Chapitre 45 : Le départ (Chapitre remanié)
Je passai la soirée en compagnie de Kaya, peu désireuse de quitter ce havre de paix alors que notre départ approchait. Les épreuves s’étaient enchaînées trop rapidement depuis mon arrivée sur cette planète. Dans cette interminable exploration d’Orfianne, j’avais à peine eu le temps de concevoir que je vivais désormais dans un autre monde. Même si mes proches sur Terre me manquaient, ce voyage avait profondément transformé ma vie.
– Kaya, après la bataille, pourquoi ne suis-je pas restée ici, au village, où Shirin m’allaitait et où nous étions en sécurité ?
– Ta présence aurait mis mon peuple en danger. Du moins, ce qu’il en reste ! Puisque tu es la dernière Gardienne, les Modracks t’auraient cherchée et retrouvée, où que tu sois sur Orfianne.
– Alors on m’a mise sur Terre pour cette raison. Cela veut dire qu’il reste encore des Modracks sur Orfianne ?
– Un seul. Le plus fort d’entre eux. Personne n’a réussi à le vaincre. Ma propre mère, pourtant une puissante Gardienne, est morte en l’affrontant. Son but est de détruire tous les Gardiens des Pierres.
– Oh, Kaya… soufflai-je, anéantie par ces sombres révélations.
Je pris mon amie dans mes bras. Je la trouvais d’une bravoure incroyable, si responsable pour son jeune âge.
– Le seul moyen de rester en vie est de combattre ce Modrack, réalisai-je.
– Lui et tous les autres monstres créés par les Terriens. Nos peuples sont également en danger, pas seulement leurs Gardiens !
– Je comprends mieux maintenant pourquoi certains Orfiannais pensent que la seule solution est d’exterminer la race humaine.
– Cela fait des cycles et des cycles que nous cherchons une solution pacifique, sans aucun résultat. Comment préserver notre planète dans ces conditions ? Que faire face à ces phénomènes que nous ne contrôlons pas et dont nous subissons les conséquences ?
– Je comprends. Les Fées ne savent-elles pas comment procéder ?
– Tout comme le Sage, elles estiment que les Gardiens doivent se réunir avec leurs Pierres de Vies respectives. Leur magie nous sauvera.
– J’espère que ça fonctionnera. Et Avorian, est-il resté caché dans votre village ?
– Non. Il est reparti pour ne pas nous mettre en danger. Mais il est revenu nous voir deux cycles plus tard. Il n’a pas repris la Pierre puisqu’elle ne s’ouvrait pas à lui, attendant ton retour sur Orfianne, j’imagine. Le désert de Gothémia était le meilleur endroit pour la cacher. Je pense qu’il t’a laissée sur Terre pour que le Modrack vous oublie et que tu sois assez grande pour te défendre contre ces monstres.
– La Pierre avait le choix entre nous deux. Comment se fait-il que je devienne Gardienne, moi qui suis si inexpérimentée et qui ai vécu toute ma vie sur Terre, alors qu’Avorian, lui, est un grand mage ?
– La Pierre a une intelligence qui nous dépasse. Lorsqu’un Gardien meurt, elle choisit automatiquement une autre personne. Elle devait sentir tes capacités extraordinaires. J’ai pu voir la guérison d’Avorian grâce à ta magie… et crois-moi, ce que tu as fait dépasse l’entendement ! Une Pierre de Vie ne se trompe jamais, Nêryah.
Je voulais rester encore ici, dans cette oasis paradisiaque, mais Avorian décidait toujours de la suite des évènements. À présent, je comprenais pourquoi nous devions partir : en rapportant la Pierre au Sage, nous allions contribuer à la protection de cette merveilleuse planète.
Nous décidâmes de passer l’après-midi au bord de l’eau, profitant de ces derniers instants de paix. Je repensais sans cesse aux bons moments passés parmi les Komacs. Kaya aimait célébrer la vie, et c’était là son crédo. Je ne pouvais qu’approuver, car hormis au village des Fées, je n’avais pas encore eu l’occasion de me réjouir sur Orfianne. J’étais enfin libre de redevenir une jeune fille de seize ans, et pouvais même retrouver un peu de mon enfance, grâce à la présence de Shirin, ma seconde maman.
Les jumeaux, aussi joueurs que charmeurs, n’en finissaient pas de nous taquiner. J’appréciais l’humour de Merian, moins provocateur que celui de son frère. De son sourire émanait une certaine innocence, alors qu’une grande sagesse se lisait sur les traits de son visage. Je compris qu’Ishaam était éperdument amoureux de la belle Kaya et tentait l’impossible pour la séduire. Mais celle-ci s’amusait à feindre l’indifférence. Son petit caractère bien trempé et son apparente impassibilité ne faisaient qu’accroître les ardeurs d’Ishaam.
Le jour du départ, Kaya m’offrit une tenue adaptée aux voyages dans le désert : une jolie tunique vermeille qui descendait jusqu’aux genoux, avec un sarouel et un foulard léger pour se protéger la tête. À mon grand soulagement, Merwên accepta que Kaya et les jumeaux nous accompagnent. Ces derniers avaient insisté pour venir avec nous, prétextant que la Gardienne aurait besoin de gardes du corps à son retour au village. Le chef trouva la remarque judicieuse.
Après avoir mangé et remercié mille fois les Komacs de leur hospitalité, nous parcourûmes le long tunnel. Merian et Kaya me tenaient les mains, tandis que Shirin, chargée d’un sac garni de pains, serrait celle d’Avorian. Ishaam marchait devant nous, aux côtés de Merwên. Nous gardions le silence.
Nous grimpâmes l’escalier souterrain. Une fois arrivés à la sortie, Kaya, à l’aide de son pouvoir, déplaça l’énorme rocher qui débouchait sur l’oasis d’un simple geste de la main. Elle ordonna des tours de garde pour protéger l’entrée. Personne d’autre qu’elle ne pouvait faire bouger la lourde porte rocheuse, laissée ouverte de jour, mais fermée chaque nuit.
« Nous ne partirons pas longtemps », assura la Gardienne. Elle avait veillé au moindre détail, garantissant la sécurité de son village. J’admirais son sens du devoir.
Shirin nous offrit les pains. Nous l’enlaçâmes tendrement, les larmes aux yeux, comblés par sa générosité.
– Prenez soin de vous ! dit-elle.
– Nous avons un cadeau pour vous, nous annonça Merwên.
Au loin, dans les dunes de sable, un Komac menait un troupeau d’animaux.
– Ce sont eux, les fameux embanores ? demandai-je à Avorian.
– Oui, et nous allons avoir la chance d’en monter ! Le voyage sera moins pénible, se réjouit-il.
Quelle grâce émanait de ces animaux ! On aurait dit un croisement entre une antilope, un cheval et un élan, bien que leurs cornes striées et torsadées fassent davantage penser à celles des antilopes Pallas. Leur cou élancé se parait d’une crinière beige qui descendait jusqu’en haut des pattes avant, aussi longues et fines que celles des gazelles. Leur robe couleur auburn luisait sous le soleil. J’observais leur queue beige toujours en mouvement, s’amusant à faire des va-et-vient sur le sable.
Malgré leur robustesse, les embanores ne semblaient pas du tout agressifs ; ils avançaient d’un pas tranquille vers nous, comme si notre présence ne les gênait pas. Arrivés à notre hauteur, deux Komacs chargèrent l’une des montures de provisions.
– Nous vous prêtons ces quatre embanores ; ils possèdent une endurance exceptionnelle. Prenez soin d’eux comme ils prendront soin de vous, nous recommanda Merwên. Ce désert est leur maison : ils vous mèneront d’oasis en oasis. Kaya se chargera de vous mener à l’Est, vers la forêt de Lillubia. Nous avons garni les sacs de gâteaux aux céréales et de quelques fruits. Les deux baluchons contiennent de l’eau, il suffit d’abaisser le petit robinet ici pour se servir et remplir vos gourdes.
Nous les remerciâmes tout en rangeant les pains de Shirin dans les bagages.
– Je vous souhaite un bon voyage, reprit le chef. Puisse notre Pierre de Vie vous porter chance et vous protéger. Ma chère fille vous fait l’honneur d’être votre guide. Soyez assurés qu’avec elle, vous ne risquez rien. Kaya et les jumeaux connaissent les moindres recoins de Gothémia.
– Merci, mon brave Merwên. Nous avons passé un moment extraordinaire à vos côtés, répondit Avorian en lui serrant chaleureusement les mains.
– Vous serez toujours les bienvenus chez nous ! certifia Shirin, la voix chargée d’émotion.
Le Mage l’enserra dans ses bras.
– Comment vous remercier pour toute votre aide ? insistai-je.
– En revenant nous voir… vivants et en parfaite santé, cette fois ! plaisanta Merwên.
Notre hôte nous salua respectueusement, un sourire chaleureux sur le visage. Nous lui présentâmes nos hommages et remplîmes nos gourdes à l’oasis, prêts à reprendre notre traversée du désert. Kaya ne put s’empêcher de grimper à un palmier pour y cueillir quelques fruits supplémentaires. Au moins, nous ne risquions pas de mourir de faim !
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