60 Brocéliande - Bouquet de Bananes

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Le froid.

Le froid.

Le froid.

De l’eau.

C’est glacé.

Des voix.

Les vibrations régulières et rassurantes d’un vieux train. Un son bizarre de cymbales. Des cailloux ? Du sable ! Du sable dans la bouche, la mer ? Des rouleaux de vagues froides. L’Atlantique ! Puis « Mmmm » ! Des pierres chaudes, de la chaleur, une tiédeur enveloppante, de la lumière douce. Du soleil ! La plage ! Un matelas sur la plage !...

Et puis plus rien.

 

Un bruit métallique. Encore des vagues. Un bateau ? Des voix. Du plastique que l’on froisse. De la lumière. Crème, rosée, d’une lampe posée. Sur une table. Contre un mur. Des murs ? Une pièce ! Sous son bras, du coton épais, moelleux et chaud. Un grand lit, une chambre !

Mila émerge doucement et prend conscience qu’elle est à l’hôtel du golf, allongée au chaud sous une couette, dans la quiétude d’une chambre d’hôtel à la lumière paisible d’une lampe allumée.

Comment a-t-elle réussi à se poser là ? Ces souvenirs sont flous, les derniers mètres dehors ont été accomplis sans conscience. La mort doit ressembler à cela. Peut-être. La vue était absente, même pas floue, toute noire. Les sons lui parvenaient assourdis, lointains, distants de son corps. Avec cette sensation de chaleur aussi, au visage, aux yeux surtout. Mais aucune sensation dans le corps, sur le corps, comme s’il avait été séparé. Et comme si le cœur ne battait plus, plus rien ne fredonnait.

 

Dans la chambre, sous sa main, le drap est chaud. La couette n’est pas défaite, deux oreillers sont posés, debout contre le mur, enfoncés. Un carnet et un crayon sont posés à cet endroit chaud et froissé.

Mila est couchée sur le côté, tournée vers la place encore chaude, vers la fenêtre de la chambre. Elle se redresse un peu, machinalement, s’appuie sur les avant-bras, et la couette glisse au milieu de son dos. Elle se pose à plat ventre contre le matelas, tourne la tête de l’autre côté et attrape l’oreiller par terre.

L'oreiller tombe toujours par terre.

Elle l’enlace, remonte le genou vers sa poitrine, et se tourne plus complètement sur ce côté, ouvre plus complètement les yeux. Une chambre. Elle se redresse sur le coude et considère la pièce. Une table avec une lampe posée, la lampe à l’abat-jour crème. Un écran plat immense accroché au mur. Et Edmond les fesses collées contre le mur, la dévisageant, impassible, les bras croisés sur sa poitrine et les jambes rangées pareil.

Alors que tous ces éléments s’alignent dans son esprit, « clan clan clan », se calent, elle découvre son épaule nue, la couette descendue au niveau de sa taille et l’oreiller contre elle cachant sa poitrine et le bas de son visage.

La surprise lui cisaille le ventre. Elle est au-dessous la taille comme au-dessus, toute nue. Elle frissonne de partout, saisissant clairement la situation sans parvenir à se rappeler comment elle en est arrivée là.

Elle plonge sous la couette et se persuade que tout cela n’est qu’un rêve. Qu’elle va bientôt se réveiller, chez elle, près du parc, avec les bruits de la ville et des voisins du dessous. Elle ira chercher son pain frais et se fera des tartines de pain grillé avec du Saint-Félicien. Oui ce sera bien, parce qu’elle a faim.

 

Le matelas bouge.

Encore un tour de bateau.

— Magnan !

Mila ouvre les yeux sur Edmond assis près d’elle sur le bord du lit, le regard sévère, les cheveux mouillés, pas rasé. Elle le voit saisir un objet près de sa tête sur une table de nuit, jouer avec ses mains et lui tendre quelque chose.

— Avalez ça !

Mais Mila ne bouge pas, planquée sous la couette, accrochée à l’oreiller.

Les mains d’Edmond passent près de ses yeux.

— C’est un morceau de banane ! Avalez !

— …

— MAGNAN !!!

— … pourquoi je suis toute nue… ?

Edmond souffle, et calme et sans la regarder, il explique :

— Vous êtes tombée dans les pommes. À la réception. Juste après que nous sommes arrivés.

Il soupire et relâche ses épaules, il se tourne vers elle.

— On vous a portée ici et on vous a donné du sucre. Mais pas beaucoup. Vous étiez glacée, vos vêtements étaient trempés alors on vous a déshabillée. Je ne savais pas si vous aviez de quoi vous changer alors j’ai tout donné à la lingerie. Tout est revenu propre et sec. C’est ça qui a dû vous réveiller.

Mila repousse l’oreiller et s’assoit contre la tête de lit, la couette sous son menton, les bras dessous, les jambes recroquevillées.

— Qui m’a déshabillée ?

— La réceptionniste. Elle s’y est prise comme un manche !

Les yeux de Mila papillonnent, essaient de se poser sur un souvenir, une sensation. Elle murmure :

— Elle avait les mains froides.

Edmond soupire et baisse la tête. Mila arrête de respirer, elle murmure :

— C’est vous qui avez fini. Vous avez toujours les mains chaudes… !

Edmond lève la tête, regarde devant lui et met le morceau de banane dans sa bouche.

Mila empoigne la couette et tire dessus violemment.

Edmond la regarde, fronçant les sourcils :

— Qu’est-ce que vous faites ?

— Prendre une douche…

Edmond hausse le ton :

— Mangez d’abord quelque chose, vous prendrez la douche après !

Mais Mila est comme folle. Elle rampe au milieu du lit et décroche complètement la couette. Edmond se jette sur elle et la renverse. Il pose ses mains de chaque côté de ses épaules et la cloue au matelas. Le visage penché au-dessus du sien, il dit, furieux :

— C’est votre chambre ! Je vais vous laisser toute seule ! Je veux juste que vous avaliez quelque chose avant… !!!

Il exige son adhésion, puis il s’écarte. Il se rassoit sur le bord du lit et détache un autre morceau de banane.

Le cœur de Mila bat la chamade. Elle avance vers lui, la couette contre elle. Sort un bras, l’autre, pince la couette au-dessus de sa poitrine.

Edmond lui tend un morceau de banane, elle le saisit et porte le morceau à la bouche. Il la regarde mâcher, se gardant de poser ses yeux sur son cou, sur ses épaules.

Il détache un autre morceau et le lui tend à nouveau. Mila porte la main sur la couette pour la maintenir contre sa poitrine, elle saisit le second morceau et le met dans la bouche. Elle soupire, ses joues rougissent et son ventre se met à gargouiller.

Edmond soupire. Il lui tend le reste de banane non pelée comme un bouquet de fleurs et puis se lève. Il regarde sa montre et, face à elle, la bouche pleine, tenant son bouquet, il dit :

— Il est vingt heures cinq. Je vous retrouve à vingt heures trente en bas, au restaurant. Si vous n’y êtes pas, je rappelle le SAMU.

Puis il fait le tour du lit, prend le carnet avec le crayon et, sans se retourner, il sort.

 

Edmond retrouve sa chambre, plus loin dans le couloir.

Il se déshabille, se rase et prend une seconde douche, plus tranquille. Les mains contre le mur, la tête basse, il laisse le jet lui masser longuement la nuque et les épaules.

Puis il se rhabille, sort le téléphone de sa poche et passe une série de coups de fil, à Henri, à l’entreprise Robert, au garage, aux gars sur les chantiers. Il regarde l’heure, prend la clef de sa chambre et sort.

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