Chapitre 2 (2/4)

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Ils expirèrent tout l’air de leurs poumons. Soulagé, Ben se redressa, guidant Sam à l’intérieur jusqu’à sa chambre. Son ami s’écroula de tout son long sur le lit. Il remua tellement lorsque Ben tenta de lui ôter les chaussures qu’il lui laissa la seconde, puis revint dans le couloir où Jo chantait une berceuse aux deux autres outres. Ce fut alors Jo qui disparut à l’intérieur quelques minutes. Des bruits de draps froissés indiquèrent qu’il se battait aussi avec Hercule pour le mettre à l’aise. Il revint, essouflé.

«Bon, plus qu’un. Le canapé est déplié?

- Oui, ils ont pensé à le préparer avant la soirée. À croire qu’ils avaient prévu de finir en loques avant de venir…»

Alors les deux cousins se penchèrent pour saisir chacun un bras de Poirot. Il était si lourd qu’ils ne parvinrent pas à le relever. Jo s’essuya le front en attendant que son cousin trouve une solution.

«On n’a qu’à le traîner, tant pis.

- Je sais pas pourquoi, mais j’ai franchement l’impression de rentrer d’un meurtre…»

Ben laissa échapper un rire nerveux qui sonna comme un grognement. Il ne manquait plus que ça pour couronner la nuit. Ils avaient parcourut la moitié du couloir lorsque Jo revint à la charge:

«Alors tu as fait quoi?

- C’est pas vraiment le moment, là…

- Tu l’as tuée?

- Quoi?!

- Pire que de te remettre avec ton ex, je vois pas trente-six solutions! Personne ne l’a vue après votre départ…»

Et Jo de rentrer dans des détails sordides sur toutes les indices qui pouvaient donner à croire qu’elle avait été assassinée.

«Mais non, je ne ferais jamais un truc pareil!»

Mais l’angoisse l’étreignit. Il aurait très bien pu les tuer tous les deux, cette nuit. L’huile enflammée aurait pu s’accrocher à leurs vêtements. Ils auraient pu se consummer d’une manière autrement moins agréable que celle qu’elle avait choisie.

«Alors quoi?»

Ils jetèrent Poirot sur le canapé-lit. Les ressorts crissèrent bruyamment. Silence.

«Enlève-lui ses chaussures, je vais chercher une couverture.»

Jo s’exécuta, attendant qu’ils ressortent en fermant doucement le battant derrière eux. Le cliquetis du loquet reprenant sa position les rassura. Ils retournèrent à la voiture avec prudence, puis claquèrent les portières. Trop fort. Un aboiement.

«C’est pas vrai!», cracha Ben en cherchant la clé dans sa poche. Elle se balançait au bout des doigts de son cousin qui la maintenait hors de portée. «On doit y aller.»

Nouvel aboiement. Suivi d’un second.

«Jo, fais pas l’idiot, on va se faire incendier s’ils nous trouvent ici.

- Je te donnerai la clé quand tu m’auras dit quelle bêtise tu as inventée.»

Ben songea alors sérieusement à l’assommer. Puis il se rappela que c’était son cousin, et qu’on ne faisait pas une chose pareille. Il plongea la tête dans ses mains. Nouveaux aboiements, ils avaient réveillé la meute. Alors il sortit de la voiture et s’éloigna à grands pas dans la grisaille du petit matin. Jo ne l’entendait pas de cette oreille. Ses pas pressés le suivirent, puis il l’attrapa et le plaqua au mur:

«Ben, tu as fait quoi?»

Et il y avait de l’affolement dans son regard. Ce n’était plus pour s’amuser ni par curiosité qu’il voulait la réponse. Il avait sincèrement peur. C’était inhumain de le laisser se ronger les sang comme ça.

«Tu te souviens, quand j’ai faillit mettre le feu à la grange?»

Les bras de Jo retombèrent. Figé. Son visage avait perdu toutes ses couleurs. Un concert d’aboiement résonnait dans la rue, des cris commencèrent à se faire entendre. Ben récupéra les clés dans la main inerte de son cousin, puis le tira par le bras pour regagner la voiture. Ils s’engouffrèrent dans l’habitacle, démarrèrent, puis s’enfuirent sous les cris furibonds de toute la rue.

Jo ne retrouva l’usage de sa langue qu’une fois le moteur coupé devant chez eux.

«Tu n’as pas fait ça.»

Silence.

«Mais pourquoi?

- Elle m’a demandé…»

Mais il se tut. Non, la femme-flamme ne lui avait pas demandé de mettre le feu à la salle de bain de la vicomtesse; elle n’avait aucune idée de ce dont il était capable.

«Elle te l’a demandé?

- Non… Non, elle a juste dit quelque chose, et sur le coup, c’est la première idée qui m’est venue en tête.

- Un incendie?

- C’était plus un tour de magie…

- Un incendie?», répéta Jo, plus fort. Ben se recroquevilla sous sa colère. Jo secoua la tête, prit plusieurs longues inspirations pour se forcer à garder son calme.

«Comment va-t-elle?

- Bien. Très bien. Très très bien, même.

- J’espère qu’elle t’a traité de fou-furieux et qu’elle t’a engueulé en règle comme ta mère à l’époque.»

Ben garda le silence, mais le regard de Jo le força à avouer, d’une toute petite voix d’enfant coupable:

«Elle était plutôt impressionnée, en fait.»

Jo ferma les yeux: «Avec toutes les femmes qu’il y a sur terre, il a fallut que tu montres ça à la seule qui soit aussi folle que toi… Et dire que je trouvais que ton ex avait une mauvaise influence sur toi!

- Je sais… je sais… et c’est exactement pour ça que je ne dois plus la revoir.»

Jo enfoui la tête dans ses mains avec une infinie lassitude.

«Tu as fait ça où?

- Dans… une… salle de bain.»

Exclamation étouffée. Visage horrifié.

«Dans un endroit plein d’eau? Tu te rends compte que tu aurais pu brûler le château entier?

- Non, je savais que ça se passerait bien.

- Tu savais que…»

Et Jo d’éclater d’un rire incrédule qui sonnait comme une crécelle enfermée dans une boîte de cafards. Soudain, il lui fit face, un soupçon horrible lui plissant les yeux:

«Tu savais… Tu t’étais entraîné? Tu t’étais entraîné! Tante Martha t’avait interdit de recommencer!»

Ben s’écroula sur le volant. Si la vicomtesse ne le tuait pas en découvrant l’état de sa salle de bain, ce serait sa mère qui le ferait lorsque Jo lui rapporterait son forfait. Tout ça, pour prolonger la magie d’une nuit impossible.

«Dis-moi que ça en valait la peine.»

Ben confirma sans hésiter une seconde. Ils se laissèrent aller contre les dossiers de leurs sièges, contemplant le bleu du ciel s’étaler sur l’horizon.

«Tu vas en parler à Maman?

- Je serai bien obligé quand la police viendra te chercher. J’attendrai quand même que tu sois en prison avant de lui expliquer, tu seras plus en sécurité là-bas.»

Un rire commun les secoua, nerveux, épuisé.

«Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant?

- Je suppose que je dois aller voir la vicomtesse et lui expliquer comment j’ai fait ça… Tu penses que je peux dormir quelques heures avant?

- Bah, d’une manière ou d’une autre tu vas te faire trucider, tu n’es plus à ça près.»

Jo posa la main sur son épaule, rassurante.

«Si je croise ton fantôme, je lui montrerai ta tombe et je lui demanderai d’y poser la plus belle gerbe de fleurs du pays. Elle te devra bien ça.»

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