66 Brocéliande - Ficus et Boulot

15 minutes de lecture

Chapitre 1 : Ficus et Boulot

Dans la salle, Edmond se met à un bout de la table et déballe ses affaires, Mila arrive à ce moment-là.

Il allume son PC, connecte les câbles, s’installe confortablement. Il met les écouteurs dans ses oreilles et commence à travailler.

Et par-dessus l’écran du PC, il l’observe.

Mila a sorti un gros livre, un grand carnet de croquis à spirale et trois trousses d’écolier, une fine et deux plus grosses, et puis son petit carnet tout momifié avec le crayon accroché. Elle se déchausse et s’assoit sur un pied sur une chaise, sur la longueur de la table face aux fenêtres. Elle ouvre son carnet et commence à caresser le bout de peau entre le nez et la lèvre supérieure avec la tige de son crayon.

Edmond revient sur son écran, les courbes topographiques s’affichent, il réfléchit à comment il va s’y prendre pour dompter cette pente. D’ordinaire il fait les plans et le milieu s’en accommode ou on l’y aide. D’ordinaire, le bâtiment est imposé à son environnement. D’ordinaire, parce que là c’est le contraire, c’est la pente qui impose la maison. Mais il a déjà réfléchi à tout ça.

— Quelles sont les étapes maintenant pour toi ? demande-t-elle.

Edmond découvre Mila souriante, intéressée et curieuse. Plus haute que lui affaissé sur sa chaise, elle le regarde de ses yeux châtaigne pétillants et intelligents, alors il se redresse.

— Je vais dessiner la maison sur la pente en informatique. Ensuite je ferai faire l’implantation.

— Je peux te prendre ton esquisse ?

Edmond fouille dans ses documents et lui tend le jeu de papiers.

 

Il ne remarque pas le visage fermé de Mila recevant ses documents et les étalant sur la table, les larmes qui montent à ses yeux et l’émotion qui étreint sa poitrine. Elle effleure les lignes de la maison, caresse les tracés d’Edmond, ses mots, et se ressaisit. Elle allume son PC sur les photos de la parcelle, ouvre son grand carnet à croquis sur une page vierge, et tire un crayon de papier de la petite trousse.

Elle laisse ses doigts sur l’esquisse et se met à redessiner la maison d’Edmond. Elle épouse ses lignes à lui, consolidant certaines hésitations, nuançant certaines certitudes. Conservant la table, la piscine, la treille, ajoutant des petites choses, des objets, des idées. Sa main tremble, comme une caresse sur un corps endormi.

— Et toi, tu fais quoi ?

Mila sursaute.

— Hein… ? Euh… je vais poser ce que j’ai l’intention de proposer à Émilie sur ton esquisse, suivant les différentes faces de la maison, suivant les saisons aussi.

— Pas sur mon esquisse !!!

— Si ! Enfin… non, je refais ton esquisse sur un autre papier.

— Ah !

 

Mila dessine tantôt aux crayons, tantôt aux feutres.

Edmond, tout avachi, se redresse et contemple Mila investie, le regard vers la fenêtre tortillant une mèche de ses cheveux entre ses doigts.

Il sourit, se lève et sort.

— Je fais une pause.

Mila est dans une rêverie créatrice.

De temps en temps, elle ouvre le gros livre et cherche du doigt les informations dont elle a besoin, ensuite elle le repousse au loin sur la table. Elle caresse le croquis d’Edmond, ajoute des couleurs sur les quelques formes qu’elle dessine en même temps.

Puis elle se lève, contourne la table et s’appuie contre, face à la fenêtre, le crayon sur le dessus de la lèvre. Et puis finalement, elle monte sur une table, s’assoit dessus, assez loin au milieu, en tailleur, en chaussettes.

Edmond est revenu.

Mila, toujours dans sa tête, pose les mains en arrière, étend ses jambes, tricote avec ses orteils et penche la tête sur le côté. Et puis elle se retourne, attrape son gros carnet et griffonne quelque chose.

Edmond l’observe et se moque.

Elle pose le carnet sur sa cuisse, incline la tête sur l’autre côté et se frotte à nouveau le dessus de la lèvre. Elle remue encore, jette un œil vers Edmond et, surprise de rencontrer ses yeux, elle rosit et détourne le regard.

Edmond la regarde faire, flatté, gonflé.

Mila retourne finalement s’assoir sur la chaise et continue de travailler.

Et chacun poursuit, de son côté, suivant sa méthode.

 

— Euh… Edmond, excuse-moi, Émilie souhaiterait un petit arbre dans la maison.

— Oui.

— Oui, sauf qu’il faudrait que tu prévoies une réservation [1], et que cette réservation donne sur le sol nu… pas sur un vide sanitaire…

— Hum.

— Super !

— Quoi ? À l’intérieur ? Une réservation à l’intérieur… ?

— Oui.

— On ne va quand même pas faire des jardinières dans la maison !

— Ben… en fait, si ! Elle souhaiterait un gros arbre d’intérieur, probablement un ficus. Ah et puis il faudrait un puits de jour juste au-dessus.

— Un puits de jour ?!

— Oui. De la lumière naturelle pour le ficus.

— Ben voyons !

Edmond s’est levé, les mains sur les hanches. Il secoue la tête.

— C’est pas possible. Tu n’es pas là depuis cinq minutes que déjà tu fous le bordel. Le puits de jour ce n’est pas un problème. Mais la réservation… tu te rends compte qu’il va y avoir des remontées d’humidité partout dans la maison ?

— On peut faire un drain ! Un drain dessous, et la terre pour le ficus par-dessus. En isolant bien les parois de l’humidité…

— Magnan, mais c’est le principe des caves à vin ! On fait des réservations avec des drains dans les caves pour s’assurer de l’humidité !

— On a besoin d’humidité au niveau des racines, pas au-dessus. Je peux mettre un très beau paillage. D’ailleurs ce serait bien plus joli avec un paillage qu’avec la terre nue...

— Un paillage… !?

— Oui, une couche de galets blancs par exemple. Non pas blancs, ça fera trop ton sur ton, noir c’est mieux. Oh ! Des galets de rivière ! Encore mieux pour le contraste avec les pierres plates que tu vas mettre sur les façades. Ah oui ! Ça, ce sera super joli !

Edmond se lamente :

— Magnan, mais pourquoi t’es pénible comme ça !

— Pourquoi tu réagis comme ça ? C’est quoi le problème ? Y’en a partout, des petits arbres dans les maisons d’architectes !

— C’est pas possible ! Pourquoi t‘es allée lui mettre ça dans la tête ? T’aurais pas pu lui parler bonzaïs plutôt ! Tu ne pouvais pas te contenter de foutre le bordel dehors, faut aussi que tu le mettes à l’intérieur et que tu marches sur mes plates-bandes…

— AH !! C’est ça le problème ! Je marche sur tes plates-bandes ! Ok, Vallone, pas de problème. J’expliquerai à Émilie qu’à l’intérieur, je suis interdite de séjour. Que c’est ton domaine et que c’est toi qui t’occupes des pots de fleurs.

Edmond croise les bras sur sa poitrine, il dit :

— C’est où que tu veux l’mettre, ton baobab ? Il est grand comment, d’abord ?

Mila fait tourner des feuillets, les détache et les lui présente. Du doigt, elle désigne une vue en perspective de l’entrée de la maison, avec un arbre bien épanoui.

Edmond en a le souffle coupé. Mila a exactement reproduit l’entrée de la maison qu’il avait en tête.

— Comment tu savais que j’allais faire ça ?

— Je ne savais pas. Émilie me l’a expliquée et je l’ai déduite de tes esquisses.

Edmond regarde le dessin de Mila longuement, il réfléchit en même temps. Il n’a pas discuté avec Émilie du détail de l’entrée de la maison. Ils ont juste évoqué certaines grandes lignes, des principes de base. Ce que Mila a dessiné est tout simplement le meilleur compromis.

— D’accord, Ok. Ok pour la jardinière dans l’entrée.

— Et le puits de jour ?

— Et le puits de jour. Montre ! Qu’est-ce que tu as prévu encore.

Mila lui présente les autres croquis sur fond de la maison que lui-même a imaginée.

Les dessins finissent de le troubler complétement.

Taclé. Au niveau des oreilles.

Il découvre sa maison sous d’autres traits. Mila aurait dessiné des enfants jouant au ballon sur la terrasse qu’il aurait entendu leurs cris insouciants.

Mila :

— Émilie et Henri vont vivre dans la maison toute l’année. Toute l’année, sauf tout le mois de mai et en septembre où ils s’en vont tous les deux. L’été, ils ne savent pas trop. Ils feront faire l’entretien du jardin. Ils n’ont besoin de rien, pas de se protéger du vent, du soleil, des voisins. Pas de potager. Mais Émilie veut pouvoir se promener dans tout le jardin à pieds secs. Elle aime le blanc, le rose, le bleu, les formes graphiques et sophistiquées. Elle aime les parfums… hey ! Tu m’écoutes ?

— Hein… ?

Edmond observe les croquis. La maison est représentée sous différents angles, différents de ceux de ses dessins à lui. Mila l’a reproduite, exactement, mêmes proportions, mêmes effets, mêmes textures. Elle a ajouté la vie, les choses humaines, adossées à celles qu’il avait déjà mises. Un escalier tout en courbes, des sculptures, dont l’Ève [2] de Rodin au centre d’une petite clairière, de grosses jarres près de la piscine, des arbustes à formes géométriques et des végétaux aux formes plus échevelées. Les croquis la représentent à différentes saisons.

— Il y a des fleurs en hiver ?

— Oui, il y a les viornes de Bodnant…

Mila continue de lui parler mais il ne l’entend pas. Il passe les feuillets les uns après les autres, hausse les sourcils. C’est beau ce qu’elle a dessiné. Il saisit les documents, il a besoin de lire de plus près. Et la maison est encore plus belle comme ça. C’est la sienne, celle qu’il a imaginée, et en même temps…

Il murmure :

— Tu es sûre que les extérieurs vont être comme ça… ?

— Oui. C’est comme pour toi. Tes dessins vont devenir réalité un jour. Ceux-là aussi. Pas tout de suite, c’est vrai que ça met un peu plus de temps. Un jardin ce n’est pas une tente décathlon qui se déploie en un « hop ». Ça met trois à quatre ans. Mais cela sera comme ça. Ça complète bien un bâtiment, hein ? Tu ne trouves pas ?

Edmond souffle et regarde encore les dessins, revient sur les précédents. Il s’appuie contre la table.

— Tu as même fait Ève !

Mila écarquille les yeux, enchantée.  

— Tu connais Rodin ? J’adore Rodin !

Edmond est toujours scotché sur les vues de la maison qu’a faites Mila. Il découvre sa propre conception réinterprétée. La sensation n’est pas agréable en fait. Il est troublé. Il se sent dépossédé. En même temps, il est fier parce que Mila n’a rien modifié du bâtiment, c’est bien le même, strictement, que celui qu’il a dessiné. Et c’est beau et c’est SA maison. C’est juste que Mila a utilisé ses idées. Des intentions qu’il a eues mais qu’il n’avait pas encore sorties de sa tête. De les voir là, écrites par une autre main… C’est pas… C’est désagréable ! Il observe aussi que des zones qu’il n’avait pas encore imaginées sont déjà habillées de pots de fleurs, de plantes. Il est effrayé que quelqu’un puisse comme ça, au pied levé, prendre possession de son sujet. En même temps, Mila n’est pas n’importe qui, c’est sa nana.

— Comment connais-tu Rodin ?

— Hein… ? Non je ne connais pas Rodin, je connais Ève et le Penseur. C’est tout. Je préfère la peinture.

Il pose les feuillets sur la table.

— Et à part un arbre dans la maison, il faut quoi d’autre ?

Mila respire fort et se lance :

— Est-ce qu’on pourrait garder l’îlot de bouleaux qui est sur l’est.

Elle se penche sur le PC et affiche une photo.

— Le groupe là.

— Ces arbres blancs ?

— Oui.

— Mais ils vont être loin de la maison.

— Oui, justement cela cassera un peu le vent d’est. Et puis, il vaut mieux parce que les bouleaux, ça met le bazar dans les fondations.

Edmond ouvre grands ses yeux.

— Magnan, ne me dis pas des trucs comme ça !

Elle pose sa main sur le poignet d’Edmond.

— Non, ils seront loin ! C’est juste que pendant le terrassement, je voudrais qu’on décaisse avec parcimonie et pas au gros bulldozer intelligent. Juste ça.

Il prend la main qu’elle a posée sur lui.

— Tu as toujours les mains froides.

La main de Mila veut s’échapper mais il referme sa poigne et joint sa seconde main pour la réchauffer. Il verrouille son regard sur le sien.

— Ok pour la famille d’arbres blancs. Quoi d’autre ?

— Qu’on trouve la meilleure solution pour l’eau : faire un puits avec les engins et voir comment on peut récupérer les eaux de pluie pour le jardin et la piscine. Je pourrais faire le sourcier et trouver la meilleure veine d’eau.

— Faire le sourcier ! Il ricane. Mais bien entendu Magnan ! Le figus, le puits, les eaux de pluie, le sourcier ! Autre chose ?

— Ficus !

— Mm.

Edmond tire les mains de Mila sur son torse, l’obligeant à s’approcher de lui. Elle résiste, avance un peu, les prunelles vacillantes. Elle dit :

— Est-ce qu’on pourrait faire pousser des grimpantes sur les murs… ?

— Tu veux mettre tes lianes tueuses sur mon bâtiment ? Pour qu’elles rongent mes joints, déchaussent mes pierres, se faufilent dans mes gouttières et sous mes tuiles…

Edmond avance dangereusement son torse vers le visage de Mila. Elle essaie de prendre un ton joueur.

— Tu es un peu trop possessif ! Ton bâtiment, ton mur… Le lierre est une liane dangereuse sur les vieux murs parce qu’il se nourrit du calcaire des vieux joints. Mais sur un mur sain, les grimpantes sont une aubaine, elles isolent la maison davantage en plus de l’orner comme une parure sur un joli cou. Les Asiatiques l’appellent « manchon protecteur »… Cela aussi plaît beaucoup à Émilie.

— Mila, Milady, femme traîtresse, tu vas me faire disjoncter avec tes herbes à la con !

— Alors si tu es d’accord, il faudrait un peu de terre au pied des murs et pas seulement des gravats remblayés ! Tu te rappelles ?

Edmond cherche à embrasser les lèvres de Mila mais elle se dérobe.

— Oui je me rappelle les marguerites que Bruno voulait dessiner sur tes jardinières.

Mila se trémousse et le repousse.

— C’est tout ou tu en as encore ?

Edmond la relâche et retourne à sa place.

— C’est tout !

— T’as intérêt !

 

Edmond est bien concentré désormais. Third Eye Blind [3] dans les oreilles, après avoir eu Nada Surf [4] et Nine Days [5], il a bien avancé.

Il lève les yeux sur Mila et la surprend.

Les yeux hagards, les pupilles dilatées, le cou et les joues rosis. Un sourire béat, les cheveux hirsutes. Accrochée à son croquis.

— Ça va ?

— Mmh.

Il se lève, s’approche d’elle hébétée, assise normalement les pieds au sol, protégeant son dessin.

— Je peux voir ?

— Non.

— Non ?

Il l’observe. Elle fuit son regard, se détourne de lui. Il lui sourit et elle serre encore davantage son feuillet. Son attitude est bizarre. Edmond ne comprend pas bien.

— Tu fais quoi ? C’est quoi que je ne peux pas voir ?

Mila s’est complètement refermée, le menton contre sa poitrine. Sa respiration est rapide.

Il revient vers sa chaise, lève les bras au-dessus de sa tête, s’étire, le ventre, le dos, la nuque. Mila le regarde en coin, les yeux brillants. Edmond surprend ce regard et lui fait un clin d’œil. Elle se met à battre des cils, la bouche ouverte.

De nouveau il se plante tout près d’elle sans la toucher et lui dit :

— Ça va comme tu veux ?

Alors Mila frissonne et pour toute réponse écrase son bras sur son croquis.

Alors Edmond la regarde, regarde les angles du feuillet, la regarde à nouveau. Il attrape l’angle du dessin et tire dessus. Et comme Mila résiste, il tire plus fort, d’un coup sec.

Il pose un œil sur la page à moitié découverte et écarquille les yeux.

Sur les lignes de la maison vue côté ouest, Mila a dessiné un bout de torse nu d’homme, avec un galbe de cou, une pomme d’Adam, une épaule et une main de femme, incrustée dans sa poitrine.

Edmond tire encore sur le dessin, le révélant tout entier et constate deux autres formes.

L’une montrant les fesses nues d’un homme et ses cuisses vues de trois quart derrière. Et une dernière, le bas d’un visage d’homme avec une bouche aux lèvres ouvertes de façon tout à fait subjective.

Il sourit, se penche et s’appuie, une main sur la table et l’autre sur le dossier de la chaise de Mila. Et plantant ses yeux brûlants dans les siens, il dit :

— C’est moi ça ?

Mila tente une moue étonnée.

— Non… Je ne sais pas qui c’est.

Edmond, tout près d’elle, tourne sa tête pour se remettre dans le sens du dessin. Du bout du doigt, il parcourt les lignes du buste.

— Ça c’est moi !

Sur le deuxième dessin, il pose le doigt sur la courbe d’une fesse.

— Là aussi. Je crois que c’est à moi, ça…

Sur le croquis du visage, il approche son visage de celui de Mila.

— Ce bout de visage aussi, je crois que c’est le mien. Tu dessines bien, Mila. C’est très euh… évocateur ! Tu as quelque chose à me dire ?

— … du tout…

— Mmh mmmh !

Mila a baissé la tête, Edmond embrasse sa nuque et pince le lobe de son oreille entre ses lèvres.

— Je suis perdue. Je ne peux même plus travailler...

— N’essaie pas de lutter, je t’excite trop pour ça !

Mila se lève.

— On ne peut pas rester là !

Elle le repousse des deux mains et reprend son dessin.

Edmond :

— Non !

— Quoi ?

— Donne-le-moi !

— Hein… ?

Edmond tire le dessin.

— C’est mon dessin !

Mila ahurie :

— Ça va pas… !!

— Quoi ? C’est moi dessus !

— Non non non… !

— Ooh ! Si si si ! Donne !

Edmond lui prend le feuillet des mains.

— Putain de merde… !

— Amène-toi, dit-il.

Edmond prend la main de Mila et ils sortent, Mila en chaussettes, franchissant les marches deux par deux, et le couloir dans sa longueur. Il ouvre sa chambre, tirant une Mila moitié résistante, moitié consentante à l’intérieur.

Il la plaque contre la porte et l’emprisonne entre ses avant- bras. Il respire fort, excité par cette fille qui le bouscule, qui le flatte, qui le regarde comme un dieu.

Sa respiration est rapide, son sexe raide. Le visage contre le sien, le nez contre sa joue, il est pressé.

Les mains déshabillent. Brusques, voraces. Les doigts ne s’attardent pas. Pas de caresses. Mila est jetée au milieu du lit et la main brûlante d’Edmond se plante dans son ventre nu.

Cette sensation est tellement étrange. C’est une écorchure. Il est pris à la gorge, grogne, saisit un sein, l’extrait de son doux étui. Il le presse. Rudement. Ses lèvres, sa langue l’adulent, l’étirent, Mila crie sous la douleur. Et son visage glisse entre ses jambes, mais Mila le repousse.

— Non ! dit-elle. Viens.

— Faut que je mette une capote.

Edmond s’assoit sur le bord du lit et récupère le préservatif de la poche de son jeans retroussé sur ses cuisses mais Mila le lui prend des mains. Elle le fait allonger au milieu du lit et elle s’occupe de lui.

 

Suivant les quelques enseignements qu’elle a tirés de ses quelques expériences avec les garçons. Elle le touche, le presse, le caresse sur ces lieux saillants de son corps à lui, si localisés, et si peu nombreux finalement. Elle le serre, le cajole, le baigne avec ces lieux de son corps à elle si disposés à s’étendre, à s’arrondir, s’adoucir.

Edmond expire bruyamment. Marmonne, essoufflé, la bouche ouverte, les tendons du cou tout bandés. Il la regarde faire.

Elle le déshabille, calmement, entièrement. Elle déroule le préservatif. Edmond la tire sur le lit. Il plante ses mains de chaque côté de son visage, et déjà les joues de ses fesses se creusent, ses hanches ondulent d’un mouvement fauve qui n’a plus rien de construit ni de dominé.

Mila crie, étouffe sa voix derrière ses lèvres.

Edmond se redresse sur les genoux, en méditant forcené, il tire les hanches de Mila vers lui et la nuque et tout le dos arqué, il disparait plus complètement encore dans le bas de son ventre.

Mila crie :

— Tu m’fais mal… !

Edmond s’allonge sur elle, il guide les jambes de Mila autour de lui, il s’enracine en elle, noyant ses doigts dans ses cheveux, ses lèvres dans ses lèvres, son corps dans le sien, et dans un va-et-vient de survivant, il les emmène tous les deux.

 

Mais le plaisir d’Edmond est sournois.

Brusquement et violemment son corps se contracte et le plaisir explose en lui.

Une détonation courte et douloureuse.

Et Edmond grogne en une plainte brisée.

 

Mila caresse Edmond.

Elle veut le garder dans ses bras. Sentir encore ses cheveux câliner ses doigts, ses cils battre sa peau.

Mais Edmond s’éloigne. Sans rien dire, fuyant son corps, il quitte la pièce.

Mila ramène les oreillers à leur place et se glisse sous les draps.

Elle l’attend.

L’eau coule dans la douche.

Longuement.

Edmond ne semble pas pressé d’en sortir. Le même bruit dure. Edmond ne bouge pas. Dans la douche, il est immobile.

Mila presse un oreiller contre son ventre. Elle n’a pas envie de faire l’amour de nouveau avec lui, juste s’allonger près de lui et se nourrir de sa chaleur et de sa peau.

Mais l’eau joue toujours la même note.

Combien de temps cela dure-t-il ? Un peu quand même. Difficile à dire. Il n’y a aucun bruit dans l’hôtel. Aucun bruit de voiture dehors. Pas moyen de savoir comment le temps s’écoule. Mais l’eau, elle, coule.

Mila se lève finalement. Elle avance vers la salle de bains, tourne la poignée. Mais la porte est verrouillée. Elle ferme les yeux et pose sa tête contre la porte. Une chaleur monte à ses yeux, l’eau aussi, eau qui descend d’ordinaire, là monte, tiède.

Mila relâche la poignée.

Elle ne sait pas ce qui se passe. De quoi Edmond se détourne-t-il ?

Elle revient dans la chambre et se rhabille. Elle saisit le carnet à l’effigie de l’hôtel et griffonne quelque chose. Elle refait le lit, vérifie qu’elle n’a rien oublié. Sort.



[1] Une réservation est un espace vide, laissé dans la maçonnerie lors de la construction d’un bâtiment et permettant de mettre en place des réseaux par exemple plus tard dans le chantier sans avoir à carotter la maçonnerie.

[2] L’Eve est une sculpture d’Auguste Rodin (1881). https://ninerouve.wordpress.com/la-maison/le-monde/peintures-et-sculptures/#eve

[3] Third Eye Blind est un groupe de rock alternatif californien formé au début des années 1990. https://www.youtube.com/user/thirdeyeblind

[4] Nada Surf est groupe de rock alternatif américain formé en 1993 à New York, connu et reconnu depuis 2005 en Europe et aux Etats-Unis. https://www.youtube.com/user/nadasurf

[5] Nine Days est un groupe de rock alternatif, pop rock, populaire au début des années 2000. https://www.youtube.com/watch?v=0W6cyyO1JFc

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Nine Rouve ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0