88 Cité Fondée - La Nuit Etoilée

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Samedi 2 Décembre.

Edmond lit le message sur son téléphone.

 

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Tu m’emmènes où, Magnan ?

Edmond trépigne. Il a quitté Fabrice plus tôt ce soir. Ils ne se sont pas beaucoup parlé cet après-midi. Se sont embrassés comme deux gonzesses. Avec Lynda aussi. Lynda était très heureuse, Fabrice plus triste.

À 19 h 10, il sonne chez Mila mais elle ne répond pas. Il recule alors sur le trottoir, traverse la rue et se met dos au mur du parc. L’appartement est éclairé.

Il sonne à nouveau. Et à nouveau personne ne répond.

Il veut monter. Déjà, vérifier si la porte sur la rue est ouverte. Ensuite, est-ce qu’elle sera d’accord pour le voir débarquer sur son palier sans y avoir été invité ? Les deux nuits qu’il a passées ici, elle ne lui a pas proposé. Si elle ne l’a pas fait, c’est qu’elle n’est pas trop d’accord pour. Elle est sûrement sous la douche, et une fois sur son palier, il fera quoi ?

Il réfléchit qu’il a sa valise de fringues mais qu’il n’a rien emmené pour elle. Il pourrait lui apporter quelque chose. Des fleurs, des chocolats. Il est certain que cela lui ferait plaisir. Il ne sait pas ce qui est le plus bizarre, qu’il pense à ça maintenant ou qu’il n’y ait jamais pensé avant.

Et puis c’est surtout qu’il est là, qu’il attend, qu’elle n’ouvre pas et que c’est allumé chez elle ! Il regarde son téléphone. 19 h 20.

Il retraverse.

Les joggers du parc doivent le prendre pour un fou à faire la navette comme ça entre le mur d’enceinte du parc et la porte. De toute façon, les joggers du samedi soir, c’est tous des cons. S’ils n’ont que ça à faire ! Lui, il a rencart avec Magnan et elle a une surprise pour lui.

Il sonne.

— Oui ?

— Mila, c’est moi, c’est Edmond !

Il entend son souffle dans l’interphone, puis le clic mécanique de la porte.

Il monte les escaliers en courant et tape à sa porte avec énergie.

Mila lui ouvre, rayonnante, souriante, mordant ses lèvres. Elle est aussi impatiente que lui. Elle lui saute au cou sur le palier, l’embrasse. Il l’enlace avec la valise. Puis elle s’écarte et le laisse entrer dans l’appartement.

Il pose la valisette dans l’entrée, son manteau sur la chaise de la cuisine mais Mila le met sur un cintre dans le placard de l’entrée.

— On ne sort pas ? demande-t-il.

— Pas tout de suite.

Mila le regarde soudain soucieuse.

— Il fait froid ! Je voulais limiter le temps dehors.

Elle fronce les sourcils, dit :

— Tu as de quoi bien te couvrir ? Tu serais d’accord pour te geler un peu ?

Edmond sourit, béat.

— Tu sais bien que je n’ai jamais froid !

Mila sourit de façon énigmatique. Elle réfléchit, construit.

— D’accord !

 

Edmond se déchausse. Mila est là, toute excitée, triturant ses doigts. Elle tourne en rond, va et vient dans la cuisine. Elle porte un jeans taille basse et un t-shirt très près du corps. Il ne lui a jamais vu ce pantalon. De dos, ses fesses sont deux pommes. Il ne l’a jamais désirée juste avec ce qu’elle portait. Mais là, c’est différent. Il observe sa silhouette avec gourmandise. Longue, avec sa cambrure de panthère, avec toutes ses rondeurs, aux hanches, sur le ventre aussi.

Sur la table, deux sacs à dos, deux lampes frontales.

Edmond lève les sourcils curieux. Mila se détourne à nouveau, elle dit :

— Je n’ai pas tout à fait fini.

Edmond s’approche, fier comme un paon. Il pose ses mains sur ses hanches et lui parle doucement.

— Eh ! Eh ! Du calme ! Tout va bien ! On a toute la soirée pour tous les deux.

La poitrine de Mila danse sous ses yeux, elle a son odeur de parfum mêlé à celle de sa transpiration. Elle n’a pas dû encore prendre la douche. Edmond sent la chaleur de son corps, la vague rose d’émotion qui court sur son cou, le drapé de son t-shirt sur la pointe de ses seins. Il retire ses mains, recule, frotte un sourcil du doigt.

Mila :

— Oui, je… il faut que je finisse…

Edmond quitte le coin cuisine vers la fenêtre, il lui tourne le dos, les bras croisés.

Mila :

— Est-ce que tu veux boire quelque chose ? Un whisky ? demande-t-elle timidement.

Edmond se retourne à peine.

— Oui, s’il te plaît. Mila, au sujet d’hier soir, de cette nuit…

Dans la cuisine, Mila échappe la bouteille de whisky, la récupère in extremis.

— … enfin… rien.

Elle s’approche et sans le regarder, lui tend le verre.

— Merci.

— Edmond, je vais avoir mes règles. Demain, et jusqu’à… en général jeudi dans la journée. Si tu veux, on n’est pas obligé de…

— C’est précis ! On n’est pas obligés de quoi ?

— On peut se voir que le week-end prochain.

Edmond pouffe.

— Ma nana de l’espace ! Non, on fait comme cette semaine, je viens, je m’installe et on est tous les deux.

— Mmh.

— Oui.

Edmond boit dans son verre. Il dit :

— Par contre tu ne m’as pas proposé de revenir chez toi.

Mila ne répond pas.

— Est-ce que c’est notre rythme : en semaine chez toi, et le week-end chez moi ?

— C’est vrai qu’on n’en a pas parlé.

— Est-ce que… c’est si difficile, Mila, que je vienne chez toi ?

— Non ! En fait non. Excuse-moi. Elle rit. Allez ! Tchin !

 

Mila baisse sa tête, elle a fermé ses yeux à demi. Edmond l’enlace et la tire contre lui.

— On a rendez-vous quelque part ce soir ? demande-t-il.

— Dix heures pétantes ! Faut qu’on parte vers neuf heures quarante-cinq dernier carat.

— On a un peu de temps !

— J’espère que tu aimeras !

— C’est sûr !

Edmond prend le verre de Mila et dépose les deux sur la table de la cuisine. Et en regardant Mila dans les yeux, il éteint la lumière.

— Je n’ai pas pris la douche !

— Je sais.

Edmond saisit son visage, ses pouces près de ses lèvres.

— Edmond ! Je ne suis pas propre !

— Blanche, je ne veux pas d’une femme propre. Je veux une femme en peau, en frissons, en odeur, en cris, qui transpire quand elle fait l’amour avec moi !

La poitrine de Mila oscille sous la crainte, avec une voix de petite fille, elle murmure :

— J’ai peur d’être sale.

— Oui Mila. Je sais. Mais tu n’es pas sale. Tu sens bon. Rappelle-toi ce que tu as dit de moi, de mes odeurs !

— Edmond, je…

Mila commence à paniquer, Edmond l’embrasse.

— Blanche. Tu n’es pas sale. Fais-moi confiance !

Mila ferme ses yeux, cache ses larmes contre Edmond.

 

21 h 10. Ils sont équipés. Jeans larges, t-shirts manches longues, blousons chauds, chaussures. Mila a fini de préparer pendant qu’Edmond était sous la douche, les sacs à dos sont chargés.

Mila :

— J’ai oublié de te demander de prendre un bonnet et des gants. J’ai un bonnet pour toi, mais pas de gants, j’espère que tu n’auras pas froid.

— Je n’ai jamais froid !

Mila sourit, attrape un sac à dos et l’aide à le passer.

— On part d’ici ?

Mila sourit, les yeux éclairés, littéralement.

— Oui.

Elle lui pose le bonnet sur les cheveux, caresse son visage, dépose un baiser. Elle place une lampe frontale par-dessus, l’allume. Et sur sa propre tête, elle pose un bonnet, une lampe et enfile son sac à dos. Ils sortent, traversent le palier, Mila devant.

Elle ouvre alors une porte de service sur un débarras contenant un cumulus, des balais, des serpillères, des détergents. Elle enjambe les seaux et passe derrière le cumulus. Edmond n’a pas bougé.

— Viens, Edmond, approche-toi.

— Mais on va où ?

— Suis-moi !

Mila ouvre alors une porte en appuyant fort sur une barre horizontale. Elle donne sur un escalier extérieur. Mila garde la porte ouverte pendant qu’Edmond traverse. Mais avant qu’elle ne se referme, elle intercale une tige rigide entre la porte et son cadre.

— Sinon on va se retrouver coincés dehors !

— Mais bien sûr… !

Mila dépasse Edmond et monte l’escalier métallique sur trois paliers. Ils arrivent sur une plateforme : le toit de l’immeuble, enfermé à gauche et à droite par deux autres bâtiments plus hauts.

Edmond :

— Merde !

— Est-ce que tu es sujet au vertige ?

— Euh… Non. Ouaouh ! Et là c’est le parc !

Edmond s’éternise devant la vue. Mila l’appelle :

— Viens !

— Ce n’est pas là ?

Elle a posé un pied sur une échelle de sécurité entourée d’une armature en tunnel métallique, laquelle est appuyée contre le mur du bâtiment au nord, la même qu’on trouve sur les grues pour atteindre la cabine à plus de trente mètres du sol.

— Est-ce que tu te sens de passer là-dedans ? demande-t-elle.

Elle désigne le grand cylindre creux formé par l’échelle et ses cercles de sécurité placés tous les trente centimètres, le tout sur une hauteur de six bons mètres.

— Si je passe… !

Mila s’engouffre dans l’échelle. Edmond la suit, pas trop loin derrière.

En haut, elle se hisse sur la nouvelle plateforme et attend Edmond.

Ses yeux sont tout grand ouverts, comme un enfant à la fête foraine.

Le sol est plan, en béton. La plateforme n’a pas de rambarde de sécurité, juste un petit muret de vingt centimètres de haut. De gros tubes courbés en métal mat débouchent, probablement des ventilations. Et au milieu, sur un demi-niveau seulement, une autre plateforme maçonnée.

Ils ont la vue sur le parc et sur le centre-ville. C’est le point le plus haut.

— Tu as choisi ton appart’ pour ça ? demande-t-il.

— Non. Je l’ai découvert après. Fortuitement.

— Fortuitement… !

Edmond rigole puis il dit, hilare :

— Ma nana de l’espace. Viens là ! C’est… j’ai jamais vu un truc pareil ! Mais qu’est-ce que t’as dans la tête Magnan ? Tu te rends compte ?

— Ça te plaît ?

Il hoche la tête. Mila s’approche. Avec les bonnets, les sacs à dos, les lampes frontales qui les éblouissent l’un l’autre, ils s’enlacent.

— Et les sacs à dos, c’est pour… ?

— Viens !

Mila s’avance alors sur la plateforme au pied de la seconde en demi-niveau. Deux fauteuils de pêcheur sont posés là, face au parc, avec une petite table de camping. Six lanternes sont alignées au sol. Mila pose son sac à dos et allume les bougies. Elle prend Edmond par la main, et lui retire le sac à dos.

Mila :

— On va manger maintenant. Parce que ça ne restera pas chaud longtemps. Assieds-toi. Retire tes chaussures.

Edmond la regarde, complètement abasourdi. Mila se cache, émue. Elle lui tend le sac de couchage.

— Tiens, mets tes grosses chaussettes et engouffre-toi là-dedans.

Edmond s’assoit sur un siège avec son bonnet, sa frontale et son sourire large. Il retire ses chaussures, passe les chaussettes épaisses et en souverain sur son fauteuil en toile, il se met à bouger les orteils en regardant Mila. Elle rit, se dissimulant derrière les choses à faire. Edmond enfile alors le sac de couchage sur ses jambes, et le remonte jusqu’aux épaules.

— Comme ça ? demande-t-il.

Mila rit, penche la tête sur le côté et lui retire la frontale.

— Oui. Parfait.

— Et toi, quand est-ce que tu te transformes en chenille ?

— Il faut que je finisse d’abord, sinon ça risque de ne pas être très facile…

Elle sort une bouteille de vin, un tire-bouchon, deux beaux verres et tend tout cela à Edmond.

— Monsieur Vallone, s’il vous plaît… !

Elle sort trois petites boîtes, une petite bouteille de lait, deux cuillères à soupe.

Edmond débouche la bouteille de Saint-Emilion 2001, verse le liquide dans les verres et les pose sur la petite table.

Mila lui tend une petite boîte ouverte, une cuillère.

— Floraline avec du lait, du beurre et du comté râpé. Tu aimes ? demande-t-elle.

— Je ne sais pas ce que c’est.

— De toutes petites pâtes !

Mila verse le lait, pose le fromage râpé dans la gamelle d’Edmond.

— Mange pendant que c’est encore chaud.

— Je t’attends.

— Je me dépêche.

Mila garnit sa gamelle. La pose sur la petite table. Se déchausse, enfile des chaussettes épaisses, et se faufile dans le second sac.

Et avant qu’elle ne se rassoie, Edmond tire le fauteuil tout contre le sien et Mila emmaillotée, se déplace jusqu’à lui, les pieds dans les coins du sac.

— Magnan, tu es… Je ne sais pas !

— Je suis une fille normale ! Y’a plein de gens comme moi ! Et je voudrais que tu manges pendant que c’est encore un peu chaud.

— Non, attends.

Edmond pose sa gamelle sur la table, il attrape celle de Mila, la pose aussi et la table mal calée se rééquilibre, les gamelles et les verres glissent dangereusement.

Il attrape le visage de Mila dans ses mains et avec le visage, le cou, les épaules, tout le haut de son corps, il l’embrasse.

 

Ils mangent tranquillement.

— Tu aimes ? demande-t-elle.

— Hum ! C’est bon.

— Ma mère en faisait quand j’étais petite.

Edmond la regarde, elle sourit. Il dit :

— Tu avais un nouveau jeans ce soir.

Mila se redresse, surprise. Et puis la tête dans sa gamelle, elle répond :

— Hum...

— Il te va bien. Très sexy.

Mila avec un rictus de malaise.

— Merci.

— Tu veux qu’on fasse les magasins ensemble, qu’on s’achète des fringues tous les deux ?

— Je ne suis pas très forte en fringues.

— C’est vrai que je ne comprends pas pourquoi toi, qui aimes les jolies choses, tu n’as pas plus de jolies fringues.

— J’en ai !

— Pas beaucoup !

— Hum. Tu voudrais que je t’accompagne quand tu fais les boutiques ?

— Oui et que tu t’achètes des choses pour toi. Je pourrais te dire ce que j’en pense.

— Euh. C’est que, je n’aime pas trop me regarder dans les glaces…

— Pourtant, tu devrais. Je te l’ai déjà dit.

— C’est gentil.

— Gentil, généreux… C’est pas ça Mila. Je le dis parce que c’est vrai !

— Là où ça me gêne le plus, c’est pour les sous-vêtements…

— C’est quoi qui te gêne ?

— C’est que tu les as déjà tous vus !

Edmond pouffe et secoue la tête. Elle dit :

— J’aime bien les beaux soutiens-gorge, enfin, beaux suivant mes goûts à moi…

— Tu as très bon goût.

— C’est gentil…

— Non ! Ce n’est pas gentil !

Un temps.

— Donc tu aimes les beaux soutiens-gorge !

— Oui, avec des matières douces, de la dentelle, et puis qui tiennent bien…

Elle baisse la tête. Elle dit :

— Mais ça coûte un peu et du coup, je n’en ai pas beaucoup. Et c’est vrai que du coup, ben tu les connais tous.

— Je les enlèverais en fermant les yeux, ou bien… Ou bien, faut que tu me laisses t’en acheter. Du coup !

— Hum.

— Réfléchis-y.

Edmond lève le nez, en fronçant les sourcils. Il dit :

— Ça veut dire que je n’ai pas le droit de déchirer tes culottes avec les dents !

Mila rit, surprise. Puis joueuse, elle dit :

— Ben, en fait pour les culottes, c’est différent. Enfin, peut-être que les autres filles n’ont que des culottes assorties. Mais moi je suis d’accord pour mettre cher dans les soutiens-gorge, mais pas dans les culottes…

Prenant conscience de quelque chose, elle dit :

— Ouais du coup, moi, mes culottes, elles sont toutes dépareillées. D’un autre côté c’est hors de question de mettre aussi cher dans des culottes !

— C’est cohérent du reste ! Du coup !

— Pourquoi est-ce qu’on a cette conversation ?

— Parce que je t’ai encore dit que tu es super bien gaulée et que tu ne veux pas l’entendre !

— ...

— Mmh !

 

Mila sort le dessert : moelleux au chocolat. Ils mangent en silence. Edmond dit :

— N’empêche, comment as-tu trouvé l’idée et le passage pour venir ici ?

— Tu connais l’expérience du rat et de la ratte.

— Non !

— Des scientifiques ont fait une expérience avec tout un tas de rats mâles et de rats femelles. Ils les ont mis un par un dans une salle blanche, sur un disque assez grand, blanc lui aussi. Je ne sais pas exactement, peut-être un mètre de diamètre. Ils ont mesuré leur stress avec leurs pulsations cardiaques. Il se trouve que les rats mâles se rassurent très vite, en faisant peu de trajets sur le disque et peu de rencontres avec le bord du disque. Alors que les rats femelles, elles, se rassurent en faisant le parcours du bord quasi en entier et de très nombreuses traversées sur le disque. Ben moi je suis comme les rattes, j’ai besoin de bien connaître un endroit pour m’y sentir en sécurité.

— Et faire le tour du pâté de maison en voiture, c’est pas suffisant ?

— Non, effectivement. Et c’est mieux à pied.

— Bien entendu… !

Edmond rit en secouant la tête.

— Edmond, est-ce que… après votre conversation avec Fabrice et Christophe, je sais que vous avez rendez-vous avec Stéphane la semaine prochaine. Je me demandais si tu serais d’accord pour faire un repas et les inviter tous.

— Oui, c’est une bonne idée. Sauf que ce n’est jamais moi qui invite. Même, avant… enfin… On le fait toujours chez Fafa ou chez Christophe.

— Ben justement, est-ce que tu ne voudrais pas le faire toi, inviter toi ?

— Les inviter ? Moi ?

— Je t’aiderai bien sûr.

— Mais on le ferait où ? Chez moi, dans l’appart’ ?

— Oui.

— C’est trop petit, on le fait dans les maisons d’habitude, c’est pour ça qu’on le fait chez Fafa ou chez Chris.

— Et avant la maison, Fafa, ils habitaient où ?

— Dans un appart’… non, attends ! C’était un grand appart’ ! Moi chez moi c’est trop petit, s’ils viennent avec les enfants, on sera les uns sur les autres.

— Vous pourriez faire manger les enfants avant et tu leur mettrais un film après, pendant que vous seriez à table. Et puis, regarde, hier soir, Lynda et Christophe sont venus sans les enfants, ils avaient prévu d’aller au ciné après tous les deux. Peut-être qu’ils apprécient de sortir tous les deux, sans les enfants.

— Mais on ne fait pas des gosses pour les laisser à une baby-sitter !

— Je ne suis pas en train de dire qu’ils viendront sans les enfants. Je n’en sais rien.

— Hum.

— Mais dans le principe, tu serais d’accord ?

— Oui. C’est une bonne idée.

 

Ils finissent de manger, rangent tout. Mila sort du sac, éteint toutes les bougies. Elle regarde l’heure sur son téléphone, sourit.

Edmond :

— Le rendez-vous approche ?

— Oui.

— Batman et Spiderman vont nous rejoindre ?

Mila sourit mais ne répond pas. Elle se redresse, regarde autour d’elle, elle est inquiète.

— Je peux faire quelque chose ? demande-t-il.

— Euh. Oui. On va… se mettre là.

Elle désigne la plateforme surélevée derrière eux.

— S’il fait trop froid on redescendra ici. Reste au chaud dans le sac, je m’en occupe.

Elle disparaît derrière et puis revient, un grand matelas gonflé dans les bras. Elle le pose sur la plateforme surélevée et le repousse assez loin contre un petit muret.

— Ici au moins, on sera un peu protégé du vent, dit-elle.

Elle attrape les deux sacs à dos et les pose à côté. Elle jette son sac de couchage sur le matelas.

— Voilà. Maintenant, viens. S’il te plaît.

Elle disparaît à nouveau puis reparaît avec deux oreillers qu’elle lance sur le matelas. Edmond sort du sac et en chaussettes s’assoit sur le matelas, puis disparaît à nouveau dedans.

— On va se mettre dans ce sens-là.

Edmond fait rouler son grand corps dans la direction indiquée. Mila le rejoint, il rebondit à chacun de ses mouvements. Il rit, se moque, arrange les oreillers.

Et ils se retrouvent installés tous les deux, allongés l’un près de l’autre.

— C’est quoi le truc ? Comment faire l’amour en bouddhiste ? Sans contact ? demande-t-il.

Mila se tourne à demi. Elle rit.

— Je n’ai pas pensé à ça ! On doit pouvoir les opérer.

Ils défont les fermetures éclairs et jumellent leur sac de couchage pour en faire un grand unique. Les frontales, les bonnets ont été posés. Edmond ouvre son bras, Mila hésite, puis vient poser sa tête contre lui dans son cou. Et chacun des deux se fait la réflexion qu’ils ne se sont jamais tenus comme cela tous les deux dans un lit, dans une chambre, regardant ailleurs.

Edmond referme son bras contre la tête de Mila et prend sa main glacée qu’il pose dans la sienne sur sa poitrine. Mila rabat sa cuisse sur la sienne. Elle ferme les yeux. Elle dit :

— C’est là que je t’aurais parlé de mes parents, de ma sœur et de moi. Et je t’aurais demandé de me parler de ta famille à toi.

— Et je t’aurais dit qu’il n’y a pas grand-chose à savoir. Que je suis très proche de mes parents, je suis le petit dernier. Qu’ils ont eu du mal à m’avoir. J’ai neuf ans de moins que mon frère. Il s’appelle Thomas, il est marié à Élodie depuis longtemps. Qu’ils ont deux garçons, Mathis et Louis, qui ont douze et neuf ans. Ils travaillent tous les deux dans le monde de la banque. Sans faire le même métier et en en ayant changé souvent. Ce qui me paraît très bizarre, mais c’est certainement parce que je ne comprends rien à ces métiers-là. Nous sommes assez proches, même s’il ne connaît rien à la musique ni au monde du bâtiment. Ils vivent dans une grande ville, en appartement. Ce n’est pas tellement la vie que je voudrais avoir. On ne se voit pas beaucoup. Les enfants manquent beaucoup à mes parents. Voilà, rien que du très classique. Ennuyeux ! Si un truc super important : j’ai échappé au drame de m’appeler Valentin.

Mila rit.

— Quelle est la date de ton anniversaire ? demande-t-elle.

— 5 août.

— Hum. Un lion du mois d’août, au plus chaud de l’été !

— Ouais ! Et toi, ton anniversaire ?

Mila souffle.

— 14 février.

— C’est quel signe ?

— Verseau.

— Attends ! Le 14 février, c’est quoi déjà ?

Mila pouffe. Edmond s’écrit :

— C’est la Saint-Valentin ! T’es née le jour de la Saint Valentin !

— Ouais. Je ne sais pas ce qui est le pire. Si c’est de s’appeler Valentin ou d’être né ce jour-là !

— Au moins c’est pratique pour ton mec, il a deux fois plus de raisons de te faire des cadeaux !

— Ouais mais ça lui met un peu la pression.

— Il tient très bien la pression.

Mila enroule sa tête, se cache.

— Edmond, pendant qu’on y est…

— Tu veux mon numéro de sécu ?

Elle pouffe.

— Non ! …Quoique ! En fait si ! Je voudrais les premiers numéros.

— Hein … !

— Quel âge as-tu ?

— Le même que toi.

— Le même que moi ?

— Oui j’ai six mois de plus que toi.

Mila ne dit rien.

— Tu es déçue.

— Oui… enfin non. Je m’attendais à ce que tu sois plus vieux que moi. Je te voyais plus mûr.

— Eh bien non, Princesse, je suis vieux comme toi.

— Je voulais aussi te dire quelque chose.

— Je t’écoute.

D’une petite voix, elle dit :

— J’ai réfléchi. J’ai réfléchi à tes rêves. Et j’ai compris que j’en avais, moi aussi, des rêves comme ça. Ça peut paraître con de les dire maintenant. C’est un peu comme si je te copiais. Mais non, en fait ce sont bien mes rêves, de vrais rêves. À moi. Alors voilà…

Elle inspire profondément.

— Je voudrais voir des aurores boréales et je voudrais monter au Machu Picchu. Je voudrais aller manger dans un restaurant à Capri et coucher dans une demeure italienne sur la côte Amalfitaine, face à la mer. Je voudrais voir des grosses tortues venir pondre la nuit sur la plage. Je voudrais faire un bout du GR20 en Corse et coucher dans des refuges dans le maquis. Je voudrais aussi voir le parvis de l’église de Murano, son dallage, à Venise et aussi passer quelques jours sur l’île de Santorin en Grèce et qu’on me raconte l’histoire du Volcan effondré. Je voudrais aussi me promener dans Central Park en plein hiver quand il y a un mètre de neige et puis marcher dans les plaines fabuleuses de Mongolie. Voilà. Et pour elle-même. Moi aussi j’ai des rêves.

Edmond s’est redressé, Mila est secouée sur le matelas, il lui dit doucement :

— Je suis sûr que tu feras tout ça, Princesse.

 

Et alors qu’il l’embrasse, les lumières de la cité s’éteignent. Tout devient sombre et informe au sol, comme si une vague noire s’était subitement répandue.

Et aussi brutalement, le ciel de nuit explose dans leurs yeux.

 

Edmond ouvre la bouche. Il dit à voix basse :

— Merde.

Mila se met sur le dos.

Edmond murmure lentement :

— Ooooohhhh ! C’est ça que tu voulais !

Il rit.

Il murmure :

— Tonnerre de Dieu… !

Il crie :

— Ouaouh ! Ohhh !

Il respire profondément.

— Je ne connais rien aux étoiles. Oh, merde mais c’est l’embouteillage là-haut ! Oh oh oh ! Mais il y en a combien ?  Elle est où la Voie Lactée ? C’est ça que tu voulais me montrer ! Merde, qu’est-ce que c’est beau… !

Il tourne brusquement, Mila rebondit, elle rit, ouvrant la bouche sur ses dents, les yeux tout plissés.

 

Alors Mila lui raconte les constellations. Les dessins dans le ciel, les étoiles bleues plus chaudes, les rouges plus froides. Et l’étoile la plus grosse qui n’est pas une étoile mais Vénus, une planète.

Puis elle se remet contre lui, la tête contre son épaule. Edmond lui pose encore des questions.

— Et celle-là ? Et celle-là ?

Mila répond à chacune.

Et puis Edmond se calme et profite, contemplatif. Il s’agite à nouveau au passage d’une étoile filante et Mila rebondit en riant.

Et puis elle lui tourne le dos, et lui dit :

— Edmond, je voulais aussi te dire quelque chose. D’autre.

Elle respire.

— Je voudrais te dire que si je t’ai emmené ici, c’est parce que je sais que tu aimes les lumières, les feux qui crépitent. Et je voulais aussi te dire, Edmond, que tu mérites les étoiles, pas moins. Tu es mon soleil, je n’ai plus besoin des autres étoiles quand je suis avec toi. Voilà.… Désormais, c’est comme si je portais des lunettes roses en permanence sur les yeux. Tout ce que je regarde, tout ce que je perçois est sexué. Je vois des bouts de toi et des bouts de moi de partout. Et puis, je me sens en sécurité, à ma place. Je suis délestée de mes cailloux, je n’ai plus peur de parler aux autres gens. L’emmerdant c’est que je ne peux plus travailler, que je ne veux plus retaper ma maison. Et que chaque fois que je parle à quelqu’un, on me prend pour un Massaï. Elle rit. Je n’ai plus de projet, l’avenir ne m’intéresse plus. Le passé non plus. Plus rien ne compte que d’être avec toi. Tu es mon soleil et tu es la quille de mon bateau aux trop grandes voiles aussi. Voilà. Tu me maintiens en équilibre, la tête hors de l’eau et dans les étoiles. Je t’aime Edmond. Je t’aime de tout ce que je suis. Voilà. C’est tout.

Edmond ne dit rien. Mila ne rebondit pas, elle dit encore :

— Je sais que je suis un papillon de passage dans ta vie. Ce n’est pas grave. Je prends quand même.  Et parce que je suis complètement givrée, en plus, je te demande une chose. Je voudrais que tu distingues bien l’intérêt que tu peux me porter de la curiosité, de la pitié que tu pourrais avoir pour moi. Et je voudrais que tu me rejettes, clairement, avant que je ne voie dans tes yeux que tu ne veux plus de moi. Parce que je le verrai. Voilà. J’ai fini.

Edmond hausse les sourcils, il soupire, gêné et fier aussi.

— Je savais que tu tenais à moi…. Mais je pensais que c’était à cause de ma super bite intelligente !

Mila pouffe, rebondit. Edmond s’est tourné vers elle. Il lui parle, les lèvres dans ses cheveux.

— Disney et Pixar n’ont pas encore fait de film pour la princesse que tu es, Blanche. Retourne-toi s’il te plaît, regarde-moi.

Mila se tourne, Edmond rebondit.

— Ne pleure pas !

— Tu as déjà fait une déclaration d’amour à quelqu’un ?

— Une fois.

— Alors tu sais que ce n’est pas facile.

— Oui, ce n’est pas facile.

 

 

The only exception, Paramore :

 

Maybe I know, somewhere

Je sais peut être, quelque part

Deep in my soul

Au fond de mon âme

That love never last

Que l'amour ne dure jamais

And we've got to find other ways

Et nous devons trouver d'autres chemins

To make it alone

Pour le faire seul

Or keep a straight face

Ou garder un visage sévère

 

And i've always lived like this

Et j'ai toujours vécu comme ça

Keeping a comfortable distance

Gardant une distance confortable

And up until now

Et jusqu’à maintenant

I had sworn to myself that I was content

Je me suis juré que je me satisferais d'un rien

With loneliness

Avec la solitude

Cos none of it was ever worth the risk, but

Parce que rien de tout ça n'avait jamais valu de prendre le risque mais

 

You, are, the only exception

Tu es la seule exception

You, are, the only exception

Tu es la seule exception

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