Chapitre 36 : La magie des émotions (chapitre remanié)

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 Je tremblais, en état de choc. D’où me provenait cette incroyable puissance, si dévastatrice ? Seule ma volonté de protéger Avorian avait pu déclencher de tels éclairs. Je ne connaissais rien de cet étrange pouvoir. J’étais hors de moi, à proprement parler, sans rien contrôler.

 La fameuse magie des émotions.

 Une force qui dévore de l’intérieur, et consume toute vie.

 Cette épreuve risquait d’avoir une forte répercussion sur mon intégrité.

 Mon regard se dirigea vers le corps inerte de mon ami. J’eus le sentiment qu’il était trop tard. Il ne bougeait plus. Un flot de sang coulait de ses nombreuses plaies. Ses beaux yeux gris demeuraient clos.

 Je m’approchai de lui, secouée de frissons d’effroi.

 J’avais l’impression que l’intensité de mon regard aurait pu désarmer une armée de soldats. Comment en étions-nous arrivés là ? Toute cette énergie gaspillée pour de stupides bestioles affamées, probablement dirigées par une force supérieure. Un sort invisible l’avait étranglé. Pour quelles raisons avait-on ordonné l’assassinat de mon cher Avorian ?

 Et moi… Je venais de tuer des animaux. Le comble, pour une végétarienne !

 Ce constat me laissa amère, nauséeuse. Un silence abrutissant, pesant et morbide s’ajoutait à mes tourments. La mort elle-même m’entourait, me narguant avec tous ces cadavres de Glemsics ruisselants de sang.

Sauf qu’aujourd’hui, la Grande Faucheuse, c’était moi.

 Je sentis les larmes affluer, mais me ressaisis instantanément. J’étouffai un sanglot. Pas le temps de pleurer. Il fallait agir, vite !

 J’arrachai des morceaux de mon châle pour panser ses blessures.

– Avorian ! Avorian ! Réveillez-vous !

 Son corps demeurait pâle, froid, malgré mes appels. Ce doux visage, aux traits si fins, paraissait presque apaisé, indifférent à mes cris de détresse. Je caressai ses cheveux blancs, dénoués à cause de l’ardeur de la bataille, maculés de mèches rouges. J’en repoussai quelques-unes qui lui tombaient sur le front. Je mordis mes lèvres pour ne pas hurler.

 Que faire ?

 Mon corps devint pesant, alourdi par le poids de ma peine. Soudain, quelque chose remua sur sa peau. Les plaies se refermaient. Je soulevai mon bandage de fortune et en effet, on ne voyait plus que de larges cicatrices.

 Puisque ses capacités régénératrices fonctionnaient encore, Avorian devait donc être en vie !

 Je pris son pouls. Rien. Mon cœur se serra.

 Comment est-ce possible ? Il ne se réveillera pas, pensai-je, désemparée.

 « Tu possèdes des pouvoirs de guérison », m’avait-il confié un jour.  

 Mais je ne sais pas m’en servir !

 C’était pour moi un don essentiel. Ma magie aurait dû être dédiée au soin. Je ne voulais pas devenir une machine à tuer.

 Seule, dans les ténèbres, je puisai dans mes dernières ressources pour me connecter à ma planète.

 Je fermai les yeux et plaçai instinctivement mes mains sur son front. Je priai de toute mes forces, pressentant qu’il fallait me détendre pour laisser la vie couler en moi, en lui. Je respirai profondément, faisant fi de mon désarroi. Lorsque j’ouvris mes paupières, une lumière verte émanait de mes paumes, se répandit sur le corps de mon ami. Je réprimai cette fois un cri d’émerveillement. Au bout d’un moment, même ses cicatrices disparurent.

 J’ai réussi ! C’est fabuleux ! La magie jaillit de mes mains !

 Cette compétence pour le moins surprenante apporta une lueur d’espoir dans ce sombre tableau. L’odeur infecte des dépouilles de Glemsics me ramena brutalement à la réalité. Avorian ne bougeait toujours pas.

 Je savais que la magie pouvait guérir les blessures les plus graves, mais pas ressusciter les morts.

 C’est bien connu. Tous les contes en parlent.

 Si Avorian ne se réveille pas, c’est parce que son âme est déjà partie.

 Trop tard…

 Ma colère intérieure laissa place à un désespoir tout aussi intense.

 Les larmes montèrent à mes yeux, emportant avec elles la dureté qui s'était subrepticement installée en moi depuis le début du combat.

 Je sanglotai au milieu du champ de bataille. Je me détestais pour avoir tué, si froidement, des êtres vivants. Je ne me reconnaissais plus. Et Avorian… mon cher Avorian ! Malgré mes bras enroulés autour de lui, son corps restait flasque, son cœur refusait de battre.

– Non ! Noooon ! Réveillez-vous ! Je vous interdis de mourir ; vous m’entendez ? Je veux vous voir en vie ! D’accord ?

 Je secouai son corps inerte, incapable de me contenir. Mon ami ne me répondait pas. Son âme devait déjà avoir rejoint les étoiles, avec celles de tous les autres Guéliades.

 Je venais de perdre mon seul guide sur cette fichue planète. Quelle injustice ! Le dernier représentant masculin de notre peuple ! Ce qui faisait de moi… la seule et unique Guéliade de l’Univers. Cette évidence tragique, implacable, apporta son nouveau lot de larmes, mon ventre noué.

 À quoi bon rester sur Orfianne, désormais ?

– Avorian ! Ne me laissez pas ! Vous ne pouvez pas partir ainsi ! Vous avez affronté des batailles bien plus terribles par le passé. Ce n’est pas votre heure… pas encore ! Je veux contempler votre regard encore une fois !

 Il ne méritait pas de mourir ainsi, acculé par des bêtes sauvages et étouffé par une force mystérieuse. Une mort absurde pour un grand mage.

– Je vous déteste ! m’emportai-je à l’adresse des Glemsics. Je ne vous laisserai plus jamais m’approcher, et j’anéantirai celui qui vous a commandés !

 Mon Dieu, on aurait dit une réplique de Sèvenoir… Je ne voulais pourtant pas devenir comme lui. Je craignais que l’homme masqué soit responsable de la mort d’Avorian.

 Mes pensées s’embrouillaient. Cette puissance effrayante en moi, capable de décimer un troupeau entier de monstres sanguinaires en une seconde... Comment était-ce possible ? Le cœur meurtri, je me sentais au bord de la folie.

 Je devenais une coquille vide, l'ombre de moi-même, une âme errante dans ce désert, sombrant dans une léthargie fatale.

 Je posai ma tête contre l’épaule d’Avorian et l’entourai de mes bras, inconsolable.

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