11 Palais - Pierres et Terres

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15 septembre.

Entre les élus du conseil municipal et l’ingénieur du son, Edmond hésite à jouer avec une nouvelle appli de son téléphone quand celui-ci se met à sonner.

— Vallone !

— Ouais, c’est Guy.

— Oui Guy.

— On est sur un chantier chez un particulier. On a un souci. La cliente veut voir le patron tout de suite, monsieur Robert m’a dit de vous appeler.

 

Edmond suit la route goudronnée qui monte à travers une forêt de chênes.

Des chemins privés se laissent découvrir au dernier moment et mènent à des habitations dont on ne perçoit pas même la toiture. Le coin n’est pas désert mais pas loin. Une dernière borne et il aperçoit le chemin qui descend sur la droite.

C’est un sentier large stabilisé par du gros calcaire et le passage d’engins. Un jeu de toitures se détache sur le dénivelé. Un toit deux pentes assez long, probablement sur la construction principale, et un pan de toiture plus bas entre la bâtisse et le talus à l’arrière de la maison. Plusieurs véhicules d’entreprise sont garés devant.

 

La construction est une maison toute en pierres, comptant une bâtisse principale et une extension. L’ensemble posé dans la pente face à la vallée.

Personne ne semble être à l’extérieur. La maison lui fait l’effet d’un refuge et il l’imagine l’hiver enveloppée de neige dans cette nature traditionnelle avec des arabesques de plumes claires sortant de la cheminée.

Sur la façade latérale, la porte d’entrée avec une fenêtre. La façade principale, elle, est toute exposée au sud, comme les singes en lotus. Elle doit faire une vingtaine de mètres de long et compte deux portes-fenêtres, un œil de bœuf et trois fenêtres.

Les pierres, petites, plates, sont saines, dans un mélange de crème, de brun et d’ocre. Les joints sont propres, probablement refaits récemment, beige rosé. L’ensemble est très harmonieux. Les tuiles sont anciennes, toutes tannées par les lichens. On distingue un rang de génoise et des gouttières rondes en zinc ajoutées récemment.

Devant la maison s’étend une zone de terrain quasi plane d’une dizaine de mètres de profondeur. La terre est défoncée, jonchée à certains endroits de gravats et de débris de chantier. La vue est magnifique, sans aucun vis-à-vis. C’est donc une bergerie avec la vallée et la rivière en serpent à ses pieds, et la forêt pour manteau.

Edmond longe la maison jusqu’à son coin sud-est. Devant lui, sur le mur est, des bûches de bois sont empilées sous un appentis. Derrière lui et quelques mètres plus bas, un cabanon métallique, largement vitré. Il donne davantage l’impression d’une serre que d’un abri de jardin. Il s’en approche, et ne distingue pas clairement ce qu’il y a à l’intérieur : rien de très vert, plutôt marron brique, terre.

 

Des éclats de voix de femme lui parviennent d’une porte-fenêtre ouverte. Il abandonne son inspection furtive et entre dans la maison.

Les murs sont en pierres apparentes, le sol en tomettes mates. Le plafond est blanc en sous-pente, révélant de très belles poutres anciennes. Sur le mur de droite, une cheminée, petite, en pierre de taille très simple, très épurée. Près d’elle, une table basse sommaire, un canapé cognac en cuir vieilli ainsi qu’une étagère métallique, avec de gros livres grossièrement empilés.

Au fond à gauche, une cuisine aménagée, avec un grand plan de travail qui débute sous la fenêtre près de la porte d’entrée et qui court sur tout le mur du fond. Une étagère vide en bois glisse au niveau des yeux au-dessus du plan. Et dans ce coin, une vieille table ronde en châtaignier, avec un saladier en porcelaine blanche posé en son centre et quatre chaises en chêne paillées disposées autour, avec un motif de Saint-Jacques sur le haut du dossier.

Les voix se font plus agressives, venant d’une porte au fond à droite de cette grande pièce, Edmond entre dans un couloir éclairé.

Sur la droite, trois portes, plus une au fond, toutes fermées ; sur la gauche, une porte ouverte, de la lumière et les voix. Il entre.

 

Les visages sont crispés. Une silhouette grande, en jogging bleu, lui tourne le dos. Tout semble déjà avoir été dit sans que pour autant une issue n’ait été trouvée. La tête basse, les poings sur les hanches, la silhouette fulmine.

Voyant Edmond, tous se tournent vers lui et Guy le présente :

— Edmond Vallone, nouveau chef de l’entreprise.

Edmond découvre alors Mila, mode furax. Beaucoup furax.

— Magnan ? Qu’est-ce que vous foutez ici ?

— Vous ? Mais qu’est-ce que vous faites chez moi !

 

La pièce est grande et correspond à l’extension dans le talus. Les tomettes au sol sont moins stabilisées, plusieurs fenêtres tout en longueur surplombent des étagères vides et rapidement montées contre le mur du talus et laissent voir à sa base, des traces d’humidité importante. Le plafond n’est pas isolé.

Guy explique :

— Il avait été convenu avec Madame que l’isolation de cette pièce, il ouvre les mains, celle dans laquelle nous sommes, murs et plafonds, serait faite pour le 20 septembre. Or nous avons pris du retard et il est clair que nous ne tiendrons pas ce délai.

Sa voix se fane sur ses derniers mots.

Voili Voilou, la messe est dite.

— Madame a expressément, il insiste sur le mot, besoin que cette pièce soit opérationnelle avant les premiers froids. Merci d’être venu, dit-il, passant la patate fumante à Edmond.

 

Edmond souriant, s’avance tendant sa main.

— Mademoiselle Magnan, je suis heureux de vous revoir !

Mila se tourne à peine vers lui, gardant les poings serrés sur les hanches.

— J’ai besoin de déménager des choses dans cette pièce avant les premiers froids, explique-t-elle calmement. Il était prévu qu’elle soit terminée pour cela.

— Qu’est ce qui était prévu précisément comme travaux ? demande Edmond.

Guy :

— Nous devions faire le plafond en placo avec une isolation en laine de verre.

— En sous-pente ou à plat ?

— En sous-pente.

— Hum, fait Edmond, la pièce fait bien cinquante mètres carrés, ça doit faire quatre-vingt mètres carrés de plafond incliné au bas mot. Effectivement…

Regardant Mila dans les yeux.

— Cela ne va pas être possible, Mademoiselle Magnan.

Mila baisse la tête et change de couleur. Progression progressive vers le rouge écarlate.

Edmond :

— Messieurs, pourriez-vous nous laisser s’il vous plaît. Je vous retrouve au dépôt.

Et les hommes quittent la pièce les uns derrière les autres.

 

Edmond et Mila se retrouvent tous les deux dans ce grand espace.

Mila, toujours tête baissée, a croisé ses bras sur sa poitrine.

Edmond, détendu, est bien décidé à ne pas parler le premier.

Un silence patient s’installe.

Mila :

— Le Palais des Congrès est terminé ?

— Eh bien, si on considère la coordination d’un chantier, alors oui. Si on considère la préparation de l’inauguration, alors non.

Mila se lance :

— Ils m’avaient donné leur parole que tout serait fait comme je l’avais demandé. On avait un contrat, on a tous signé ce putain d’papier. De toute façon c’était sûr. Y’avait aucune chance.

Elle sourit, dégoûtée. Et après un silence où elle regarde ailleurs, elle articule à peine :

— Il va falloir que je déménage toutes mes affaires dans mon appart’.

— Mademoiselle Magnan, qu’est-ce que c’est que vous souhaitez rapatrier ici ?

— Ça ne vous regarde pas !

D’accord !

Edmond la regarde d’abord amusé, ensuite il dit :

— Ici, cette pièce n’est pas isolée et elle n’a pas d’apport de chaleur par le soleil. Par contre comme elle est semi enterrée, il n’y fera jamais très froid.

À chacune de ses phrases, il la scrute vérifiant qu’elle suit son raisonnement.

— Disons, une dizaine de degrés minimum, quelle que soit la température extérieure, peut-être douze. Comment comptez-vous chauffer cette pièce ?

— Chauffage électrique.

— Convecteurs, radiants ?

— Radiants. J’espère.

— Tout ce que vous allez générer comme chaleur va partir par le plafond.

Il regarde le plafond.

— Les poutres sont saines, magnifiques. Vous avez une très belle maison. Je comprends que vous souhaitiez conserver les poutres apparentes. De toute façon, quand bien même vous y renonceriez, nous ne serions pas en mesure de faire le plafond, même à plat.

Il la regarde et avec douceur, il demande :

— Il n’y aucune autre pièce dans la maison dans laquelle vous pourriez déménager vos « trucs », parmi celles dont le plafond a été refait ?

Mila ne peut répondre.

Laisser entrer des gens chez elle, c’est déjà pas facile, mais se défaire de ses projets prévus de si longue date dans cette maison, ça c’est hors de question.

Edmond insiste pourtant, tendant une main vers le couloir.

— Est-ce que je peux regarder ?

Mila n’a toujours pas de réaction, si ce n’est d’être encore plus menhirifiée.

— Blanche ?

Elle le regarde, étonnée.

— Le plafond de la pièce de vie a été refait. Celui du couloir aussi. Les pièces qui sont dans le couloir, l’ont-elles été également ? Une salle de bains, une chambre ? Peut-être deux ?

Il essaie d’être un chat, mais comment avancer sans faire de traces dans la neige ?

— À l’extérieur de la maison, il y a trois fenêtres, toutes avec des menuiseries récentes. Le mur à droite du couloir est en cloison et non en pierre. Vous venez de le faire faire probablement. Et dans le couloir, il y a quatre portes. Les gars n’ont pas dû monter les cloisons sans avoir posé l’isolation du plafond. Même des hommes du bâtiment, ajoute-t-il en souriant.

Mila le regarde.

Mais d’où sort ce type !

Elle dit, déboussolée :

— Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ? Les autres ne m’ont rien demandé.

— Parce que les hommes c’est comme les femmes : il y a ceux qui font ce qu’on leur dit, et d’autres qui se posent des questions. Ceux-là, vous les aviez choisis pour qu’ils fassent ce que vous vouliez. Non ? Au doigt et à l’œil ! ajoute-t-il avec un clin d’œil.

Elle cligne des yeux et fronce ses sourcils.

— Dans toutes les maisons d’habitation, reprend-il doucement, il y a une cuisine, une salle de bains, une chambre. Des toilettes, ajoute-t-il dans une grimace.

— Dans toutes. Blanche, c’est votre prénom n’est-ce pas ? Je n’ai pas l’intention de violer votre intimité. Je vous connais un peu, je crains des représailles.

Il sourit, mais Mila est sans expression.

— J’essaie de trouver une solution, simplement.

Elle plante son regard châtaigne dans le sien et dans une immense expiration, elle dit :

— Vous trouvez toujours des solutions à tout… ?

— Moyennant que je connaisse le problème… !

Rassemblant son courage comme on lance une pièce en l’air, elle dit :

— Venez…

 

Mila emmène Edmond dans le couloir. Elle ouvre une première porte. C’est une salle de bains, caressée de lumière claire émanant d’une grande fenêtre. Le mur de droite est en pierre, celui de gauche en cloison, le sol est en tomettes.

Elle ne pousse pas la seconde, elle dit simplement : toilettes.

La troisième est une très grande chambre. Mur de droite en cloison, mur de gauche en pierre, le sol est en chêne brillant. Des livres sont empilés en colonne par terre. Un grand matelas est posé à même le parquet, avec une couette et un oreiller en tissu uni bleu ciel. Une vieille armoire en noyer, une chaise paillée en bois et un portant sur roulettes avec des cintres vides sont les seuls meubles de la pièce.

Edmond sent le regard inquiet de Mila sur lui.

Elle sort et pousse la dernière porte, celle du fond du couloir.

C’est une pièce plus grande encore que la précédente. Tous les murs sont en pierres saines mais non nettoyées, le sol est de terre battue, il y a des piles de tomettes effondrées dans un coin et le plafond est refait.

Il se tourne vers elle, étonné.

— Ne pourriez-vous pas mettre vos « trucs » ici ?

Elle regarde la pièce, embêtée.

— Je ne sais pas ce que vous avez fait vous-même et ce que vous avez fait faire par les équipes. Euh… poursuit-il, cette maison est une grande maison. Cette pièce est-elle destinée à des amis, à un enfant ? Vous avez de la famille, des amis, un ami, quelqu’un qui va venir vous aider pour la terminer ?

Et plus doucement.

— Est-ce pour cela que vous ne pouvez pas mettre vos « trucs » ici ?

Mila le regarde. Edmond sait qu’il a grillé toutes ses cartouches.

— Je suis désolé, reprend-il, je vous ai promis de ne pas être indiscret et je me transforme en gynécologue…, lance-t-il une main sur la nuque.

— Non ! dit-elle, du tout. C’est juste que… pour mes « trucs », la lumière du sud n’est pas la meilleure. Et elle génère de la chaleur. J’aurais préféré une pièce plus tempérée.

— Ah !

— Mais je pense que vous avez raison. Je vais pouvoir mettre mes « trucs » ici. À court terme en tout cas.

Un silence pesant s’installe entre eux dans cette pièce qui sent la terre et l’humidité, baignée, elle aussi, de lumière douce.

Edmond :

— J’aime bien ces odeurs de terre et de cailloux.

— Moi aussi.

— Vous avez fait beaucoup de choses vous-même, n’est-ce pas ?

Mila sort de la pièce, Edmond la suit. Dehors face à la maison toute en long, elle respire mieux.

— Oui, finit-elle par répondre. J’ai fait tout ce que j’ai pu toute seule.

— Ça ne m’étonne pas.

Mila baisse la tête.

— J’espère que je le ferai moi aussi un jour dans ma maison, dit-il.

Mais Mila ne le regarde pas. Elle l’écoute.

— Pour l’instant je n’ai qu’un petit appartement, en ville.

Puis dans le vide.

— Je ne sais pas si je vais rester. Mais en attendant où vivez-vous ? Vous rentrez ici chaque soir ?

— Non, elle sourit, j’ai un petit appart’ en ville. Moi aussi.

 

Son téléphone sonne, Edmond le sort de la poche du jeans, appuie sur un bouton et le range à sa place.

Mila aime bien comme il bouge, comme il est bien installé dans son corps et dans sa vie.

Le plus bizarre c’est le fait qu’il n’a pas encore fui. D’habitude, tout le monde fuit. C’est pratique.

— Blanche, il faut qu’on décide ce que l’on fait. Officiellement, je veux dire, contractuellement. Je peux vous proposer quelqu’un pour faire tous vos travaux, ceux que vous êtes d’accord pour confier à un tiers. C’est un homme que je connais bien. Il vient de prendre sa retraite de charpentier. Il connaît presque tous les métiers du bâtiment. Il est très discret. Il ne fera rien sans y être invité.

Alors qu’elle ne répond pas, il dit :

— Qu’en pensez-vous ?

— D’accord.

— Bon. Maintenant j’ai besoin de voir derrière le mur de votre grande pièce du côté de la pente. Il y a des taches d’humidité, je veux être sûr que la pierre n’est pas euh… il s’interrompt, choisissant ses mots, endommagée. Êtes-vous d’accord ?

Elle fronce les sourcils et lâche :

— Vous allez me demander mon avis sur tout ?

— Euh… oui !

— Je ne suis pas une gamine. Arrêtez de me parler comme à une demeurée !

Les narines d’Edmond papillonnent.

— Blanche Magnan, vous commencez à me gonfler !

Il se pose face à elle, tout près, plantant ses yeux dans les siens.

— Votre mode deux têtes me fatigue. Tantôt vous avez confiance en moi et tantôt je ne peux qu’abuser de vous parce que je suis un homme. Réunissez votre conseil d’administration et prenez une décision !

Il s’éloigne et d’un ton sans appel, il lance :

— En attendant, je fais mon boulot. Amenez-vous, je veux vous montrer.

Il reprend le chemin, montant sur quelques mètres et coupe à travers le talus vers le mur enterré.

 

Ils s’accrochent aux arbres, le sol est meuble. Edmond surveille Mila du coin de l’œil. Elle ne laisse rien paraître, elle sourit même. Voir cette fille, là, souriante, à crapahuter dans la terre avec lui, le choque. Il n’a jamais fait ça. Il la regarde un instant et hésite à lui proposer de l’aide. Mais il se renfrogne et descend au contact du mur.

Du pied, il fouille la terre, les feuilles de chêne. Le mur dépasse d’une trentaine de centimètres à peine du talus, Edmond se baisse et examine les pierres.

Mila tente de le contourner sans le toucher mais elle trébuche et vient se ratatiner contre le mur. Edmond ne relève rien. Au-dessus de la terre, les pierres sont couvertes de mousse et des herbes poussent entre. Il gratte la mousse, les joints. Ils ont une mauvaise couleur verte et sont friables comme du sable.

— Hum. Magnan, le mur n’est plus protégé contre l’humidité. Le niveau d’humus a dû monter et désormais l’humidité traverse. C’est ce que l’on voit dans votre pièce, de l’autre côté.

Il examine les tuiles, la jonction avec la bâtisse principale, puis regarde les fenêtres.

— Regardez dit-il, là ! Regardez l’épaisseur du mur !

Par le vitrage, il montre l’épaisseur du mur et le rebord qu’il fait avec la menuiserie posée dessus.

— Quarante bons centimètres, c’est du costaud !

Il sourit, puis il longe le bâtiment pour revenir sur le chemin, Mila sur ses talons.

Arrivé devant la porte-fenêtre ouverte, il lui dit froidement :

— Est-ce-que je peux rentrer chez vous ?

— Oui, répond-elle, les sourcils froncés.

 

Mila est mal à aise.

Même si elle sait que c’est dans l’ordre des choses, qu’elle a accepté son aide, elle ne suit jamais personne chez elle d’ordinaire. Ni elle ne suit, ni n’est suivie, vu qu’elle y est toujours toute seule.

Mais Edmond ne fait pas cas de tout cela. Il traverse d’autorité le séjour, ouvre la porte du couloir puis celle de la grande pièce. Il contourne le grand plan de travail et s’accroupit près du mur humide. Il y a des traces noires sur le bas du mur mais pas sur le haut. Mila se place comme lui, Edmond gratte les pierres et les joints. Il a une cicatrice longue et ancienne sur le dessus de la main droite.

Edmond :

— De ce côté, ça va, le mur est sain.

Sa façon de bouger la touche. Ses gestes souples, déterminés, ses mains grandes et agiles. Il n’a pas d’appréhension. Il analyse et décide. Les choses sont simples pour lui.

Edmond se redresse brusquement, se frotte les mains pour en détacher la poussière et face à elle, il dit :

— Beaucoup d’humus s’est accumulé contre le mur dehors, sur un peu moins de deux mètres de long.

Il désigne la paroi concernée.

— Si on ne fait rien, les joints vont continuer de se désagréger et les pierres se descelleront. Votre mur est épais, pas d’inquiétude, il est inutile de le refaire. Mais il faut, il insiste, retirer cette terre, refaire un drain et ré-étanchéifier la paroi de l’extérieur.

Il poursuit :

— Les murs en pierre ne sont pas faits pour être étanchéifiés, au contraire leur grande propriété est de respirer. Je pense que l’extension a été prévue avec un nettoyage fréquent contre le mur, de façon à ce que rien ne s’accumule contre. Là, il y a quasiment un mètre trente… et il ouvre ses bras pour représenter ce que cela fait un mètre trente d’humus contre le mur.

Mila est bouleversée par ce corps d’homme et l’envergure de ses bras. Pour un mètre trente, il les ouvre à peine.

— Il faut l’enlever et le remplacer par des matériaux drainants, des cailloux par exemple. Ensuite, comme de toute façon d’autres débris vont s’accumuler à cause de la pluie, les feuilles des arbres notamment, il faut protéger le mur. Je vous conseille de refaire les joints sur toute la hauteur, jusqu’à la fenêtre. Mais ceci est à faire en plus de l’isolation du plafond que vous avez prévue.

— Pour combien va-t-il y en avoir ?

— Je ne connais plus bien les prix des matériaux en France. Je dirais environ huit cents euros. Et un peu plus en main d’œuvre.

Mila gémit.

— À titre personnel, enchaîne Edmond, je pense que vous pouvez vivre dans la maison et utiliser cette pièce en pièce froide, en débarras par exemple. Les autres pièces sont isolées de celle-ci par le mur de pierres du bâtiment principal. Je pense que vous pouvez passer un hiver comme ça. Ensuite, sans tarder, il faudra changer les fenêtres parce qu’elles sont très abîmées. En attendant n’essayez surtout pas de les ouvrir.

— Si je vous donne mon accord, sous quel délai tenable, le gronde-t-elle des yeux, pensez-vous que tout cela, le plafond et le mur, pourrait être terminé ?

Edmond sourit.

— Envisagez-vous que ce soit la personne dont je vous ai parlé ou préférez-vous l’équipe de l’entreprise ?

— Lequel sera le plus fiable et tiendra les délais ?

— Je pense que pour vous, la personne est le meilleur choix.

— D’accord. Alors combien de temps ?

— Je dirais deux mois au mieux.

Mila gémit de nouveau. Elle dit :

— Vous me faites un devis, en bonne et due forme ?

— Oui, madame, je vous fais ça.

— Pour quand ?

Sa tête est baissée, elle sourit.

Edmond rigole.

— Semaine prochaine. Ça vous va ?

— D’accord.

Sortant son téléphone, il lui demande :

— Vous me donnez un numéro de téléphone ?

— Pour quoi faire ?

— Le devis… !

— Mon téléphone ne fait que téléphone.

— Une adresse mail ?

— Euh… non, je n’ai pas d’adresse mail.

Il la regarde, soupçonneux.

— Eh Magnan ! Je vous l’envoie comment ce devis ? Par pigeon ? Vous me donnez votre adresse personnelle ?

 

Ils sortent de la maison.

L’après-midi est terminée, le soleil décline sur l’amont de la vallée.

Edmond lui tend la main, Mila le regarde sans bouger.

— C’est ce que font les gens quand ils veulent sceller un accord, dit-il.

Mila lui rend son geste et ils se serrent la main.

Sa main est insistante, son regard est insistant.

Elle sent sa main. Tellement grande qu’elle l’enveloppe toute. Elle la réchauffe toute entière en un mélange de pointe froide, glacée, et de vague chaude et lumineuse juste derrière. Ça fait comme quand le métal fond. La fusion avance rouge, mais sur son passage, juste avant, il y a une boursouflure bleu glacé.

Ses yeux sont beaux, son visage est beau. Cette force qu’il rayonne, cette sérénité qui émane de lui, c’est comme un foyer de cheminée. Oui c’est ça. Elle pourrait rester près de lui. Elle n’a pas peur de lui.

Edmond tourne les talons, s’arrête, revient et lui dit :

— Elle mérite qu’on prenne soin d’elle.

— Pardon… ?

— Votre maison. Elle mérite qu’on s’en occupe.

Puis il s’en va.

Elle le regarde monter dans la Peugeot, faire demi-tour devant chez elle et partir.

Le voir manœuvrer devant sa maison, occuper cet espace, un endroit qu’elle voulait reculé, isolé de tout, est bizarre. C’est comme si ça allait de soi, il fait partie des pierres, de la terre, de la forêt autour. Il n’est pas une tache sur une nappe. C’est comme s’il y avait une place pour lui ici, sur son île. Elle n’a jamais vu les choses comme ça.

C’est un baume. Un bon-homme, une crème nourrissante et apaisante.

C’est délirant ce que je raconte, je ne mets jamais d’crème. Comment j’peux savoir ce que ça fait.

Il est bizarre, il est gay.

Un point c’est tout.

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