14 Palais - Pagaïe

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Abigaëlle coupe le contact de sa voiture.

— On y est. Ne t’inquiète pas, ça va bien se passer.

— Mmh.

— Si ça ne va pas, tu me le dis, je te ramène.

Elles sortent de la voiture. C’est le troisième ou quatrième parking du Palais des Congrès, les autres sont déjà pleins.

Elles s’approchent et passent la grande porte de l’entrée principale. Des hôtesses en cire animée cherchent leurs noms dans des listes posées sur une petite table.

Elles pénètrent dans le hall, Mila cherche à saisir la température du lieu : il y a les choses qu’elle connaît, les murs, les angles, les escaliers, mais voir ce que les hommes en ont fait l’intrigue.

Derrière la grande porte d’entrée vitrée, il y a ce grand hall et l’immense pièce principale. Tout de suite à gauche du hall, un espace très haut mais peu large, comme une galerie, avec de très grands vitrages. Les buffets et le bar y sont installés. En arrière de cette galerie, un cube contenant la salle de spectacle. À droite du hall, tout près de la porte d’entrée, le vestiaire. Et derrière le vestiaire, la piste de danse avec, au-dessus d’eux, la salle de restaurant et les cuisines.

Mila débute son analyse de la vie publique contemporaine. Les personnes qui sont là pour voir, les personnes qui sont là pour être vues. Et les coins tranquilles pour observer tout ce cirque.

Abigaëlle l’entraîne vers le vestiaire, elles y perdent leurs sacs à main, y gagnent un ticket. Hum.

Abigaëlle est très maquillée, ses cheveux blonds ondulés sont crêpés avec des perles brillantes, elle porte une robe moulante en skaï rouge et des talons gigantesques plus semblables à des piolets de glacier qu’à des charentaises. Bref elle a activé le mode chasse à l’homme.

Dans la traînée de la comète, Mila est à l’abri. Elle n’a aucune question à se poser, Abigaëlle meuble tout : l’espace, le son et l’image.

— Bonsoir mesdemoiselles !

— Bonsoir Pepito !

Abigaëlle :

— C’est à vous que l’on doit d’être ici, merci, dit Abigaëlle reconnaissante.

— De rien ! Je suis très content que vous soyez là, très fier. Mila, tu es magnifique, comme d’habitude. Il l’embrasse sur la tempe. Profitez bien de la soirée et ne ratez pas mon discours.

Pepito s’éloigne.

Elles s’approchent du bar, prennent une coupe de champagne et avancent un peu dans la salle.

L’aura bouclier d’Abigaëlle n’est finalement pas suffisante. Mila se sent comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. L’expression lui vient naturellement et pour la première fois, elle mesure la profondeur de cette phrase. Aucun éléphant à bord. Chacun est là pour trouver quelque chose, mais pas elle. Elle est en mode don de soi.

 

— Abigaëlle ! Moitié un cri, moitié un rire.

Un homme de taille moyenne, habillé tout en noir, très élégant, s’approche d’Abigaëlle en écartant les bras comme le Cristo Redentor de Rio de Janeiro.

— Daniel ! répond Abigaëlle avec le même enthousiasme.

— Comment vas-tu, ma belle ?

— Très bien et toi ?

— Oh moi, fait le garçon d’un mouvement de poignet, très très bien !

— Daniel, je te présente Mila. Mila je te présente Daniel. Daniel est un ami d’enfance. On était voisins.

Pendant qu’ils discutent, Mila scanne la salle.

Ce n’est plus un chantier désormais. C’est un lieu habité, avec des commodités de bienséance.

Des appliques avec ampoules, des tapis de sol lourds et foncés. La table de chantier a disparu au profit du buffet de petits fours salés. Le planning aussi, remplacé par un immense panneau sur pied représentant le Palais des Congrès et la nouvelle cité autour, vus du ciel dans une perspective improbable, un jour de grand beau temps avec des tas de badauds se promenant sur ses abords. Et dans l’immense pièce principale, une estrade a été posée où des personnes s’affairent à faire courir le fil d’un micro jusqu’au mur.

Il y a vraiment quelque chose d’étrange à voir utiliser cet endroit par des gens comme s’il avait toujours été là.

En quelques mois on passe de la terre, les lapins, les herbes, la pluie, les escargots, le vent, à un sol carrelé, une température tempérée, une ambiance lumineuse alors qu’il fait nuit, on passe d’un endroit occupé par des gens qui travaillent à un endroit occupé par des gens qui font quoi, c’est quoi qu’ils font d’ailleurs, les gens ici ?

Les choses sont parfois étranges.

Mila se fait la réflexion que dans ce genre d’endroit, personne n’est seul. Même les gens qui regardent la foule le font à plusieurs. Il y a ceux qui discutent entre eux, familiers. Ceux pas familiers qui discutent à plusieurs, avec souvent une coupe de champagne. Cela doit faire monter chacun dans un rang social supérieur probablement. Il y a ceux qui sont familiers et ici chez eux, et qui à force d’éclats de rire bruyants le font savoir. Il y a les couples seuls ensemble et qui profitent d’être accompagnés comme on l’est d’un animal de compagnie pour regarder les autres gens autour. Ceux qui, ensemble en groupe d’intérêt ou de recherche équivalente, sont en mode balayage qui d’un acheteur, qui d’un vendeur, qui d’un patron, qui d’une secrétaire.

Car qui, finalement, a intérêt à venir dans ce genre de regroupements humains ? Personne. Mila en est convaincue. Tous ceux qui viennent là, viennent chercher quelque chose. Du bon temps, du temps entre amis ? Elle ne voit pas. Non, elle, elle est là pour faire plaisir à Pepito. Parce que faire plaisir à Pepito c’est important !

Donc mode zoo sous-marin activé, elle respirera en sortant.

Dans tout ce qu’elle a fait aujourd’hui avec Abigaëlle pour préparer la soirée, elle a oublié un truc, c’est la cape d’invisibilité d’Harry Potter.

Allez, du courage !

Se tenir le plus loin possible d’Abigaëlle, finalement, est plus sage, et que les êtres humains les plus près soient très inconnus.

Plongée dans ses tactiques, Mila n’a pas vu Edmond donner son nom aux hôtesses à l’entrée, flatter leurs regards coquins d’un sourire.

 

Il avance doucement, balayant du regard la foule dans ce hall qu’il ne connaît, lui aussi, que vide.

Ses cheveux foncés sont à peine rangés. Des mèches bouclent sur le col de sa chemise blanche. Il porte un costume gris perle avec une cravate orange unie. Il est très élégant. Son visage est souriant mais ses yeux très ouverts ne trompent pas sur son embarras.

Il s’arrête un peu et aperçoit Pepito qui vient à sa rencontre.

Ils se serrent la main longuement, discutent. Edmond se détend, les deux hommes ont l’air familier. Pepito l’invite à le suivre et de dos, Edmond déduit immédiatement Mila.

Pepito :

— Re-bonsoir, mesdames.

Edmond, en retrait, examine Mila.

Elle a légèrement noirci ses yeux, sa bouche est brillante couleur rose orangé clair, ses pommettes sont rosies. Ses cheveux semblent encore plus doux, plus lumineux. Il devine sa poitrine sous sa chemise fluide très décolletée avec une perle brillante au creux du cou. Il remarque tout un tas de grains de beauté sur sa peau dans cette zone-là. Une ceinture tressée noire souligne sa taille bien haute, comme un bracelet, marquant toutes les formes arrondies de son corps, celles en vallée, celles en colline. Les couleurs froides de sa chemise et de son pantalon contrastent avec la chaleur de sa peau, de ses boucles et de ses yeux.

Bras ballants, les mains jointes, Mila se demande comment elle a pu penser une seule seconde que cette soirée pouvait être autre chose qu’un cauchemar. Le regard pensif d’Edmond sur elle lui vaut une nausée terrible. Elle ne peut absolument pas le regarder. Elle sait que c’est lui, mais là, c’est pas possible de le regarder. En plus elle devine qu’il n’est pas, lui non plus, en tenue de chantier, et que si elle le regarde, elle va avoir des réactions qu’elle ne va pas pouvoir gérer.

Sous l’eau, une seule issue : la syncope.

Pepito prend la parole :

— Abigaëlle, Daniel, je vous présente Edmond Vallone. Il est architecte, c’est lui qui a assuré la fin du chantier ici.

Edmond, sûr de lui, tend la main à chacun.

— Bonsoir ! chante Daniel.

Abigaëlle :

— Monsieur Vallone, j’ai beaucoup entendu parler de vous.

Edmond ne bronche pas. Il serre la main de Mila et s’adoucit.

— Bonsoir Blanche, dit-il dans un murmure.

Mila ne répond pas, rouge écarlate, elle regrette d’avoir posé son sac. Il y a un bouquin à l’intérieur, elle pourrait s’enfermer dans les toilettes et s’échapper un moment.

Edmond et Pepito discutent à nouveau. Mila observe Edmond de côté. Les couleurs de ses vêtements lui vont très bien, elles contrastent avec le bronzage de son visage et la clarté de ses yeux. Il porte parfaitement le costume, ses épaules et son torse remplissent le haut de sa veste. Une main dans la poche de son pantalon, sa veste ouverte sur sa chemise blanche, Mila s’attarde sur son ventre, sur sa ceinture. Elle sait le torse qui est dissimulé derrière. Ses poils, sa chair. Toutes ces choses inutiles ici, bâillonnées par ces morceaux de drap. Elle imagine ses doigts fermant un à un les boutons de sa chemise murant les trésors de son corps. De ses jambes, elle devine les fesses et les cuisses fermes sous les plis du textile…

Non non non !

Elle se détourne du groupe, respire comme pour un accouchement, enfin, ce qu’elle en sait. Avec contrôle et discipline.

Pepito tapant dans le dos d’Edmond, lance :

— Bon les enfants, passez une bonne soirée, je vous laisse.

Edmond s’excuse auprès du groupe et s’échappe à son tour.

Abigaëlle attrape Mila :

— La bête ! Il est beau comme un camion… !

Mila chuchote :

— Tais-toi putain !

Daniel à qui rien n’a été demandé, donne pourtant son avis :

— Su-Blime !

— Il semblerait, dit Abigaëlle à Daniel, que ce monsieur soit un bon parti pour toi.

— Humm ! fait Daniel d’un air gourmand.

Daniel donne un petit coup de coude à Abigaëlle, il lui murmure quelque chose et Abigaëlle rit. Mila ne comprend rien.

— Daniel est gay !

— Ah !

 

Mila suit Edmond des yeux. Il a préféré la compagnie informelle de la foule plutôt que de rester avec eux. Il est grand, elle n’a aucune difficulté à le repérer. Il avance, s’arrête souvent, serre des mains, reçoit des accolades, embrasse des visages. Et comme aimantée, Mila quitte Abigaëlle et le suit de loin.

Il connaît beaucoup de monde. Les gens semblent surpris et heureux de le saluer. La plupart échangent longuement avec lui. Elle suppose qu’il leur raconte son voyage, ce qu’il a fait là-bas.

Des femmes aussi, plusieurs, viennent à sa rencontre. Le touchent, prennent son bras, l’embrassent sur la joue, il se penche pour les y aider.

Sans s’en rendre compte, Mila s’est rapprochée de lui. Mais Daniel est là aussi, étalant une parade gestuelle énigmatique. Edmond est embarrassé, il danse d’un pied sur l’autre, regarde autour de lui et aperçoit Mila.

Il s’excuse auprès de Daniel, le laisse en plan et la rejoint.

— Mademoiselle Magnan, bonsoir !

Elle ne le regarde plus, ses paupières sont baissées. Edmond s’approche tout près.

— Vous me sauvez la vie, Blanche ! dit-il à voix basse.

Il est très agité.

— Ce monsieur est, disons, très pressant…

Et comme Mila ne semble pas comprendre. Il précise :

— Il est en train de me draguer !

Comme si cela était complètement irréel.

— Je suis en train de me faire racoler par un gars…, rajoute-t-il pour se persuader d’un cauchemar.

— Oui, il pense que vous êtes gay.

Edmond regarde Mila comme si elle venait de lui révéler qu’il portait un costume de lapin rose et blanc.

— Mais pourquoi il pense ça ? demande-t-il idiot.

— Parce que c’est ce que j’ai dit à Abigaëlle…

Mila sent la honte envahir d’abord son visage puis son estomac et ensuite son corps tout entier.

— Je suis désolée, dit-elle dans un souffle.

Edmond lance des éclairs épais avec ses yeux.

— Mais pourquoi vous lui avez dit ça ??

Mila est complètement contrite.

— Je… vous êtes tellement différent… des autres gars, des autres hommes… vous ne pouvez pas être comme eux… !

Edmond ne bronche pas.

— Je vous ai vu ! Vous vous rasez les aisselles… !

Edmond ne laisse rien paraître si ce n’est sa fureur. Les yeux dans les siens, il attend.

— Vous êtes calme avec moi, respectueux… Vous comprenez des choses… Vous finissez mes phrases, vous me rassurez à peine ai-je commencé à avoir peur...

— Pepito et Bruno sont également respectueux envers vous. Le gars de la décoration aussi !

— Il est gay justement… !

Il la gronde du regard.

— Quant au fait que je me rase… Il se trouve que je suis quelqu’un qui sent fort quand il transpire. Et ce n’est pas spécialement agréable ni pour moi ni pour les autres. Alors, et il la regarde durement, par respect pour les autres et pour moi, je me rase. Ça vous suffit comme explication !

Il est très vexé. Beaucoup, beaucoup.

— Quant aux femmes, oui, j’aime les femmes. Et en général, hormis vous, elles m’apprécient.

Son regard noir est auréolé de doré, mais très peu.

— Plus précisément, il y a celles qui sont plus intelligentes que moi et qui ne me voient même pas, et celles qui sont folles de mon corps d’athlète et qui accèdent à tous mes désirs. Jusqu’ici je n’en avais rencontré aucune qui m’ait pris pour un homo !

Mila porte la main à sa bouche et bascule le haut du corps, prise d’un fou rire.

— Il n’y a rien de drôle ! crie-t-il.

— Je suis désolée. Je suis vraiment désolée. Vous êtes très vexé !

— C’est le pompon ! Vous êtes quand même... Vous dites de moi, mais vous vous êtes regardée ?

Et Mila ne rit plus du tout.

— Donc voilà. Ce soir, vous êtes belle, extrêmement séduisante…

Et sans tenir compte de l’expression sidérée de Mila, plantant ses prunelles merveilleuses dans les siennes, il poursuit :

— Vos chaussures finissent votre silhouette très féminine, très élégante.

— Votre pantalon allonge vos jambes davantage encore de ce qu’elles sont d’ordinaire.

— Votre ceinture large vous enserre la taille comme un ruban le fait d’un cadeau. Ça vous fait une cambrure, un cul magnifique.

— Votre chemisier et la perle sur votre gorge, il pose le doigt sur sa gorge à lui, ne font qu’attirer mon regard sur le début de vos seins.

— Je cherche vos sous-vêtements autant sur vos fesses que sur vos seins et comme je ne les vois pas, je m’imagine que vous n’en portez pas !

— Votre parfum de rose et de mandarine, mêlé à votre odeur, fait de vous un fruit, une fleur de femme, délicieuse, dit-il avec des yeux sombres.

— Vos cheveux m’apparaissent doux comme de la soie, je n’ai qu’une envie c’est d’y glisser mes doigts.

— Vos yeux sont encore plus mystérieux que d’habitude. Et ce n’est pas peu dire.

— Et vos lèvres… ! Vos lèvres semblent m’appeler au secours.

— Donc, Blanche Magnan sachez que, si vous le souhaitez, je vous ramène chez moi et nous passerons une nuit à très peu dormir !

— Et non, je ne suis pas gay !

Sur ce, il tourne les talons et s’éloigne.

 

Mila est décomposée.

La nausée la reprend, sa tête tourne, sa vision se brouille. Elle s’approche, radar activé, cible buffet. Elle choppe les premiers toasts venus, les enfourne, en prend trois, quatre dans les mains et sort par la porte est.

Abigaëlle :

— Mila ! Où tu vas ? Ça va ? T’es toute pâle… !

— Tu m’étonnes ! Faut que je mange sinon je vais tomber dans les pommes.

Mila les mains pleines, la bouche pleine, les yeux écarquillés, tremble de tout son corps.

— Tu as l’air… chamboulé, dit Abigaëlle.

— J’ai merdé. Edmond Vallone, il n’est pas gay.

— Ah ça c’est sûr !

— Comment ça, c’est sûr ?

— Ben, parce qu’il n’est pas gay.

— Mais pourquoi tu ne l’as pas dit à Daniel ?

— Parce que je m’en suis rendu compte après. Ne t’inquiète pas, Daniel a l’habitude.

Mila grelotte.

— Abigaëlle, je lui ai dit que c’était ma faute, il est très très en colère. Il m’a dit que j’avais un cul magnifique.

Abigaëlle éclate de rire.

— Effectivement, vu le genre que c’est, j’imagine que son ego de mâle, elle se fait la voix grave, a dû être un peu… amoché.

Elle fait un geste d’uppercut et une grimace avec la tête penchée sur le côté, les yeux à moitié fermés, la langue pendante.

Abigaëlle rit encore. Mila dit :

— Tu ne peux pas savoir comme je me sens conne.

— Oh, attends un peu et tu vas pouvoir aller t’excuser. Au moins tu verras s’il est rancunier.

Mais Mila ne peut pas attendre, il faut qu’elle efface la bévue. « Undo ».

Elle rentre dans le grand hall, à la recherche d’un vexé plus grand que les autres.

 

Edmond, dehors, essaie de se calmer.

Il a honte de lui. De s’être ridiculisé.

Il n’est pas pédé et il n’a rien à prouver. À personne.

Il sait qu’il est un homme. Un homme normal, moyen, avec plein de qualités. Et des défauts. Aussi.

Il sait que certaines femmes l’apprécient. La plupart, mais pas toutes. Ce n’est pas bien grave. Une seule suffirait.

Il se sait un peu brutal, parfois.

Il sait qu’il est généreux, on le lui a dit.

Mais elle, elle ne le voit pas en homme, en vrai homme quoi.

Oui c’est ça le problème. Elle, elle ne le voit pas en homme.

Lui, il la voit bien en femme.

Mais elle, elle ne le voit pas en homme, et elle ne se voit pas en femme non plus en fait ! Et le reste du monde pareil. Elle voit les amis, les ennemis mais elle n’a pas d’autres critères.

Elle sait projeter la vie en communauté, les besoins des mères, ceux des enfants. Pepito l’a dit aussi qu’elle ressentait les gens, qu’elle sait interpréter leurs besoins, leurs envies !

Mais elle est incapable de se ressentir elle-même.

Elle et les hommes. Les hommes c’est des cons. Point. Y’a rien à ajouter.

Et elle, c’est quoi ?

Merde alors !

 

Mila fait signe à Abigaëlle qu’elle essaie dehors.

Elle sort par l’entrée principale et longe le bâtiment. Elle aperçoit alors Edmond, les bras croisés, adossé contre un pilier, le regard lointain.

Elle s’approche et lance d’une traite sans réfléchir :

— Edmond Vallone, je vous prie d’accepter mes excuses ! Je suis désolée, je ne voulais pas vous blesser.

Edmond d’une voix lasse :

— Moi aussi je vous dois des excuses. Je n’aurais jamais dû vous parler comme je l’ai fait. Au moins maintenant vous êtes fixée, je suis un homme. Comme dirait Shrek : « je suis un Hoooommme ! »

Mila sourit.

— Je suis désolée, j’ai tendance à mettre les gens dans des cases. Les cowboys, les indiens ; les gentils, les méchants…. Et vous ben… je ne sais pas dans laquelle vous mettre !

— Eh bien mettez-moi avec les hommes. J’aime autant.

Mila glousse. Edmond soupire.

Il voudrait lui dire qu’elle est une femme. Que tout chez elle est en rondeurs et en creux. Qu’il n’y a qu’à regarder : sa maison, son corps. Que quand elle s’égosille, c’est avec un masque, un costume porté, un treillis marron et vert.

— Et vous, dans quelle case vous êtes-vous mise ?

Comme elle ne répond pas, il ajoute :

— Case Taureau, case Michael Jackson ?

Mila frissonne, elle détourne le regard, elle pouffe.

— Abigaëlle dit que je me comporte comme un ours.

Elle tremble de tout son corps. Edmond appuyé sur le côté contre le pilier, se redresse et fronce les sourcils.

— Vous allez bien ?

— Euh… Pepito m’a demandé de rester jusqu’à son discours, ensuite j’irai me cacher sous ma couette jusqu’à la fonte des prochaines neiges.

Elle est livide et se met à claquer des dents.

— Excusez-moi. Il faut que je mange. La journée a été un peu chargée… il faut que je mange quelque chose.

Elle reste là, pourtant, devant lui et dit :

— Je voulais vous dire que je suis désolée. Je m’excuse.

— Vous pouvez aller jusqu’à la cuisine ? Ou on attend que vous vous effondriez et que je vous porte sur mon épaule ?

Il mime comme s’il portait un sac de ciment.

Mila sourit.

— Ça va aller. Je vous remercie, je préfère être seule.

Mais Edmond ne lui laisse pas le choix.

— Je vous emmène.  

Ils contournent le bâtiment, entrent par la porte est et montent l’escalier direction la salle de restaurant et la cuisine.

La salle est vide. C’est étrange, la foule en bas et cette salle vide ici, juste au-dessus. Ils la traversent, rencontrent quelques serveurs et passent une porte battante.

Un homme les apostrophe :

— Monsieur, madame, cette pièce est… Ah Monsieur Vallone !

Edmond dit d’autorité :

— On se met dans la cuisine.

L’homme repère Mila livide.

— Oui, bien sûr.

Edmond pousse Mila. Ils traversent une première pièce remplie de plaques de petits fours, de gâteaux posés sur les plans de travail. Ils passent une seconde porte battante et se retrouvent dans la cuisine avec les casseroles, les couteaux, les fours, les plaques de gaz. Tout est propre, il n’y a personne et aucun gâteau.

— Restez là, je reviens !

Mais Mila le suit.

— Il me faut du sucre, je…

Edmond a déjà repassé la porte. Il récupère un plateau de gourmandises sucrées toutes écrasées, et du regard, il informe les serveurs présents. Ils reviennent dans la cuisine.

— Mangez ça. Je vais vous chercher une chaise.

Mila commence à manger ce qu’il y a de plus sucré, de moins gras, en s’en mettant plein les doigts.

Edmond revient et pose la chaise dans un coin contre une armoire. Mila s’assoit dessus, et face à elle, appuyé contre un plan de travail en zinc, il croise ses bras, croise ses pieds et la surveille, les sourcils froncés.

Mila :

— Il faut que vous me laissiez maintenant. J’ai fait assez de dégâts.

Mais Edmond reste là, à la regarder manger ses gâteaux et s’essuyer les doigts sur des serviettes en papier.

Mila commence alors à se fermer, posant sa tête contre l’armoire. Elle croise ses jambes, passe ses mains entre ses cuisses et ferme les yeux.

On entend alors une voix forte de femme et Abigaëlle déboule dans la pièce, furieuse et inquiète.

— Mila !

Elle regarde Mila puis Edmond, elle crie :

— Qu’est-ce que vous faites ici, vous ?

Mila, d’une voix faible :

— Abi, tout va bien. J’ai failli tomber dans les pommes.

— Pourquoi ? Tu as mangé toute à l’heure !

— Du salé.

Abigaëlle dévisage Edmond.

— Vous ne pouviez pas rester en bas ?

— Si ! On aurait pu ! répond-il, arrogant.

— Abi... !

Abigaëlle s’approche de Mila comme d’un enfant et chuchote :

— Je le fous dehors ?

— Ça va Abi. Va t’amuser. Il s’en va aussi.

Abigaëlle se redresse, hésite, regarde Mila, regarde Edmond, elle fait une moue agressive envers lui et s’en va.

Edmond ricane.

— Au moins, vous avez des amis pour prendre soin de vous !

Mila se ferme de nouveau, paupières closes.

— Je vous laisse. Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ?

— Rien, je vais redescendre. Il faut que je sois là pour le discours de Pepito.

Elle l’entend passer la porte, discuter de l’autre côté, et probablement s’endort.

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