Chapitre 7 (1/3)

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L’expression de Benoît, en ouvrant la porte, aurait mérité une photo. Elle aurait pu faire une série «Le choc» avec les cinq minutes durant lesquelles il la contempla fixement, ses neurones refusant de se connecter pour comprendre ce qu’il voyait. Et puis elle aurait même pu enregistrer son accueil chaleureux: «Chloé?» d’une voix d’asthmatique en crise.

«- Je suppose que ça ne t’a pas effleuré que je puisse rendre visite à ma tante de temps à autres?

- C’est elle qui t’a envoyée?»

Chloé nia de la tête. Par automatisme, elle avait coincé le pied dans la porte dès la première seconde. C’était sans doute la réaction la plus bizarre de toutes celles qu’elle avait développées au cours de ses années dans le nord; toujours utile pour être invitée à des fêtes dont on avait «Oups! Perdu le carton d’invitation». Précaution qui s’avéra parfaitement inutile cette fois puisque Benoît était trop poli pour lui fermer la porte au nez. Et heureusement, parce que se faire claquer la porte sur les chaussures faisait rarement du bien; on avait plâtré l’une de ses amies pour cela (au passage, ce n’est pas la peine de mentir sur la cause de la cassure, les médecins ne sont pas dupes). Il l’invita à entrer sans plus rien comprendre de la situation, se dirigeant mécaniquement vers le canapé qui trônait au milieu du salon. À peine assis, il s’emmitouffla dans une couverture.

«- Tu ne devrais pas t’allonger, plutôt?»

Mais Benoît ne semblait pas en état de se relever pour aller… dans sa chambre, présuma-t-elle. Alors elle prit place à son tour sur le sofa, beaucoup trop près à son goût. Il avait l’odeur des malades: ce mélange de sueur aigre et de médicaments qu’elle avait toujours détestée. Pourtant, le parfum de son savon le suivait, ce qui signifiait qu’il venait juste de prendre une douche. Un savon qu’il lui semblait avoir déjà humé quelque part… impossible de l’identifier clairement avec ces autres arômes qui s’y superposaient.

«- Pourquoi es-tu là?

- Tu voulais clarifier deux ou trois petites choses à mon sujet, non?»

Il s’abîma dans une quinte de toux.

«- Pas avec toi.»

Elle s’énerva. Ils commençaient à lui chauffer les oreilles, tous, à toujours décider pour elle de ce qu’elle devait faire, ou pas, dire, ou pas, accepter, ou pas, vendre, ou pas, sculpter, ou pas. Elle ne pouvait même pas s’habiller sans qu’on lui fasse remarquer ce qu’elle aurait dû porter (ou pas)! Alors s’il avait des choses à dire à son sujet, il n’avait qu’à les lui dire en face au lieu de faire des messes basses avec sa tante ou de lui envoyer ses sbires!

Chloé s’énervait tellement qu’elle semblait chanter plus que crier. Sa voix courrait sur tous les tons, à des rythmes effrénés qu’elle interrompait soudain pour reprendre, plus lentement, gravement, jusqu’à retrouver une vitesse vertigineuse. Ben ne parvenait pas à suivre son discours. Elle se tut enfin, et son expression signalait qu’il avait intérêt à présenter un excellent argumentaire afin d’éviter une nouvelle salve verbale. Ce n’était malheureusement pas le meilleur jour pour travailler ses plaidoyers.

«- Vous avez toutes le même caractère dans la famille?

- Certainement pas!»

Ce n’était pas lui qui avait demandé à Jo de venir lui parler, il tenait à ce qu'Adelphe le sache pour éviter, justement, qu’elle ne revienne à la charge comme lorsqu’elle avait appris pour le projet des enchères. Il expliqua longtemps la visite surprise de la lavandière -ou plutôt, il toussa beaucoup et parla un peu-. Puis la confession de Jo, la veille, qui se sentait un peu coupable d’avoir rajouté un coup de pression supplémentaire sur Chloé. Ben lui avait déjà demandé de laisser tomber: il l’avait dit à Jo, il voulait l’expliquer à Adelphe. Puis il toussa encore un moment, et se pelotonna dans ses couvertures. Chloé resta immobile, sa colère toujours clairement lisible sur son visage, mais silencieuse. Elle pondérait ses arguments. Il aurait bien voulu s’excuser de la situation dans laquelle il l’avait mise, mais il était dans un tel état d’épuisement qu’il ne trouva pas l’énergie suffisante.

«- Si j’ai bien suivi», articula-t-elle enfin, «pour sauver tes oliviers, tu dois t’assurer que la vicomtesse présente une oeuvre aux enchères des Ulmes?»

Il confirma silencieusement.

«- Ce n’est pas vraiment important que je sculpte quelque chose, n’est-ce pas?

- Si tu sais présenter une oeuvre d’exception autrement, je suis preneur.»

Un long silence s’étira, tout empli des réflexions nerveuses de sa visiteuse. Il sentit le sommeil s’apesantir sur ses paupières.

«- Ça fait un moment que j’ai une idée en tête… je ne me demande si ce ne serait pas l’occasion de tenter.»

Il se réveilla un peu, tout ouïes.

«- Vous avez pas mal de statues dont vous ne faites rien à l’atelier.

- Ah, les invendus…»

Il y avait une bonne raison pour lesquelles ils n’avaient pas réussi à les vendre: personne n’en voulait.

«- Tu as le droit de les vendre? Au nom de l’entreprise?»

Il réfléchit péniblement:

«- Sûrement. Il faudrait que je vérifie les contrats mais on a déjà fait ça par le passé.

- Je connais peut-être des gens que ça pourrait intéresser.

- Des gens?»

Elle parut ennuyée qu’il demande des précisions.

«- Mes créanciers. Ils vendraient mes chaussettes si ça pouvait leur rapporter des sous.»

Ben faillit rire, mais toussa violemment.

«- Tu devrais vraiment t’allonger.»

Alors il obéit et s’étala de tout son long sur le canapé. Il avait oublié qu’elle était assise dessus.

«- Je voulais dire, dans ton lit…»

C’était étrange de la regarder sous cet angle, presque comme… puis il ferma les yeux, épuisé de chercher des choses qu’il ne trouvait jamais. Il préféra la laisser raconter son plan. Il n’osait pas y croire, cependant, parce que ce serait vraiment trop beau si ça marchait et parce qu’il doutait que les invendus puissent valoir autant que ce qu’exigeait le vicomte. Mais peut-être cela permettrait-il de sauver une parcelle du terrain, celle qu’il préférait où ils pique-niquaient certaines fins de semaine. Celle où les chiens se dirigeait spontannément lorsqu’on allait à l’oliveraie. Puis Chloé parla d’autre chose; il était question de photographie, de films, de brocantes… l’épuisement l’engourdit. Il s’endormit calmement, la tête sur ses genoux.

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