3-Chapitre 8 (2/3)

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Les notifications popaient à une telle vitesse que Ruby ne parvenait même plus à identifier les titres ou images avant qu’elles ne soient remplacées par d’autres. Le vernissage occupaient tous les médias artistiques du pays, commentant, hypothétisant à qui mieux mieux le geste incompréhensible de l’artiste. Jeter une sculpture aussi parfaite dans l’âtre, sortir sur cette phrase magistrale sans le moindre regard pour la foule, cela avait de quoi choquer même les habitués. Jamais Chloé n’était allée aussi loin: une fois ses sculptures vendues, elle cessait de s’y accrocher comme un chaton à son rideau, son esprit occultant le traumatisme de la séparation pour se consacrer à d’autres oeuvres. Ruby avait travaillé avec elle assez souvent pour le savoir; si quelqu’un pouvait être qualifié d’expert en Chloé D., c’était bien elle.

Parmi toutes les suppositions des journaux et émissions artistiques que Ray compilait à longueur de journées pour les lui résumer entre ses autres obligations, aucune ne semblait pertinente. Déjà, les descriptions de l’acte en lui-même se contredisaient les unes les autres, et Ruby avait visionné plusieurs vidéos sous différents angles de vue qui semblaient toutes montrer une scène différente. Les avait-on éditées, recoupées, pour raconter une histoire très différente de la réalité? Si elle n’avait pas assisté au vernissage, elle n’aurait sû qui croire. Mais elle était là -grâce à Ray et au prix exhorbitant auquel il était parvenu à décrocher leurs entrées, qui semblait soudain un bon investissement au vu du scandale- et savait ce qu’elle avait vu.

Chloé, arrivée avec plusieurs heures de retard comme à son habitude, dans une robe magnifique qui ne lui seyait pourtant pas tout à fait. Un vêtement de toute évidence emprunté qu’elle avait tenté d’adapter à ses mesures en quatrième vitesse avant de venir… ce qui ne lui ressemblait pas: Chloé avait toujours mis un point d’honneur à porter les robes les plus parfaitement ajustées qu’elle pouvait trouver. D’autres détails n’avaient pas échappé à l’oeil attentif de l’agente: son visage encore plus pâle que de coutume dont le maquillage ne parvenait à masquer les cernes, le pli un peu trop prononcé du sourire sur le coin droit qui le faisait sonner faux, l’hésitation -à peine- avant de répondre aux questions des journalistes… questions un peu idiotes et très mal adaptées au caractère de l’artiste auxquelles Chloé avait eu le plus grand mal à répondre -aucune question sur l’art lui-même, seul point d’aise de la sculptrice-. Seul un agent d’une grande incompétence pouvait laisser son artiste se débrouiller seule devant cette horde de fouineurs! Ses mains, surtout… Ruby était parvenue à l’approcher suffisemment pour distinguer les fines cicatrices qui zébraient la peau fragile. Jamais on n’avait vu une Chloé D. se blesser à l’oeuvre, quels que soient ses retards. Sa précision n’avait jamais faillit à la sculpture, c’était une certitude.

Même si elle n’avait pu lui parler, l’agente était certaine que c’était bien sa Chloé, la véritable artiste et non une sosie tentant de lui voler sa place. Mais son artiste n’était pas dans son assiette, c’était le moins qu’on puisse dire. Ce qui signifiait que Chloé ne sculptait pas comme elle en avait l’habitude… ou qu’elle subissait une forme de sévice mental ou physique. Les deux, à en croire son état.

Puis elle avait eu ce geste, au dernier instant. Détruire sa sculpture par le feu. Ruby était la seule à interpréter cet acte pour ce qu’il était vraiment: un appel à l’aide.

«La fierté ne danse que sur un lit de braises.»

Chloé étant ce qu’on pourrait qualifier d’un égo ambulant, cette phrase ne pouvait signifier qu’une chose: elle souffrait une traversée de l’enfer. Mais, à nouveau, quelles preuves pouvait apporter Ruby pour dénoncer cela à la police? Après avoir vu celle qui passait pour une artiste au mieux perturbée, au pire, complètement cinglée, se déplacer librement dans un tel évènement, qui voudrait croire qu’elle était à la mercie d’un dangereux criminel exploitant son talent pour son profit?

Le clavier de Ruby protesta sous la pression un peu trop forte que ses ongles factices imprimait sur les touches. Ruby continua de le poignarder quand même pour passer sa colère sur quelque chose, incapable de définir comment agir. Il lui fallait trouver une solution tant que Chloé était encore vivante. Peut-être Ray connaîtrait-il quelqu’un qui pourrait obtenir ces preuves pour elle? Un genre de détective privé capable de retrouver la trace d’une célébrité qui s’était évaporée dans la nature dix minutes après avoir fracassé son oeuvre sous les yeux ébahis de plus de cinq-cents personnes? Elle pouvait toujours tenter cette piste, à défaut de mieux.

«- Ray, j’ai une mission pour toi!»

Aussitôt, son assitant fut à ses côtés, carnet en main, prêt à remuer ciel et terre pour dégoter ce dont elle aurait besoin. Il était vraiment dévoué, ce gamin, elle avait bien fait de l’embaucher.

«- Trouve où se cache Chloé D., discrètement.»

Ray sursauta. Ses mèches multicolores semblèrent se hérisser un peu plus sur son crâne.

«- Discrètement? Vous savez que ce mot ne se prononce jamais dans une phrase qui contient Chloé D.?

- Eh bien, tu vas te prouver le contraire. Débrouille-toi pour que personne ne sache rien de tout ça en dehors de nous… c’est pour ça que je te paie.»

Ray pâlit sensiblement, mais ne releva pas. Au contraire, il se redressa un peu en opinant du chef.

«- Je m’y emploie de ce pas, je vous tiens informée de toute information utile.»

Il lui fit cette petite courbette à laquelle elle commençait à s’habituer, puis quitta le bureau en se grattant la nuque. Cela n’empêcha pas le clavier de continuer de souffrir sous les ongles de Ruby.

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