journées de marche.
La lueur des étoiles scintillait dans la mer. Allongée sur une simple couverture, le bruit des vagues me berça dans mon sommeil.
Le lendemain, Avorian décida de faire un inventaire de nos provisions – il nous restait des biscuits aux fleurs donnés par les Fées, et nous avions pu remplir nos gourdes au ruisseau, la veille.
En attendant, je pratiquai la magie. Je repris toutes les techniques de base, avec les mouvements lents du corps pour ressentir en moi le fluide d’Orfianne, puis m’exerçai à utiliser mes trois pouvoirs : sphères bleutées, rayons paralysants, bouclier protecteur. Face à la splendeur de l’océan, les pieds dans ce sable safran, je me sentais en osmose avec ma planète d’origine. J’admirais la beauté du paysage marin, endroit idéal pour respirer et méditer au son des vagues.
Avorian me surveillait du coin de l’œil. Il me félicita à la fin de mon entraînement.
Je retournai au campement et lui demandai de me dessiner une carte d’Orfianne dans le sable. J’avais très envie de découvrir à quoi cette planète ressemblait. Il traça un vaste cercle, puis, à l’intérieur, un unique continent ; une sorte d’hexagone aux côtés arrondis, entouré d’océans et d’innombrables îles, signifiées par des petits points.
Il me montra l’emplacement du village des Fées, vers l’Ouest de l’immense continent, puis les terres des Noyrociens, juste au-dessus. Les Moroshiwas vivaient dans les forêts, un peu partout, à l’instar des Fées. Les Ênkelis, quant à eux, habitaient tout au Nord. Le fameux Royaume de Cristal, destination ultime de notre long périple, se situait non loin d’eux, au Nord-Est. Les Ewaliens bâtissaient de remarquables cités sous-marines, protégées des profondeurs abyssales de l’océan par de gigantesques dômes sphériques. Et les Guéliades, notre peuple, occupaient jadis le centre du continent.
– Nos terres sont dévastées. Il ne reste plus rien, pas même la végétation. Tout a été détruit, me dit-il sombrement.
Puisqu’ils ne venaient pas d’Orfianne originellement, les Métharciens ne possédaient pas de territoire défini. Ils résidaient la plupart du temps sur les îles. Une grande partie d’entre eux malmenait toujours les Orfiannais. Leur intégration demeurait difficile, même pour ceux qui respectaient leur nouvelle planète d’accueil. Ils restaient donc en marge des autres peuples.
À mon tour, je voulus dessiner une carte de la planète Terre. Je me levai promptement et marchai en direction de l’océan.
– Où vas-tu ? Je croyais que tu voulais me tracer une carte.
– Pas ici ! contestai-je. Il faut du sable mouillé pour bien faire.
– Eh bien ! J’ignorais que tu étais experte en dessin sur sable.
Je m’accroupis sur le sable humide. J’esquissai grossièrement l’Europe, l’Afrique, un morceau de l’Asie, l’Australie, puis l’Amérique. Cela s’avéra bien plus complexe que prévu, mais ma mappemonde ressemblait tout de même à quelque chose.
– Je vais vous apprendre les noms des continents en français et en anglais. La plupart des Terriens s’expriment en anglais. Si un jour vous parvenez à vous rendre sur Terre, vous pourrez ainsi communiquer avec eux.
Avorian répétait après moi le nom de chaque continent. Il se débrouillait bien, pour un extraterrestre. J’énonçai ensuite les différentes populations Terriennes. Avorian avait l’air de bien connaître les chinois ainsi que les amérindiens. Il s’extasiait aussi sur la merveilleuse culture indienne, et sur les mœurs si raffinées des japonais. On aurait dit un ethnologue.
Il me révéla qu’en Chine et en Afrique, la magie était encore utilisée, mais principalement à des fins personnelles, voire, pour nuire à quelqu’un, dans des luttes de pouvoir. Il s’agissait surtout de magie noire. Elle n’utilisait pas les forces de la Terre, mais celles des émotions négatives des humains, et engendrait malheureusement des monstres sur Orfianne.
Après une pause déjeuner, nous longeâmes l’océan.
– Oh ! J’ai vu quelque chose bouger dans l’eau, là-bas ! m’exclamai-je.
J’observai attentivement les remous des flots.
À environ cinquante mètres de nous, une longue queue de poisson argentée remonta à la surface. Une épaisse chevelure bleutée émergea avec un visage de femme, puis le haut de son buste, caché par de grandes mèches bouclées.
Une Ewalienne.
Sublime.
Elle nous regardait tout en maintenant sa tête en-dehors de l’eau, grâce à la force prodigieuse de sa queue de sirène. Je la sentais intriguée, légèrement méfiante. Nous demeurâmes cois, à la fois captivés et émerveillés par cette vision enchanteresse.
Soudain, l’Ewalienne plongea. Nous attendîmes quelques minutes… Rien.
Pour atteindre la grotte, il fallait désormais s’éloigner de la mer, à mon grand regret. Je n’arrêtais pas de penser à la sirène – enfin, l’Ewalienne. Avorian m’expliqua qu’il valait mieux attendre qu’elle vienne spontanément vers nous et ne pas l’aborder de front. Je comprenais bien cette marque de respect.
Le paysage rocailleux se transforma en de véritables falaises, si bien qu’il fallait jouer des pieds et des mains pour traverser cette contrée minérale. Nous grimpâmes pendant plusieurs heures, nous égratignant les jambes à cause des pierres tranchantes. Les coupures d’Avorian se refermaient instantanément, c’était fascinant à observer, tandis que les miennes suintaient et picotaient. J’avais hâte de retrouver cette capacité inhérente aux Guéliades.
Après une dure journée d’escalade, nous nous accordâmes une pause. La présence bienveillante de Liana me manquait déjà.
Le soleil déclinait, cédant ses rayons orangés au crépuscule du soir. Je m’assis sur un rocher. Avorian me rejoignit.
– Sommes-nous encore loin de la grotte des Feux Sacrés ?
– Non, nous arrivons bientôt. Ce lieu magique va harmoniser ton corps aux vibrations d’Orfianne. Tu vas en quelque sorte t’accorder à la gamme de cette planète. Tes pouvoirs pourront plus facilement se développer, sans que tu ne tombes dans le piège de la magie des émotions.
Je l’examinai, dubitative. Je ne ressentais pas de réelle différence entre les ondes de la Terre et celles d’Orfianne.
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