Chapitre 48 : Les fantômes de la cité perdue (chapitre remanié)
Kaya nous réveilla peu de temps après. Je compris immédiatement à son expression alarmée que nous étions en danger.
– Des Glemsics ? soufflai-je, à moitié endormie, une boule se formant dans mon ventre.
– Pas seulement. Des êtres des ombres.
Cette annonce frappa comme un véritable coup de poing dans le ventre, mettant tous mes sens aux aguets.
Merian bondit de notre couche pour se camper sur ses jambes, prêt à en découdre. Il farfouilla dans son sac et en sortit deux poignards ouvragés, dont le manche en bois décoré d’ornementations retenait une lame affûtée. Il en tendit un à son frère qui venait de nous rejoindre. Le visage de ce dernier, transformé par l’inquiétude, trahissait un malaise si peu habituel. Je ne reconnaissais plus Ishaam.
– Ils arrivent ! prévint-il sèchement.
Je distinguais déjà par la petite ouverture l’éclat scintillant du pouvoir d’Avorian.
Dois-je construire un immense bouclier pour protéger tout le monde, ou bien combattre à ses côtés ?
Les Komacs sortirent de notre abri. Je les suivis, le cœur battant.
J’aperçus tout d’abord le mage, qui, du haut de notre balcon, lançait des rayons lumineux. Je m’approchai. En contrebas, une multitude de masses sombres flottaient au-dessus du sol. Elles remontaient le long des escaliers. Leurs corps dépourvus de visage semblaient presque translucides, bien que teintés de noir. Il s’agissait de fantômes, nés d’un agrégat d’émotions refoulées et de toute la détresse humaine condensées.
Et des Glemsics les suivaient !
Je poussai un cri d’effroi. Cette vision cauchemardesque me fit perdre mes moyens et me plongea dans un état de panique. Je tremblais de tous mes membres, horrifiée. Une lueur vermeille me tira de ma torpeur. Kaya tenait dans ses mains sa Pierre de Vie. Elle ferma les yeux et entonna une incantation dans son dialecte. La lumière du joyau s’expansa au son de sa voix, décrivant un mouvement spiralé pour enfin venir se coller directement sur chacun d’entre nous, à la manière d’une combinaison.
– Cette aura vous protègera de la magie des ombres et des morsures des glemsics ! annonça-t-elle d’une voix pressante.
Elle poursuivit son enchantement. Un immense halo rouge vint se poser sur l’entrée de l’abri des embanores, créant une porte magique pour rendre les lieux impénétrables. Nos montures ne risquaient rien.
Je me plaçai aux côtés d’Avorian ; le halo carmin accompagnait chacun de mes gestes. Je n’en ressentis aucune gêne. Une force nouvelle m’envahit soudain. Cette magie m’imprégnait complètement et me donnait l’impression d’être à la fois légère et ancrée.
Je décochai mes sphères bleutées sur les loups du désert, et mes faisceaux diaphanes s'abattirent sur les ombres. Sous l'impact, nos ennemis reculaient, dévalant les marches dans un flot chaotique. Avorian chargeait toujours, ses tirs nourris éclairaient le ciel nocturne, mais cela ne suffisait pas. Les monstres galopaient dans les allées, la gueule béante, prêts à bondir sur nous. Les jumeaux s’élancèrent vers eux et dégainèrent leurs lames acérées avec précision et dextérité. Leur combinaison magique les protégeait des griffes et des crocs.
Kaya, juste derrière nous, à l’entrée de notre abri, maintenait de toutes ses forces le sort de sa Pierre de Vie. Les êtres des ombres progressaient vers nous. Elle demeurait vulnérable ainsi exposée. À mesure qu'ils approchaient, la misère humaine m'envahissait. Mes propres ombres m’assaillirent. Toute ma peine, ma douleur. Je n’avais malheureusement pas le temps d’aller chercher ma sacoche pour prendre la fleur d’Arianna.
Je devais me ressaisir, car les fantômes venaient de percer le rempart scintillant du mage. J’avais l’impression de revivre la première attaque des glemsics… en bien pire ! Horreur ! Nous étions cernés de toute part, submergés ! Ishaam et Merian peinaient à retenir les loups du désert. Des nuées noires s’enroulèrent et se propagèrent autour de nous. Elles prirent la forme de tentacules de ténèbres. Je ne distinguais même plus mes amis, devenus de petites orbes rouges grâce aux combinaisons magiques. Kaya devait se trouver à mes côtés, mais les jets obscurs effaçaient tout sur leur passage.
De multiples appendices m’agrippèrent à la gorge, d’autres m’enlacèrent dans une étreinte mortelle qui se resserrait inévitablement autour de moi. Je ne pouvais même plus hurler, étouffée par les ombres. Le chaos m’engloutit, imprégné de tout le désespoir de l’humanité. Je ressentais les maux qui me broyaient le cœur. Honte. Culpabilité. Souffrance. Colère. Mon esprit possédé n’entrevoyait qu’une seule forme de délivrance : la mort.
Alors que tout semblait perdu, un vif éclat étincela juste en face de moi. Je suffoquais, en proie aux vertiges, mais me raccrochais à cette lueur d’espoir. Je reconnus notre Pierre de Vie losangée. Elle flottait dans les airs, irrémédiablement attirée vers moi. Je ne pouvais l’atteindre, ni la prendre dans mes mains, prisonnière des esprits sombres. Au moment où le joyau m’effleura enfin, les tentacules se déroulèrent à une vitesse impressionnante, comme brûlées par la magie des Guéliades. Je le saisis immédiatement et me reliai à l’énergie d’Orfianne.
Un flot de lumière argentée jaillit de la Pierre, mais au lieu de se diriger vers les ombres, la magie se lança à la rencontre de celle des Komacs. Un rayon pourpre émana de cette dernière et se mêla harmonieusement à l’éclat cristallin. L’enchantement des deux Pierres de Vies opéra en une explosion de couleurs, dissipant progressivement le brouillard ténébreux.
Je m’efforçai de propager mon sort, tandis qu’Avorian utilisait son faisceau magique comme un fouet qui lacérait nos ennemis. Les jumeaux apparemment indemnes, continuaient de lutter avec acharnement contre les glemsics, et Kaya tenait bon, canalisant toute son énergie pour maintenir ses boucliers pourpres.
Le pouvoir des Pierres repoussait nos ennemis et nous protégeait de leurs assauts, sans pour autant les détruire. Le mage vint au secours des garçons, avide de revanche sur les loups du désert ! Je lisais la colère sur son visage. Son lasso lumineux s’épaissit, vibrant d’énergie, comme pour répondre à son courroux. Il fit claquer son lasso contre les animaux, balançant ses bras en des mouvements amples pour les atteindre avant qu’ils ne bondissent sur nous. Son pouvoir les trancha un à un en un temps record.
Je m’occupai des ombres à l’aide de mon rayon incandescent. Affaiblis par nos Pierres de Vies, quelques esprits sombres périrent sous l’impact de mon faisceau, absorbés par cette lumière salvatrice.
Alors que je me sentais encore dépassée par leur nombre, les premières lueurs du jour apparurent au-delà des dunes, embrasant la cité de leurs rayons mordorés. Nos adversaires se figèrent soudain, aveuglés par le soleil. L’astre s’élevait dans les cieux. Les masses obscures commençaient à se dissiper, dissoutes dans la lumière de l’étoile d’Orfianne. En quelques minutes, elles disparurent, entièrement purifiées.
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