65 Brocéliande - Tangente et Basques

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Mila prend un plateau. Et la tangente.

Elle a disparu. Accrochée à ses basques jusqu’ici, brusquement n’est plus là.

Edmond remplit le sien et s’assoit.

Quand elle le rejoint, son visage est plus expressif, son regard plus dense. Ses pupilles nettement moins dilatées. Elle n’est plus en transe. Le petit déjeuner a eu raison de son excitation. C’est son premier rival.

Il est un peu vexé, la fièvre n’aura pas duré très longtemps.

Déjà elle ne le regarde plus, toute occupée à manger… quoi ?

Omelette ? Mais c’est quoi son plateau ? Omelette, fromage, bacon grillé ? Du thé aussi.

— Tu as vécu à l’étranger ? demande-t-il.

— Non.

— C’est quoi alors ce petit déjeuner ?

— C’est le mien.

Mila se penche alors sur le sien : pain, beurre, confiture, croissant.

— Et toi, il est bien frenchy ton petit dèj’ pour quelqu’un qui a vécu ailleurs ! C’est ce que tu mangeais à Amsterdam ?

— Euh… non ! Le pain était noir, les viennoiseries pas terribles... Justement ça m’a manqué. Mais toi, pourquoi tu manges ça ?

— Pourquoi n’y aurait-il qu’une seule façon de petit-déjeuner quand on est français !

— Oui, effectivement, pourquoi !

Edmond fait une moue dubitative.

Mila :

— C’est quoi le problème ?

— Y’a pas de problème. C’est juste que, Magnan, tu ne fais rien comme les autres !

— Les autres quoi ? Les autres nanas que tu connais ? Pourtant à Amsterdam, tu as dû t’en faire tout un tas, des nanas. Des grandes ! Et elles ne mangeaient pas toutes des croissants au petit dèj’ !

— Eh ! Ne commence pas !

— Ça m’énerve que, toujours, on me juge, on m’évalue, on me compare. Je ne fais pas cela avec toi !

— Ah oui, tu trouves !! Tu mets tous les mecs dans la bouse, enfoncés jusqu’au cou. Et tu nous fais passer des tests pour nous faire sortir des bouts de peau, morceaux par morceaux. Tout ça pour que tu tolères de nous adresser la parole sans nous agresser. Dans le mode sélection, tu trouves que t’es comment… ?

Mila se recule sur sa chaise et le regarde avec gravité, inquiétude mais aussi fatalisme.

— Écoute Edmond, il faut que tu réfléchisses à pourquoi tu es là avec moi. Réfléchis bien. Si c’est le défi, si c’est décrocher un lot que personne n’aura eu qui t’intéresse. Parce que si c’est le cas, tu vas t’apercevoir très vite que je suis loin d’être une plante verte. Je n’ai rien de clinquant. Et si parce que tu ne sais pas où me mettre dans tes étagères, tu passes ton temps à me faire remarquer en quoi je suis ni comme celle-ci, ni comme celle-là, ça va me gonfler pas tard !

Edmond boude aussi maintenant. Mila prend son attitude pour un assentiment, ses yeux se mouillent. Elle finit son assiette, enfourne une dernière bouchée.

Edmond s’avance sur la table, agressif.

— Mila, si tu t’en vas, je t’assure que je ne viendrais pas te chercher ! Chaque fois qu’on s’engueule, c’est moi qui fais l’effort de réparer nos histoires. Je ne cherche pas à t’énerver, ni à te comparer, ni rien du tout. Je remarque simplement comment tu es différente de tout ce que je connais. Alors, oui, effectivement, je te compare. Mais on n’est pas à l’école des fans, je ne cherche pas à te mettre une note. J’exprime peut-être un peu trop à haute voix tout ce qui m’étonne chez toi. Et c’est juste qu’il y en a beaucoup. Mais ça ne veut pas dire que ça me gêne ou que c’est un problème !

Mila détourne la tête, une larme roule sur sa joue. Elle l’efface d’un geste brusque.

— Tu es très susceptible, Magnan !

— Oui et je bouffe comme un goinfre !!

Mila se lève.

— Je vais me chercher une autre assiette.

Edmond se fait ses tartines qu’il trempouille dans son café allongé. Et quand Mila revient avec une assiette pleine, il se lève à son tour.

Lorsqu’il se rassoit, elle a terminé et l’attend, une tasse de thé entre les doigts. Ses yeux sont tout petits, son visage est apaisé. Elle a l’air bien, un peu sur la défensive, mais un peu seulement.

Elle le regarde, pensive et elle dit :

— On va travailler, maintenant ?

Edmond ricane. Oui.

 

Ils passent devant la réception, Estelle les apostrophe.

— Mademoiselle Magnan, Monsieur Vallone ! Le trafic sera rétabli dans la journée. Vous pouvez repartir quand vous voulez. Mais, si vous le souhaitez, Monsieur Niel vous fait dire que vous pouvez rester quelques jours.

Mila :

— Merci.

Elle se tourne vers Edmond. Et autant pour Estelle que pour lui, elle dit :

— Nous vous tenons au courant.

Edmond à Estelle :

— Nous allons travailler ce matin. Où pouvez-vous nous mettre ?

 

Estelle prend une clé dans un tiroir et les emmène de l’autre côté du restaurant, dans un long couloir. Elle ouvre une grande salle bordée de fenêtres sur la longueur donnant sur le parking de l’hôtel arboré et couvert de neige. Au milieu, plusieurs tables collées les unes aux autres forment un très grand plan de travail.

Elle leur montre les câbles, les prises, leur demande s’ils ont besoin d’autre chose, puis elle quitte la salle, Mila et Edmond sur ses talons.

Ils prennent l’ascenseur chacun dans son espace et dans ses pensées.

Edmond :

— Quand est-ce qu’on part ?

— Je ne sais pas. Cet après-midi, ce soir.

— Mmm.

— On se retrouve à la salle ?

Encore une façon de dire chacun chez soi, Magnan. Décidément tu es une étoile filante, rien ne te retient de t’échapper.

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