Chapitre 34 : Traversée infernale (chapitre remanié)
La nuit tombait et, à mon grand soulagement, la température chutait avec elle. Comme pour conjurer le sort, le ciel nous offrit ses plus belles couleurs. Le soleil touchait l’horizon. Le désert flamboyait sous ses rayons mordorés. Parme, magenta, orange, tous ces tons se mélangeaient à l’instar de la palette d’un peintre.
– Il va faire froid, cette nuit.
Je regardai Avorian d’un air désespéré.
– Eh oui, continua-t-il, encore un autre désagrément de Gothémia : les nuits y sont glaciales.
En plus de subir le manque d’eau, nos corps étaient soumis à une forte amplitude thermique.
– Sois prudente. La nuit, de dangereux prédateurs sortent de leur terrier, en quête de nourriture.
– Et je suppose que nous constituons leurs proies. C’est le monde à l’envers, ici ! Les animaux nous chassent ! Un juste retour des choses, non ?
– On verra ce que tu en penseras lorsque ta chair se retrouvera déchirée sous leurs crocs, ironisa Avorian, espiègle. Nous devons être vigilants. Le jour, ils dorment dans des galeries souterraines pour se protéger de la chaleur, nous ne craignons rien. Mais les animaux se réveillent au coucher du soleil.
– C’est bien ce que je disais. On risque de leur servir de dîner. Je veux rencontrer ma première nourrice, moi ! Je dois rester vivante !
Voyant mon visage se décomposer, Avorian tenta de me rassurer.
– Ne t’inquiète pas. Encore une fois, nous avons la magie.
– Que ferions-nous sans elle ? marmonnai-je, songeant que j’étais loin d’être aussi rapide qu’une bête sauvage, affamée et surentraînée à la chasse.
Nous cheminâmes prudemment dans l’obscurité, épuisés, assoiffés. Sans oasis à l’horizon, impossible de s’arrêter pour se reposer.
Un être humain subirait déjà les symptômes de la déshydratation. En tant qu’Orfiannaise, je m’en tire avec un léger mal de tête.
Soudain, des cris d’animaux percèrent l’angoissant silence du crépuscule ; des hurlements semblables à ceux des loups.
Je sursautai et me retournai vers Avorian. Il posa une main sur mon épaule en un geste paternel.
– Continuons d’avancer, ils sont loin, me chuchota-t-il.
Mon guide parvenait à se repérer grâce aux étoiles. Leur scintillement constituait notre seule source de lumière. Il m’apprit qu’un village troglodyte du peuple du désert, les Komacs, se trouvait non loin d’ici, situé entre deux oasis. Nous devions absolument l’atteindre pour y passer la nuit. J’avais tellement hâte de pouvoir rencontrer d’autres Orfiannais, et de quitter cette terre hostile.
Je repris la marche d’un pas rapide, à l’affut. Ces cris d’animaux m’angoissaient. Alors que je me remémorais ce qu’Avorian m’avait dit au sujet des Komacs, j’eus la désagréable impression que le sable devenait mou sous mes pieds. Quelques pas plus loin, je m’enfonçai dans le sol. Avorian, lui aussi prisonnier des sables mouvants, me lança :
– Ne panique pas, ou tu seras engloutie en un rien de temps. Écoute-moi bien : essaie de t’allonger le plus possible sur le sable et de rouler. Une fois étendue, jette des sphères autour de toi pour dégager tes jambes. Attention à bien viser.
Les sphères pouvaient transpercer n’importe quelle matière – à part nos boucliers, bien-sûr. Je risquais gros si par malheur l’une d’entre elles me touchait.
– Je ne sais pas comment faire !
Ma claustrophobie m’empêchait de me connecter à l’énergie d’Orfianne.
– Allonge-toi calmement. Lance d’abord les sphères à quelques mètres de toi pour t’entraîner. Rapproche-les petit à petit.
Je voulais bien exécuter ses ordres, mais mon corps refusait de coopérer. Pétrifiée de peur, je découvris avec horreur que le sable m’arrivait à présent au niveau des cuisses.
Hors de question que je meure ensevelie !
Je m’étendis sur le sable, essayant de tourner sur moi-même et d’onduler à la manière d’un serpent pour ne pas sombrer dans les entrailles d’Orfianne.
Le mage parvint à se tirer d’affaire en dirigeant un fin rayon lumineux vers le sable ; la puissance du faisceau le souleva hors du sol. Je m’armai de courage, inspirai profondément, et soufflai un grand coup. Les doigts tremblants, je puisai dans l’énergie du désert. Deux globes translucides naquirent enfin dans mes paumes. Il me fallut une conviction inébranlable pour les diriger vers moi. Je les projetai d’abord trop loin, recommençai plusieurs fois, m’efforçant de creuser des cavités proches de mon corps. Peine perdue ! À demi-allongée, le sable m’avalait ! Impossible de suivre les conseils d’Avorian. Je me voyais descendre inéluctablement dans les profondeurs de cette maudite planète. Affolée, je ne parvins même pas à réprimer un hurlement, malgré le risque que cela engendrait : les créatures risquaient de m’entendre, et il leur suffirait de venir me cueillir sur place !
Enfin revenu sur du sable ferme, Avorian vint immédiatement à ma rescousse. Il expulsa des filaments lumineux qui s’enroulèrent autour de moi. La puissance de sa magie me dégagea du sol, puis m’attira jusqu’à lui. J’atterris dans ses bras, éreintée. Des torrents de larmes coulaient sur mon visage, tandis que des spasmes de terreur secouaient mes membres contractés. Mon sauveur me serra un peu plus fort. Je le remerciai, blottis contre lui, soulagée de me sentir en vie.
Peu à peu mes muscles se détendirent, ma respiration se calma.
Annotations