Chapitre 73 : L’entraînement (chap. Remanié)
Sur ces mots, un Métharcien surgit dans la salle, me prit fermement par le bras et m’obligea à traverser cet inextricable dédale en me traînant avec brutalité jusqu’à ma chambre. Il m’y jeta sans ménagement et scella la porte magique.
Je m’affalai sur le lit. J’étais bouleversée par les révélations de l’Ombre.
Comment était-ce possible ? Les Terriens étaient en réalité une race hybride… le fruit d’un jumelage entre deux planètes. Cela pouvait expliquer leur soudaine évolution. L’Ombre les voyait comme des pantins, des rats de laboratoires. Comme une expérience scientifique qui aurait mal tournée.
Leur vie ne tenait qu’à un fil. Je pouvais autant devenir leur seul espoir, en admettant que l’Ombre en vienne à partager ma vision des choses, que leur pire cauchemar. J’en ressentis un poids énorme sur mes épaules. Au moindre faux pas, c’était à nouveau une civilisation entière qui risquait de disparaître.
L’extinction des Guéliades n’a-t-elle pas suffit ? Et celle des Amérindiens, sur Terre ? De tous ces autres peuples décimés, oubliés, parce que les êtres humains sont incapables de se parler ou de s’écouter ; que l’envie de pouvoir est plus forte que le respect de l’autre et de sa culture ?
Je fondis en larmes, impuissante.
Je me ressaisis, farfouillai dans mon sac pour y reprendre la fleur d’Arianna et la Pierre de Vie. Je pris le pétale arraché dans mes paumes, invoquant la Reine des Fées de toute ma force mentale.
Les minutes s’écoulaient. Longues, dans un silence insoutenable.
Aucune réponse.
Si seulement la précédente Gardienne était là pour me transmettre tout son savoir !
J’imaginais cette magnifique jeune femme aux cheveux bleus m’enseigner cette magie ancestrale. Je songeai à la bataille. Elle avait dû mourir dans d’atroces souffrances, désespérée de n’avoir pu sauver son peuple.
Refusant d’abandonner, je formulai des incantations en serrant ma Pierre de Vie. Je priai avec toute la foi dont j’étais capable, me centrai sur ma respiration pour canaliser son pouvoir. Mais impossible de me connecter à ma planète. Je ne pouvais même pas utiliser ma propre magie. Sauf… peut-être celle des émotions. Avorian me l’avait formellement interdit. Il fallait pourtant essayer quelque chose !
Je convoquai mes peurs, ma colère, mon envie de fuir. Mon corps se mit à frémir, envahi d’une pulsion destructrice. Ma ténacité porta ses fruits : la magie afflua vers mes paumes. Elle prit la forme d’une sphère bleutée. Je la balançai contre la porte. Une sorte de bouclier translucide apparut à la place et avala ma boule lumineuse. J’en projetai plusieurs avec rage – en vain. À chaque fois, la carapace absorbait mes pouvoirs. Sans la magie d’Orfianne, j’étais incapable de générer des rayons lumineux.
Exténuée par cet échec, je décidai d’aller me coucher. Je ne pouvais rien faire de plus enfermée dans cette chambre.
Le lendemain, bien que je fusse incapable de dire s’il faisait jour ou nuit, un Métharcien entra à nouveau sans frapper. Je sursautai. Comme à son habitude, il posa un plateau repas sur la petite table en me regardant dans les yeux.
J’entendis sa voix dans ma tête prononcer :
« Je te conseille de prendre des forces, petite chétive, car le maître a décidé de t’entraîner ».
Il sortit de ma chambre.
L’Ombre avait donc fait le mauvais choix. Peut-être était-il encore temps de l’en dissuader. Je mangeai sans appétit.
J’observais mon reflet dans le miroir. Une Nêryah abattue, aux traits fatigués. Je ne me reconnaissais presque plus. Mes cheveux auburn, naturellement ondulés et brillants, étaient à présent lisses, secs, ternes. Le danger permanent nous empêchait de nous reposer. Je n’avais pas eu l’occasion de profiter d’un véritable lit depuis bien longtemps. Cela me manquait, et mon corps en souffrait : je le constatais avec mes perpétuelles courbatures, les douleurs dans le dos, la nuque. Ce train de vie concilié au manque de nourriture m’avait fait fortement maigrir.
Dans ce royaume souterrain, je pouvais manger à ma faim, me laver dans une eau chaude, et dormir dans un lit confortable. Ce constat me mit mal à l’aise.
À peine habillée d’une longue robe noire, le Métharcien revint dans ma chambre, me fit signe de le suivre. Le sort qui maintenait la porte verrouillée devait avoir sa propre intelligence pour laisser passer uniquement l’Ombre et ses sbires.
Je marchai derrière lui, tête baissée. Nous traversâmes le long enchevêtrement de couloirs aux murs phosphorescents, jusqu’à un nouveau sas immatériel, plus large que celui de la salle du trône. Le Métharcien le fit disparaître d’un geste de la main et me bouscula à l’intérieur d’une immense arène aux parois sombres. L’Ombre s’y trouvait, un autre Métharcien à ses côtés. Comme tous ses congénères, il portait une longue toge grise.
La sombre créature s’approcha. Ce vaste cercle me donnait déjà le tournis. J’imaginais qu’une fois parvenu au centre de la piste, on se sentait perdu, au point d’oublier par où l’on était entré.
– Tu vas combattre contre mon meilleur guerrier, m’ordonna l’Ombre.
Le Métharcien me toisait d’un air grave, impitoyable. J’en avais froid dans le dos.
– Avez-vous réfléchi à notre discussion ? m’enquis-je.
– Oui, et c’est pourquoi je commence dès à présent ton entraînement. Quoique je décide, j’ai besoin de ton pouvoir.
L’Ombre recula aux abords pour admirer en première ligne le spectacle qui s’annonçait. Quelques Métharciens, sans doute avides de voir un peu d’action, se postèrent à l’entrée. Je n’étais pas du tout préparée à ce combat ! Seule la magie des émotions pouvait opérer dans ce royaume souterrain, et je n’avais même pas pu prendre la Pierre de Vie avec moi.
Mon adversaire continuait de me fixer de son regard impassible. Je me sentais impuissante face à cette impressionnante créature, à l’allure digne. Ses grands yeux saphir m’intimidaient. Je ne connaissais que trop bien la puissance des Métharciens.
Le guerrier ne me laissa pas le temps de réfléchir à une stratégie : un fin rayon jaune sortit de sa corne du milieu à une vitesse fulgurante. Mon instinct de survie fit apparaître un bouclier autour de moi : le mince trait doré percuta ma défense sans pour autant la percer. Paniquée, je plaçai mes mains en position arrondie, façonnai une boule lumineuse et visai sa poitrine. À ma grande surprise, mon adversaire mit son bras devant lui, mon pouvoir fut dévié de sa trajectoire. Il s’écrasa contre le mur de l’enceinte. Le Métharcien ne semblait ni satisfait, ni lassé. Imperturbable. Son visage ne changeait pas d’expression.
Je lançai plusieurs sphères, la peur au ventre. Il les écarta toutes de la même manière, avec une facilité déconcertante. Je dirigeai sur lui un drôle de jet marron, reflet de mes émotions, mais il le déporta une nouvelle fois.
Par un simple geste, le guerrier évitait toutes mes attaques.
Il plaça sa main devant lui, exerça un léger mouvement des doigts. Une force invisible me projeta en arrière. Je m’envolai malgré moi droit vers le mur. Mon corps forma par réflexe un bouclier protecteur. Je le larguai en direction de mon point de chute, rebondis dessus, puis glissai le long de la paroi. Je me vidais de mes forces en usant ainsi de mes propres ressources.
Mon adversaire profita de ce moment d’inattention pour me catapulter contre le bord de l’arène. Je percutai le mur froid, m’écroulai brutalement en roulant au sol. Des petites lueurs défilaient devant mes yeux. Mon crâne me faisait horriblement mal. Je secouai vivement ma tête, passai une main sur mon front, et, en la retirant, découvris du sang.
Je me relevai avec peine, étourdie.
Je criblai mon adversaire d’une salve de sphères. Une seule le toucha au bras. J’en profitai pour employer cet étrange rayon brun qui atteignit enfin sa cible. La créature fut à son tour propulsée dans les airs, mais se servit judicieusement de son faisceau jaune en le dirigeant vers le sol pour ralentir sa chute.
Encore sonnée par le choc, j’entendis soudain un bruit insupportable dans ma tête, comme des ultrasons. Je courbai l’échine en poussant un cri, puis me forçai à me redresser, pantelante. Le Métharcien avait ses doigts contre ses tempes. Je décochai deux sphères. Il retira ses mains pour les repousser ; le son cessa immédiatement.
Désespérée, je vis quelques gouttes de mon sang perler sur mon bras. La blessure s’aggravait.
Je reformai hâtivement un bouclier, enchaînai une combinaison de sphères et de rayons brunâtres, engendrés par ma rage grandissante. Rapide comme l’éclair, mon opposant se défendit à la perfection.
Je perdais trop d’énergie. Mon état empirait.
Je ne pouvais pas me permettre de renoncer. Je pensai très fort à notre arbre sacré, implorai son soutien. Le Métharcien me darda de ses rayons mortels ; ma bulle protectrice tint bon, m’accompagnant dans le moindre de mes mouvements, comme une seconde peau.
Une magie séculaire afflua en moi. Paupières closes, mon bouclier toujours en place, je visionnais des lignes dorées parcourir mon corps. Cette force venait de mon âme, de mon peuple. Elle demeurait en moi depuis toujours, tout comme ma planète. Plus besoin de chercher à l’extérieur.
Je me laissai guider, dans un état de transe, parant les attaques avant qu’elles ne m’atteignent. J’utilisai cette vigueur nouvelle et la concentrai dans mes mains. Un large rayon couleur turquoise en émergea, tandis que son faisceau jaillit pour le contrer, sans y parvenir. Mon sort le toucha au ventre, déchirant ses entrailles. Il riposta par une salve de tirs. Je perdis la connexion avec l’arbre sacré, effrayée par ce bombardement. Ma sphère protectrice céda. Je formai à la hâte un autre jet turquoise dans mes paumes, le dirigeai sur lui.
Trop tard. La créature employa son pouvoir psychique. Mon corps s’éleva dans les airs sous son emprise. Je valsai au-dessus du sol, telle une marionnette. Au même moment, mon propre rayon atteignit sa cible : le Métharcien tournoya dans le vide, emporté par ma magie. Son envoûtement pris fin ; je retombai violemment contre le mur.
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