1-Chapitre 2 (2/3)

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Ben posa la tasse de café sur le bord de son plan de travail et se rassit devant le rabot. Il commença à égaliser sa planche, puis se massa la nuque en bâillant, incapable de se concentrer. Pourtant, le travail qu’il avait prévu, comme souvent les lendemains de bals, était de la plus grande simplicité. Une gorgée de breuvage fumant plus tard, il reprenait son instrument pour s’atteler à la tâche. On lui secoua l’épaule. Levant les yeux de son ouvrage, il découvrit le sourire narquois de Jo qui lui faisait signe d’enlever son casque. Ben s’exécuta. Nouveau bâillement. Comme lui, les autres n’étaient pas très frais donc l’atelier était anormalement calme.

« Alors, c’était comment ? »

Ben fit mine de ne pas comprendre, s’apprêtant à replacer les écoutes sur ses oreilles, mais son cousin s’assit à califourchon sur sa planche.

« Allez, sois pas chien ! Moi je te raconte bien comment ça se passe !

— Et je ne te le demande pas ; c’est ton choix.

— Attends, tu nous as plantés en plein milieu de la nuit alors que t’avais promis de nous ramener, et t’as fait un raffut monstre en rentrant à la maison ce matin ; j’ai le droit de savoir pourquoi !

— On a dansé.

— Dansé ? Toi ? À d’autres ! »

Ben haussa les épaules et s’essuya le front. Sa main se couvrit aussitôt de cette poussière blanche qui collait à tout dès qu’il entrait dans l’atelier. Comme Jo ne faisait pas mine de se lever de la planche pour le laisser travailler, il en profita pour saisir sa tasse de café. Déjà, la chaleur de la journée se faisait sentir malgré la porte grande ouverte de l’atelier. Une coulée de sueur rafraîchit ses tempes, qu’il essuya d’une main sale. Jo n’abandonna pas :

« Comment elle s’appelle ?

— Je l’ignore.

— Tu ne lui as pas demandé ?

— Parce que tu connais le nom de ta cavalière, toi ? »

Jo rougit : il rougissait très vite dès qu’on abordait le sujet de sa mystérieuse (pas si) inconnue des bals.

« C’est différent ! Toi, tu as parlé avec une femme que personne n’avait jamais vue avant ! »

Sur ce, Sam les rejoignit, s’installant à son tour confortablement sur la planche à raboter de Ben. Étant de ceux qui s’étaient retrouvés à marcher la veille à cause de la défection inopinée de leur chauffeur, il ne s’embarrassa pas de salutations :

« Du coup, c’était qui ? », demanda-t-il d’une voix rendue rauque par le manque de sommeil et un excès d’alcool nauséabond.

Ben leva les yeux au ciel. Il voulut se redresser pour leur échapper, retenu de force par la poigne d’un Sam rieur qui voulait sa réponse, mais il n’avait pas entamé le mouvement que la silhouette de leur chef se dessina à l’entrée de l’atelier. Aussitôt, ils se redressèrent pour l’accueillir.

« Monsieur le vicomte ! »

Le vicomte entra de son pas élastique, un sourire immense éclairant son visage. Derrière lui, trois femmes entrèrent, plus ou moins confiantes.

« Messieurs, c’est un grand moment ! Nos nouvelles recrues sont arrivées ! Je compte sur vous pour les accueillir comme il se doit et les intégrer dans l’équipe rapidement. »

Il enchaîna aussitôt les présentations. Ils connaissaient déjà la fille du postier qui leur livrait le journal tous les midis puisque l’ancienne postière remplaçait parfois son père lorsqu’il était malade. Julie était une femme guillerette qui aimait le travail bien fait. Elle avait décidé de se réorienter professionnellement, préférant la conception artisanale au tri systématique de piles de courrier. Si la présence de Julie les réjouissait, celle d’Agnès, l’une des petites sœurs de Sam (elle lui décocha un sourire goguenard qui ne présageait rien de bon), annonçait toute autre chose. Ils se crispèrent tous au souvenir du peu de fois où elle était venue les voir travailler ; Ben n’aurait pas imaginé que la menuiserie serait dans ses choix de vie. La dernière, une certaine Chloé, était la nièce de la lavandière qui sauvait leurs vêtements infestés de sciure. La nièce portait un bonnet enfoncé jusqu’aux cils et une chemise de travail si grande que seul le bout de ses doigts dépassait. Il ne se souvenait pas avoir entendu Adelphe parler de sa nièce récemment, mais le teint blafard de la jeune femme annonçait peut-être une maladie.

« Julie et Agnès vont travailler ici avec vous, mais Chloé sera à côté », le vicomte désignait la vitre qui courait le long de tout un mur. De l’autre côté, une seule personne s’affairait, leur tournant le dos avec résolution. Ils opinèrent du chef sans un mot, préoccupés à l’idée de devoir gérer Agnès et Sam dans la même pièce à longueur de journée.

« Benoît, je te confie les nouvelles ? »

Ben faillit demander pourquoi lui, puis se rappela qu’il avait été promu chef d’atelier depuis que son oncle avait pris sa retraite quelques mois plus tôt. Le vicomte entraîna donc la troisième recrue vers l’entrée des artistes, cette porte en bois toujours fermée qui représentait le seul lien entre le « Bloc » et leur atelier en sus de la baie vitrée intérieure. Ils en arrivaient parfois à oublier l’existence de ce rectangle aseptisé, car leur seule artiste mettait un point d’honneur à esquiver tout commerce avec eux. Hélios n’était rejointe que sporadiquement par d’autres recrues qui ne tenaient pas six mois.

Ben fit signe à Julie et Agnès de le suivre dans la réserve pour leur trouver un équipement adapté. Il n’avait aucune idée de la marche à suivre pour les intégrer puisque l’équipe n’avait pas accueilli de nouveaux depuis son arrivée huit années plus tôt. Il se nota mentalement de demander conseil à son oncle. Après avoir dégoté tant bien que mal des bleus de travail et des casques antibruit à la bonne taille, il les laissa se changer au vestiaire en rejoignant les autres.

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