4-Chapitre 33 (1/3)

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Jo lui tendit la gourde en s’épongeant le front. Ben ne se fit pas prier pour en vider la moitié, puis il accepta la serviette pour absorber la transpiration qui pesait sur ses épaules. Leurs chemises de grosse toile collaient à leurs torses depuis des heures, mouillées par l’effort et la chaleur étouffante du milieu de journée. Pourtant, les deux cousins préféraient les garder plutôt que de brûler sous les rayons impitoyables du soleil. L’ombre des oliviers n’était pas assez longue pour les protéger. D’autant que Ben détestait exposer le champs de cicatrices qui constituait son buste. Il se demandait parfois si Jo gardait sa propre chemise par délicatesse ou par crainte des coups de soleil.

Son cousin interrompit la réflexion :

« Alors, ça fait quoi de remettre les pieds à l’oliveraie après tout ce temps à essayer de la sauver ?

— Ce n’est pas encore fait. »

Ben reposa la gourde au pied de l’arbre, à côté du panier de pique-niques qui attendait qu’on s’inquiète un peu de lui. Mistouffle leva le museau en voyant sa main passer, puis comprit que ce n’était pas encore son moment donc il replongea la truffe entre ses pattes en braquant ses grands yeux marron vers lui. Ben lui ébouriffa le sommet du crâne, puis reprit son râteau.

« Mais tu as vendu les masques et tu as réuni, quoi, un tiers de million ? C’est un bon début, non ?

— Le vicomte se moque de l’argent, tu penses bien. Il en a fait une affaire personnelle depuis qu’on a vendu ces photos dans son dos.

— Mouais… », grommela Jo en tapant bruyamment sur une branche pour en faire tomber les olives mûres à point. « Tu sais, je crois qu’il utilise ça comme excuse pour te forcer à faire sculpter Chloé.

— Ce qui marcherait si elle était là. Et encore…

— Elle finira bien par revenir. »

Ben continua de jouer du râteau sans répondre, les lèvres pincées. Un mois qu’elle avait disparu. Bénédicte avait eu le temps de sortir de l’hôpital et de prendre ses jambes à son cou dès qu’on avait évoqué la récolte —toujours aussi fuyant qu’une anguille, celui-là !— et le vicomte semblait de plus en plus agacé par ce qu’elle mijotait là-bas dans le nord, et dont on ignorait de quoi il retournait.

Son cousin posa la main sur son épaule.

« Hé, elle va revenir. Elle a une sculpture sur le feu à l’atelier : elle ne la laisserait inachevée pour rien au monde, tu le sais très bien. »

Ben haussa les épaules pour se donner contenance, puis se rappela que ce n’était pas dans ses habitudes à lui, donc il préféra s’intéresser au pique-nique. La faim commençait à se faire sentir. Cette fois, Mistouffle se leva pour le rejoindre et lui lécha les mains avec bonheur lorsque Ben lui gratouilla la gorge. Le chien pendit alors la langue et s’éloigna pour aller se désaltérer dans sa gamelle avant de revenir s’allonger contre lui. Jo s’assit en face d’eux en s’employant à couper le saucisson.

« Alors, que veut le vicomte cette fois ? Parce que la sculpture à un million, elle l’a déjà sortie il y a un mois, non ? »

Ben tartina la tapenade et tendit une tranche généreuse à Jo.

« Tant qu’il ne l’aura pas vendue, on ne saura pas combien elle vaut, cette sculpture. Mais ce n’est plus une question d’argent, maintenant. Il veut que Chloé livre une œuvre achevée à chaque bilan. »

Jo siffla devant le défi.

« Pendant combien de temps ?

— Un ou deux ans… jusqu’à ce que la fierté blessée de monsieur le vicomte estime qu’elle n’a pas trop souffert du succès retentissant de son artiste, je suppose.

— Il ne peut pas t’imposer ça sans durée fixe, c’est du délire. Tu n’as pas accepté quand même ?

— Tu voulais que je fasse quoi ? Soit il prenait l’oliveraie tout de suite… soit, j’ai peut-être une chance de la récupérer. Un jour.

— Mais c’est complètement illégal ces choses-là ! »

Jo croqua dans une tranche de pâté en jurant de manière très malpolie, lui qui l’était rarement ailleurs qu’au volant, sur le vicomte et l’abus outrancier dont il usait de sa position.

« Tu sais quoi ? On devrait aller voir la vicomtesse et lui expliquer que c’est du grand n’importe quoi. Tu as déjà remboursé un tiers de la somme, il ne peut pas continuer à te mettre le couteau sous la gorge comme ça !

— Comme tu disais, il s’en sert sans doute comme excuse pour obliger Chloé à sculpter.

— Mais elle n’y est pour rien, Chloé ! À moins que tu me dises que c’est elle qui t’a aidé à brûler la salle de bain, on pourrait la laisser tranquille, elle a déjà assez de problèmes comme ça ! »

Ben caressa les oreilles de son chien, songeant au regard d’or de l’artiste, inondé de larmes comme il l’était toujours.

« Tu ne dis plus rien ?

— Je ne sais pas, Jo. Franchement, je ne sais plus. Chloé passe son temps à détruire des trucs. Ses sculptures, ma main, sa réputation… sa relation avec sa tante. Peut-être qu’elle a fait quelque chose au vicomte ? Peut-être qu’elle a encore fait une bêtise depuis qu’il l’a envoyée dans le nord ? Peut-être… »

Ben songea à l’aube, pas si éloignée, ou un autre peut-être l’avait effleuré. Puis il secoua la tête en songeant au soleil qui se levait dans les yeux de son Fantôme, secs ; à l’espoir qui fondait dans ce sourire ; à la force dans ses doigts ; à la vie qui animait chacun de ses gestes.

« Tu ne sais pas, ou tu ne veux pas savoir ?

— Tu m’énerves, Jo. On ferait mieux d’y retourner, les olives ne vont pas se récolter toutes seules. »

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