3 Palais - Bouquet

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4 septembre.

Quatorze jours de travail avant l’inauguration.

Il fait chaud aujourd’hui. Certains gars sont torses nus, d’autres se versent de l’eau de bouteille sur le visage et dans le dos.

Magnan fait des pauses à l’ombre dans sa voiture, une Renault Express. Portes du coffre ouvertes, pelle, râteau, binette, adossés à la carrosserie, deux brouettes vides à ses pieds, elle est assise à l’arrière, un genou replié, en train de boire au goulot d’une bouteille d’eau.

Edmond se demande comment elle gère le truc, la chaleur, le manque de compagnie sur son lieu de travail. Le boulot c’est quand même un endroit où l’on discute. Elle n’a que de rares échanges avec Bruno, avec un gars de la décoration aussi. Mais c’est tout. Là, c’est la saison agréable, pas trop chaud, pas trop froid. Comment fait-elle les autres saisons, quand il pèle ? Et puis il y a le travail en lui-même. Les gars sont toujours par deux ou par trois. Il y en a un qui tient pendant que l’autre tape ; un qui finit de coffrer pendant que l’autre coule le béton. Elle, elle se paluche tout toute seule.

J’imagine qu’elle n’est pas du genre à demander de l’aide aux gars.

Remarque, elle n’est pas toute seule, elle doit causer avec ses brouettes !

Et puis le boulot est raide.

Il n’y pas de charge trop lourde, quoique la brouette de débris devait bien faire son poids. Pareil quand elle va chercher de la flotte, toujours dans une brouette. Elle trimballe des brouettes dans sa voiture comme d’autres trimballent des sacs à main. Mais quand même… Et toutes les fois où elle ne prend même pas la peine de poser un genou à terre, elle travaille le cul en l’air avec tous les mecs autour. C’est quand même un peu space.

 

À l’heure de la pause déjeuner, les gars partent vers le restaurant qu’ils se sont assignés comme cantine pendant la durée du chantier. Comme un seul homme à midi, ils s’arrêtent, passent se débarbouiller dans les sanitaires du Palais et rejoignent « La Table des Ch’tis ». Magnan leur succède, monsieur Piacenza lui ayant donné un double de clé en lui demandant d’être discrète.

 

Elle engage la clé dans la grande porte vitrée, mais elle n’est pas fermée. Traverse le hall, ouvre la porte des sanitaires et tombe sur Edmond, torse nu, en train de se savonner au-dessus d’un lavabo.

Penché en avant pour se rincer la nuque à grands coups d’eau, il ne l’a pas vue entrer.

Il porte son pantalon de chantier déboutonné sur les hanches, laissant apparaître le large élastique de couleur de son slip.

Boxer ?

Mystère !

Et Mila est saisie. Son regard accroché sur le haut de ce corps.

Ses bras interminables sont drapés de muscles secs et de veines saillantes. Son abdomen n’est qu’une plaine de dunes géométriques. Son torse, déjà large, semble agrandi encore par des pectoraux minces et grands comme des assiettes. Sa poitrine est velue, d’une toison de poils courts châtain clair, qui descend en une ligne rivière jusqu’à son pubis. Les poils de ses aisselles sont rasés.

Elle n’a jamais vu un corps d’homme aussi beau. Son corps, cette posture, comme un vase le fait d’un bouquet… Elle recule pour échapper à l’entrebâillement de la porte et quitte le bâtiment sans faire de bruit.

Elle sort son calepin de sa poche et entame un croquis. Mais elle bute sur les mots clés. D’ordinaire c’est facile : rage, haine, mépris, émerveillement, mélancolie, tristesse. Mais là, pschitt. Rien.

Elle range son calepin, s’installe dans la voiture et attend qu’il sorte. Assise à l’arrière, le bras posé sur son genou plié, elle croque un sandwich.

 

Edmond s’approche, ses cheveux mouillés et coiffés :

— Vous ne mangez pas avec les gars ?

— Oui.

— Oui, quoi ? Vous mangez avec eux ?

— Non, je ne mange pas avec les gars.

— C’est quoi le problème ? Leurs gueules, leurs blagues salaces ?

— Leur odeur !

Il éclate de rire.

— Vous avez raison, restez dans votre voiture, au moins vos brouettes, elles font ce que vous leur dites, au doigt et à l’œil !

Il lui tourne le dos et s’éloigne en rigolant.

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