98 Le Violon d'Ingres - Bing et Toc

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18 h 30. Edmond ouvre les yeux, il fait nuit, il est groggy.

— Mila ?

Le son de vaisselle cesse. Bruit de pas dans le couloir.

— Tant mieux si tu te réveilles tout seul ! Est-ce que ça va ?

Sa voix.

Un frisson.

Mila s’assoit près de lui comme ce matin. Elle a pris la douche, ses cheveux sont encore mouillés, elle est pieds nus.

— Tu t’es bien reposé ?

Elle s’est parfumée de son parfum d’eau de fleur d’oranger et sa peau est crémée.

— Un peu dans le cirage ?

Elle rit.

— Je te laisse émerger.

Il respire mal. Oppressé. Il l’attrape et la tire contre lui.

Mila, la bouche écrasée contre sa poitrine, baragouine.

— Faut tu vien- mett- la ra-onge. Pa-ce qu’à -uit su- -i-ot, ça va -aiment fai- cam-ing !

Edmond la relâche. Elle est toute décoiffée, rouge aussi, le décolleté de sa blouse a glissé sur son épaule. La voix grave, mal réveillée, il dit :

— J’arrive.

Il s’habille sommairement. Sort rallonge et chaises, monte la table.

— Est-ce que tu as une nappe à mettre dessus ? demande-t-elle.

— Non.

— Et… est-ce que tu aurais des plans A0 qu’on pourrait sacrifier pour faire office de ?

— Des plans ?

— Oui, des plans tirés sur papier en format A0 [1]. Si tu en as deux, on peut se faire une nappe avec.

Il ricane.

— Mais bien sûr, du papier… J’ai les plans sur lesquels il faut que je travaille ce week-end !

— On peut les prendre ?

Il ironise de nouveau.

— Je suppose que oui. J’ai besoin de lire ce qu’il y a dessus. J’espère que je pourrai encore après. Il rit. Heureusement que ce n’est pas bolognaise ce soir ! Sinon je suis bon pour attendre lundi pour bosser.

Mila hausse une épaule.

Edmond soupire.

 

Il n’a aucune envie de travailler. Voici une semaine que rien ne sort. Rien du tout. Panne sèche. Cette après-midi était une mascarade. Désormais le sujet le rebute. Il l’avait trouvé stimulant, mais depuis deux semaines, c’est la grande famine. Plus il passe de temps dessus, moins il a de certitudes. Il a bien eu deux trois idées mais une fois couchées sur le papier, elles sont fades et quelconques.

Il fouille dans le dossier et tend à Mila deux plans qu’elle déplie sur la table, comme on déploie une nappe dehors, sous une tonnelle, pour un grand repas entre amis entre les cris des cigales et l’odeur des lavandes.

 

Il prend ensuite rapidement sa douche. Il se sent bien, Mila l’assiste, prend des choses à sa charge dans sa maison. Dans sa maison et dans son après-midi.

Il se dépêche, elle a insisté pour qu’il soit prêt pour recevoir ses amis quand ils arriveront. Elle ne veut pas les accueillir toute seule.

Quand il sort de la chambre, l’interphone sonne. Lynda et Fabrice. Edmond leur dit de pousser la porte parce qu’elle n’est pas fermée.

Mila dans la cuisine, prépare le plateau de fromage. Il a encore deux minutes.

Deux minutes.

La main dans le bas de son dos chaud, il la fait tourner et l’enlace. Il ferme les yeux. Respire. Deux minutes. Le temps, son épaisseur. Deux minutes, trois peut-être. Il vit, saisit le temps entre ses doigts.

 

Le « bling » de la porte de l’ascenseur annonce le « gong », et les pas de Fabrice et Lynda derrière la porte.

— « Toc Toc. »

— Hey hey ! Entrez ! chante-t-il.

Edmond et Fabrice se serrent la main et cognent leurs épaules en se chambrant. Lynda embrasse Edmond. Elle cherche Mila qui sèche ses mains.

— Salut Mila. Je suis contente de te voir.

— Bonsoir Lynda. Merci, moi aussi je suis contente.

Les deux jeunes femmes se serrent, s’embrassent, se parlent, se sourient, gardent longtemps les mains l’une sur l’autre.

Fabrice embrasse Mila et lui non plus ne la lâche pas, il lui tient le bras, lui raconte tout un tas de choses.

Edmond veille, surveille les échanges de Mila avec Fabrice, avec Lynda. Il veillera sur elle ce soir.

Lynda à Mila :

— Tiens, c’est pour toi !

Elle lui tend une orchidée pourpre mouchetée.

Mila est très émue, elle lève les sourcils et secoue la tête, ne sait pas quoi faire. Lever les yeux, dire merci, embrasser.

— C’est pour moi ?  Fallait pas !  C’est… merci. Merci beaucoup !

Mila regarde le pot, Edmond, le pot, et le pose sur le plan de travail de la cuisine.

L’interphone sonne de nouveau. Et de nouveau Edmond donne la consigne de pousser la porte parce qu’elle n’est pas fermée.

Le « bling » s’enclenche, puis les « tocs ». Deux.

Edmond ouvre sa porte sur Audrey, Christophe et bébé Théodore. Les grands chargés comme des mulets, le petit rayonnant comme une boule à facettes dans les bras de son papa.

— Salut Edmond, salut Mila.

— Entrez !

Christophe :

— Où est-ce qu’on s’installe ?

Il désigne un grand bagage et un grand sac de sport

Edmond :

— Euh… ?

Mila :

— Dans la chambre d’Edmond.

Sans attendre confirmation de l’intéressé, la caravane traverse le couloir en lançant un salut à Lynda et Fabrice déjà installés dans le canapé.

Mila les a rejoints dans la chambre.

Christophe :

— Zut, j’ai oublié le matelas dans la voiture.

Audrey :

— J’y vais. Monte le lit.

Christophe tend Théodore à Mila.

— Tiens-le deux minutes.

Mila :

— Euh non ! Elle rit. Je vais le casser ! Pose-le sur le lit, je le surveille.

Christophe pose son fils au milieu du lit d’Edmond avec son camion jaune et bleu et commence à monter le lit parapluie.

Quand Edmond arrive dans la chambre, cherchant à comprendre pourquoi Mila y est encore alors qu’Audrey en est sortie, il les découvre tous les deux : Théodore, 11 mois, assis au milieu du lit riant aux éclats sous les papouilles que Mila, plus de 300 mois, allongée, lui fait sur le ventre avec sa bouche. Le petit a attrapé ses cheveux et rit aux éclats dès qu’elle s’approche.

Christophe a fini de monter le lit. Il râle et se contorsionne pour passer de l’autre côté de la chambre. Et puis finalement il le prend en poids et en volume et le soulève. Théodore et Mila regardent ce curieux avion passer au-dessus de leurs têtes. Audrey arrive alors, elle crie après Christophe et met son fils en pyjama.

 

Christophe, son fils et Audrey se sont assis sur le canapé. Fabrice a ramené une chaise, Edmond par terre, à genoux, sert les whiskys pour les garçons et les pineaux pour les filles.

Audrey a farfouillé dans son sac.

— Tiens, Mila, c’est pour toi.

Elle lui tend un petit paquet, emballé dans du papier cadeau.

— Encore !

Gênée, vraiment, Mila tient, crispée, l’objet recouvert.

Elle bégaie, baragouine, personne ne comprend ce qu’elle dit, sauf le dernier mot. Merci.

Elle ouvre le paquet délicatement comme s’il était en feuille d’or. Audrey rigole, Christophe se moque, Fabrice en rajoute, Lynda joue avec le petit, Edmond regarde Mila et Mila, en apnée, survit.

Le papier défait, heureux et quasi intact, découvre une grosse bougie couleur crème.

Audrey :

— Edmond nous a dit de ramener quelque chose pour toi, pour ta maison. Il nous a fait une liste ! Alors on a choisi dedans.

Edmond regarde Mila, elle est mal, ses yeux brillent. C’est difficile pour elle. Personne ne s’en rend compte, elle donne le change. Elle remercie Audrey très chaleureusement avec son corps, les mots ayant pris des RTTs, et puis elle s’éclipse pour la moutarde qu’il manque sur la table.

Les amis discutent, rient, le plus petit commence à donner des signes de faiblesse et l’interphone sonne de nouveau.

Edmond décroche et dit à Stéphane de pousser la porte.

Suivent bling et tocs, et Edmond leur ouvre.

— Salut Vallone,

— Salut Jagger, entrez. Bienvenue chez moi.

S’ensuivent des embrassades qui n’en finissent pas. Mila, en retrait, gère les émotions qui la traversent.

Victoria s’approche alors. Les deux femmes s’étreignent longuement. Elles pleurent toutes les deux, séparément d’abord, puis ensemble en s’enlaçant encore.

Victoria :

— Tiens, c’est pour toi.

— Non ! Plus !

Victoria éclate de rire.

— Pourquoi ?

— J’ai que des cadeaux ce soir… !

Mila prend l’enveloppe et l’ouvre. Dedans, une petite carte manuscrite :

Les Lavandières

1er et 3ème Jeudi de chaque mois 20 h 30

10 rue Sixtine, Nyons.

07 28 21 14 07

 

Mila la regarde sans comprendre.

— C’est un cercle de femmes. Je me suis dit que ça pourrait t’intéresser.

Mila embrasse Victoria, elle n’a rien pu lui dire.

En embuscade et attendant que les deux femmes se soient décollées, Stéphane se présente à son tour.

— Mila, moi aussi j’ai un cadeau pour toi.

— Putain… !

— Ouais. C’est dur !

— T’imagines pas ce que va prendre Vallone !

— Eh ! Ne l’engueule pas, il veut bien faire !

— Ouais ! Pour l’instant je ne vois pas bien… !

Il lui tend un paquet, emballé lui aussi. Mila dit :

— Pourquoi vous avez emmené tous ces cadeaux ? C’est pas possible ! Vous êtes de grands malades !

— Arrête de râler, ouvre-le !

Edmond s’est approché, il a posé sa main dans le bas du dos de Mila. Elle tremble. Elle déchire le papier cette fois, et dévoile une plaquette de chocolat noir avec son papier couleur kraft autour.

Elle embrasse Stéphane sur la joue et sans le regarder, elle file au-dessus de l’évier.

Edmond se frotte le sourcil, il regarde Stéphane, pinçant ses lèvres et souriant, et de la tête, il fait signe à Stéphane qu’il rejoint Mila.

Mila s’est aspergée d’eau, elle s’essuie le visage avec un torchon.

— C’est un sale coup ça, Vallone !

— Alors toi tu as le droit de faire des cadeaux mais pas les autres !

— J’ai fait qu’un cadeau à la fois. Et j’ai pas mis de papier autour ! Et c’était pas un cadeau. C’était un truc pour les deux, pour être agréable. Toi, t’as pas eu de cadeau ce soir !

Mila le repousse et d’une petite voix, elle dit :

— Je vais encore pleurer si tu me serres contre toi.

— Ce n’est pas qu’une histoire d’argent, alors, les cadeaux. Hein ? C’est autre chose ?

Mila ne répond pas, elle cherche à s’éloigner. Elle dit :

— Ne refais plus ça. S’il te plaît. Je ne sais pas le gérer.

— Je ne voulais pas te faire de la peine et eux non plus.

— C’est pas de la peine ! C’est de l’émotion ! Comme Le Grand Bleu. Je ne serais jamais allée le voir au ciné, ce film. Il est trop chargé. Devant la télé, on croit que tout va être léger comme Castle ou les Experts… Les émotions... moi je suis pas forte !

Edmond la tire encore un peu contre lui, convaincu, certain même, que contre lui tout ira bien.

Mila le repousse de nouveau.

— Allez, c’est ta soirée, avec tes amis.

Mais il ne bouge pas et Mila l’engueule.

— Va-t’en !

Edmond rejoint les autres ; Mila s’asperge encore, gagne du temps et puis finalement regagne le groupe.

 

Tout le monde discute. Théodore a été couché, sans veilleuse, le veille-bébé n’ayant plus de pile, ses parents vont devoir gérer.

Les Sams ont été désignés : les femmes, sauf Victoria, et Stéphane.

Mila a demandé un appareil photo à Edmond, il lui a donné son téléphone, elle a mis du temps à comprendre.

Elle alterne entre être avec eux et se mettre à l’écart pour les prendre en photo, quand ils rient, quand ils se coupent la parole, quand ils s’engueulent.

Audrey s’est encore levée, allée vérifier que son fils ne l’appelle pas. Ses traits son tirés, elle est fatiguée. L’alcool ne l’aide pas à tenir, il l’aide à lâcher.

Edmond préside, en hôte exemplaire. Le ton est joyeux. Ils ont beaucoup à partager.

Fabrice à Mila :

— Edmond m’a dit que tu avais besoin d’un coup de main dans ta maison pour faire passer des fils électriques.

— Oui… je voudrais mettre de la musique, euh… dans le séjour.

— Tu me dis quand t’as besoin, je passerai et je regarderai ce que je peux te faire.

Mila le regarde les yeux ronds, sa poitrine se gonfle. Elle est en surface et à 600 m d’altitude, elle peut respirer.

— Oui… merci Fabrice. C’est… très gentil.

— De rien, Edmond t’aide un peu ? Ce fainéant ! C’est du boulot, une maison !

— Euh… oui. Mais là, c’est vrai que ce n’est pas trop la saison. On verra aux beaux jours. Il m’a déjà beaucoup aidée, il y a quelqu’un qui travaille chez moi, c’est lui qui me l’a conseillé.

— Ah bon, c’est qui ?

— Pierre !

— Pierre quoi ?

Mila hausse les épaules.

— Juste Pierre ! Je ne connais pas son nom. C’est un charpentier à la retraite.

Fabrice tique un peu. Un grand peu. Il a l’air ahuri. Il dit :

— Assez grand, les yeux clairs, les cheveux tout blancs. Il ne parle pas, jamais.

Mila rit.

— C’est ça. C’est Pierre !

— Pierre !…

 

Lynda s’est levée, elle regarde la photo avec les quatre hommes sur la cheminée. Elle la saisit et la montre à Fabrice qui sourit. Quand elle la repose, la photo glisse. Elle remarque alors un papier, une carte dessous. Elle l’attrape et laisse échapper un son aigu de surprise.

Lynda :

— Edmond, comment as-tu fait ça ?

Elle montre alors une feuille de papier épais dessinée au feutre noir fin avec cinq hommes dessus. À droite Fabrice et Christophe, au milieu Edmond, déjà immense, et puis à gauche toute, le buste et le visage de quelqu’un qu’aucun d’entre eux ne verra jamais plus, Maxime. Le cinquième entre Edmond et Maxime est différent, plus petit, aussi jeune qu’Edmond. C’est Stéphane, un Stéphane imaginé avec dix ans de moins qu’aujourd’hui.

Edmond fronce les sourcils, Mila a baissé le téléphone sur ses cuisses, Stéphane a pris le dessin dans ses mains et s’est tourné vers lui.

— Vallone, c’est toi qui as fait ça ?

— Tu rigoles, j’vais pas bousiller du papier avec ta gueule !

— J’me disais aussi, hormis des lignes droites…

Edmond prend le dessin, le retourne. Il n’est pas signé, pas daté. Il lève les yeux vers Mila.

— Blanche, t’as un truc à nous dire ?

Mila la tête dans les épaules, dit doucement :

— Je n’ai pas eu le temps de t’en parler…

Tous se sont levés et se font passer le dessin.

Victoria à Mila :

— C’est toi qui as fait ça ?

Audrey :

— Fais voir !

Lynda s’approche de Mila, l’embrasse sur la joue.

Edmond, ses pulsations battent la chamade, il se lève et par-dessus les épaules des uns et des autres, il regarde à nouveau ce dessin de ces cinq hommes qui ne seront jamais sur aucune photo.

Il s’approche d’elle et la fait lever.

Il l’enlace, l’embrasse sur la tempe et s’éloigne, laissant Mila pantelante et seule avec ses émotions.

Il la regarde alors encore, de biais, gauche dans son jeans moulant, sa blouse sexy et ses pieds nus. Il se demande pour la énième fois d’où sort cette fille.

 

Mila fait chauffer l’eau pour les pâtes et la garniture réchauffe doucement. Elle quitte la pièce et quand elle revient, elle dit quelque chose à l’oreille d’Audrey qui la remercie, la main sur le bras.

Edmond trône, près de la table basse. Il orchestre les conversations, les ventile à droite quand elles se tiennent à gauche, les ventile à gauche quand elles se tiennent à droite. Il en rajoute, parade, fait rire l’assemblée. Il remplit les verres, ceux avec alcool, ceux sans alcool. Mila vient parfois. Elle s’installe à côté de lui, reste quelques minutes, discute avec Victoria en aparté, ou avec les autres, et puis s’évapore.

L’apéritif se poursuit comme en été, dans les rires et les boutades.

 

Mila dépose les tagliatelles dans l’eau bouillante et se brûle. Elle crie, porte son pouce à la bouche et jette le papier d’emballage dans la poubelle. Edmond, les sourcils froncés, s’est levé et lui prend la main sans ménagement.

— Montre !

Mila veut retirer sa main, il l’en empêche.  

— C’est rien, ne t’inquiète pas.

— Viens !

Il la tire, elle refuse.

— Edmond, trois minutes, dans trois minutes il faut égoutter les pâtes. Je me suis juste brûlée, ce n’est rien !

Edmond l’empoigne durement.

— Viens. Avec. Moi. Je veux soigner ça.

Mila le regarde, incrédule, muette.

Lynda :

— Je peux vous aider ?

Edmond :

— Tu veux bien te charger des pâtes ?

Mila :

— Edmond, ce n’est rien, ce n’est vraiment rien.

Lynda :

— Léo, je peux peut-être m’occuper de Mila.

Edmond vexé, relâche Mila à contrecœur. Il est en colère. Il n’y a rien qu’il puisse faire pour cette fille, même pas simplement la soigner quand elle a enfin besoin de lui.

Il regarde durement Lynda, qui ne cille pas. Il dit :

— Dans le placard en haut en gauche.

Lynda emmène Mila dans la salle de bains et dans ledit placard, trouve la crème.

Lynda :

— Il a besoin d’être important pour sa compagne !

— Oui.

— Il ne doit pas être facile à vivre.

— Si. Il est très facile à vivre.

Lynda sourit.

— Tu es amoureuse de lui.

Mila ricane.

— Ah bon ?

— Il en a parlé aux garçons.

— Je croyais qu’il ne voulait pas que vous vous mêliez de sa vie.

— Oui. Moi aussi ! Mais apparemment il a quand même envie d’en parler un peu. Au moins aux garçons. Et Fabrice aime bien me raconter. Il ne devrait peut-être pas !

Lynda rit.

— Vous… Enfin…

Mila sourit et incline la tête sur le côté.

— Pas facile !

Lynda rigole.

— Oui. Je ne dois rien dire. J’ai juré !

Mila rit.

— Je sais !

— Il est… parfois… un peu…

Mila rit.

— Oui ! Parfois… un peu !

Elle enlace Lynda.

— Lynda, merci de m’accepter parmi vous.

— C’est toi qui t’es incrustée… !

— Oui. C’est ce qu’il dit aussi ! Que j’ai mis le souk !

— Oh non, t’as pas mis le souk ! Au contraire ! Je t’aime bien. Et lui, il est différent avec toi.

— Ouais. Il est différent. Et je suis différente de ses ex. Je crois qu’on le sait tous maintenant !

— Je… vous souhaite des bonnes choses. À tous les deux.

— Merci Lynda. Mais je ne suis pas son projet, à Edmond. Vous le savez tous. Alors…

Mila hausse une épaule.

— Ça ne doit pas être facile.

Mila enjouée, déclame :

— De Gaulle disait : « Les problèmes ça ne se règle pas, ça se gère ! »

 

Les pâtes fumantes trônent sur la table. Chacun a pris place.

Audrey :

— Ah ! Au fait Léo, quand tu nous as fait rentrer, j’ai cru qu’on s’était trompés de porte. Elle rit. T’as vu la tête que tu as ?

Audrey regarde Mila.

— On dirait un Syrien avec sa barbe !

Victoria :

— Mmmh. Ou un Libanais ! C’est vrai que tu fais très est de la Méditerranée. T’es canon comme ça !

Stéphane s’étouffe dans son verre, Mila fronce les sourcils.

Edmond, l’air suffisant :

— Je me suis fait racoler par une cougar de 70 ans... Il se tourne vers Mila. Libanaise !

Mila acquiesce.

— Maysane en centre-ville. La pâtisserie aux spécialités orientales.

Audrey :

— J’adore cette pâtisserie !

Mila se tourne vers Edmond.

— C’est peut-être pour ça qu’elle t’avait regardé comme ça. Tu lui as peut-être rappelé quelqu’un.

Edmond hausse des sourcils d’un air aguicheur, joueur. Mila baisse la tête, écarlate.

Fabrice :

— Tu ne vas quand même pas garder ta barbe comme ça ? On dirait un terroriste !

Lynda outrée :

— Fabrice ! Il a la même peau que tes enfants !

Fabrice :

— En parlant d’union…

Christophe, blasé :

— Ah non ! pas encore… !

Lynda :

— Si si si. Nous on veut faire la fête.

Fabrice :

— C’est quand que vous vous mariez ?

Audrey :

— On ne sait pas encore.

Christophe, l’air idiot :  

— On n’est pas encore sûrs !

Lynda :

— Que nenni. Vous ne voulez pas nous inviter ! C’est ça !

Stéphane :

— On aimerait bien faire la fête, y’a un moment qu’on n’a pas fait la fête !

Victoria :

— Et moi j’aimerais bien vous voir jouer.

Mila ramène la poêle de garniture. Elle sert chacun.

Mila :

— Moi aussi, j’ai très envie de les voir jouer.

Fabrice :

— On est trop vieux !

Stéphane :

— Regarde les Stones !

Fabrice :

— C’est des tarés ! Ils ne font ça que pour le fric.

Edmond :

— Nous non, c’est pour la gloire… Qu’on le fait pas.

Stéphane :

— J’aimerais bien qu’on rejoue.

Christophe :

— Moi aussi. Et j’aimerais bien que mon fils m’écoute et qu’il fasse de la zic plus tard.

Victoria :

— Bon ! Ben y’a plus qu’à !

Lynda :

— Ça ne nous dit pas quand vous allez vous marier !

Audrey :

— Je n’arrive pas à trouver une robe.

Lynda :

— Mais y’en a des dizaines !

Victoria :

— C’est sûr que si tu n’as pas de robe, tu ne peux pas te marier.

Stéphane à Victoria :

— Je croyais que tu ne voulais pas te marier ?

— Je ne veux pas me marier mais je m’achèterai une robe de mariée.

Mila spontanée :

— Moi aussi !

Tous les regardent en riant. Mila se cache, écarlate.

Mila :

— Non, en fait… elle fait le signe 2, deux robes !

Audrey :

— Pourquoi deux robes ?

Mila :

— Parce que je serais incapable d’en choisir une seule. Deux, j’ai plus de chance.

Audrey :

— Oh ben oui. Moi aussi. Deux robes ! À Christophe : hein, mon Cœur ? Deux robes.

Christophe lève les mains.

Victoria :

— Moi ce sera une robe fuselée, moulante, avec un chapeau.

Audrey rigole :

— Moi, je cherche une robe meringue. Elle regarde Christophe. Il se moque de moi. Avec plein de tulle, de dentelle, de cerceaux, toute bouffante.

Victoria à Audrey :

— Blanche ?

Audrey comme une évidence :

— Oui. Blanche !

Victoria :

— Moi elle sera rouge ou bordeaux, très sex’ !

Les hommes se regardent, rient, Edmond ressert du vin.

Victoria à Lynda :

— Comment était ta robe ?

— Toute simple, avec quelques perles. Pas de chapeau, pas de traîne.

Audrey :

— Ah oui ! Je veux aussi une traîne…

Lynda :

— On n’avait pas de sous et on a fait ça vite. Elle regarde Fabrice. Mais c’était bien quand même.

Victoria :

— Ça fait combien de temps ?

Lynda :

— Neuf ans. Elle regarde Fabrice et l’embrasse. Neuf ans d’accord parfait.

Fabrice regarde les hommes d’un air de dire : « Et z’avez vu comme elle m’kiffe ma meuf ! »

Ils éclatent de rire. Edmond regarde Mila revenir du couloir et se pencher sur Audrey.

Lynda subitement à Fabrice :

— Faut qu’on le refasse !

Fabrice finit d’aspirer ses pâtes en s’en mettant partout.

— Qu’on refasse quoi ?

— Qu’on se marie !

— Encore ! Mais pour quoi faire ?

— Je veux m’acheter une robe.

— T’es sérieuse ?

Tout le monde éclate de rire.

— Oui, et ce sera nos enfants nos témoins. À compter de maintenant, on met un poste robe dans le budget. Je vais m’acheter une robe !

Fabrice regarde Christophe, l’appelle à l’aide.

Christophe :

— Désolé vieux, j’peux rien pour toi. Moi j’ai du bol, on n’a pas de robe !

Audrey :

— J’ai déjà trouvé le collier et les boucles mais je n’arrive pas me décider sur la robe.

Victoria :

— Audrey, mais enfin, il ne faut pas commencer par les accessoires. Faut commencer par la robe !

Audrey :

— Faut surtout commencer par quelque chose ! Oh, ne me regarde pas comme ça. La prochaine fois, tu viens avec moi ! Vous venez toutes avec moi, vous verrez comme c’est simple !

Mila :

— Y’a des émissions à la télé sur des femmes qui choisissent leur robe de mariée. Ce sont de véritables thrillers ! Elle rit. Surtout quand t’as en plus la mère, les sœurs et le futur qui donnent leur avis, je ne vous dis pas la misère dans laquelle se retrouve la pauvre femme. Dans Mentalist au moins, Patrick Jane il a des amis, là la nana, elle est seule au monde !

Edmond, joueur, à Mila :

— Tu regardes ça, toi ?

— Oui. C’est du gros suspense.

Edmond à tous :

— Hier soir on était au ciné avec Blanche, devinez ce qu’on est allés voir. C’est elle qui a choisi.

Audrey :

— Le dernier Luke Bracey.

Victoria :

— Celui avec le sublime Matt Lanter.

Edmond :

— Non. Vous ne trouverez jamais ! Un film d’action, thriller, et un peu porno aussi.

Mila ouvre grand les yeux. Il rectifie.

— D’accord, érotique.

Audrey :

— C’est quoi ?

Edmond rit, il baisse la tête, Mila l’a frappé à l’épaule.

Edmond :

— Fast and Furious.

Les autres sont surpris et ne disent rien.

Edmond arrête les coups légers que Mila lui assène, il l’attrape et la fait assoir sur ses genoux.

— Elsa !

Fabrice :

— Euh tu t’appelles comment, Mila, Blanche ou Elsa ?

Mila veut se lever, Edmond la retient sur ses genoux.

— Je m’appelle Blanche. Mais… mes amis m’appellent Mila.

Fabrice :

— Et Elsa c’est pour quoi ?

Lynda :

— C’est la Reine des Neiges !

Edmond :

— C’est ça ! C’est la Reine des Neiges. Je trouve que Blanche, Mila… ressemble à la Reine des Neiges !

Lynda :

— Pourquoi ?

Mila :

— J’ai les pieds qui puent !

Lynda rit.

— Comme toutes les femmes !

Victoria se met alors à chanter « délivrée, libérée ».

Stéphane :

— Ma puce, tu as plein de qualités… Mais tu chantes comme un siphon bouché.

Tous éclatent de rire.

Ils finissent de manger, félicitent Edmond pour ses talents culinaires. Le plateau de fromages a été jugé inutile et Mila prépare le dessert : poires aux sirops, boules de glace, chocolat fondu et chantilly. Edmond sert le champagne.

Mila est allée de nouveau vérifier que Théodore dormait.

Ils discutent encore, se taquinent. Mila, tantôt en retrait, tantôt près d’Edmond. Lorsqu’elle s’approche, il met sa main sur sa cuisse sans la regarder, pour lui dire qu’elle a sa place, ici, avec eux.

Stéphane :

— Vallone, on chante ?

Victoria :

— Oh ! Oui ! Edmond chante, il paraît que tu chantes super bien !

Edmond va chercher sa guitare et la confie à Stéphane. Ils se jaugent, se sourient tous les deux.

Edmond :

— Des trucs tranquilles hein, pour pas réveiller le p’tit.

— Ouais. Allez, on commence avec ça…

Stéphane démarre les premières notes de Angie [2]des Stones. Edmond sourit, ils se parlent encore un peu, se chambrent, Stéphane accorde la guitare, et puis Edmond chante les premières paroles, un peu raide, les mains sur les cuisses. Il ne regarde que Stéphane qui le charrie.

Oh, Angie, oh, Angie,

when will those dark clouds disappear ?

La voix d’Edmond sur le son de la guitare plonge chacun dans un état second. Le ton est insouciant. La musique et la voix ramènent l’adolescence, le printemps, le soleil, les oiseaux dans les esprits et dans les sourires.

Victoria en bout de table fait bouger son verre au bout de son bras. Audrey s’est assise sur les genoux de Christophe, la tête sur son épaule.

Lynda s’est approchée de Fabrice, tout contre lui, ils se sourient, échangent quelques mots et Fabrice embrasse Lynda sur le front. Et Mila se cache derrière le téléphone d’Edmond, elle prend des photos.

Stéphane enchaîne avec Wonderwall [3]d’Oasis et Fabrice se met à taper sur la table. Puis avec All of me [4]de John Legend mais, dès les premières mesures, Edmond refuse de poursuivre. Stéphane s’excuse et propose Banana Pancakes [5]de Jack Johnson.

 

Audrey bâille et finit par aller s’allonger sur le canapé, Mila l’emmène dans la chambre d’Edmond. Christophe a expliqué que Théodore avait été malade toute la semaine, qu’Audrey avait assuré les jours et les nuits et qu’elle est crevée. Fabrice remplit les verres de champagne.

À la fin du morceau, Edmond et Stéphane, comme un seul homme, réclament à boire et Fabrice ouvre la seconde bouteille de champagne.

Ils trinquent et Edmond propose Thing about freedom [6]de Matt Wertz à Stéphane, qui réfléchit, tâtonne ses accords et lance le morceau.

Victoria a fait déplacer Christophe pour être près de Stéphane. Mila a bien tourné en rond, préparé les cafés pour ceux qui en voulaient et finalement s’est assise, à côté d’Edmond. Elle papillonne mais revient près de lui, finalement.

Lynda, Fabrice et Christophe discutent, se touchent, rient.

Edmond se concentre sur le son de la guitare, le cœur gros.

 

Sous ses yeux, une vision douloureuse, et son émotion passe dans sa voix grave, suave et vibrante. Il souffre. Du volcan de forces qu’il a devant lui, Victoria épousant le corps de son homme tenant sa guitare, enlacés tous les trois. Leur connivence. Il chante.

Lui, avec son grand corps inutile se retrouve à son tour guitare de sa propre voix, de sa propre énergie.

Stéphane réclame la voix, et pour Victoria, pour tous les deux, il chante alors la chanson souhaitée au début, All of me de John Legend. Il chante faux mais son émotion est épaisse. Edmond a pris son verre dans ses deux mains, un pied sur un barreau de la chaise. Stéphane se laisse complètement aller, il termine seul la chanson et démarre une autre chanson d’amour langoureuse, It's Been A While de Staind [7].

Edmond hésite puis accompagne finalement Stéphane au chant. Et puis lorsque celui-ci s’arrête et sourit en le regardant, Edmond chante à sa place. Et sur les refrains, Stéphane l’accompagne, ils chantent tous les deux, Edmond chante pour Stéphane. 

Les morceaux qu’il a choisis sont beaux, ce sont de belles chansons d’amour. Il le suit, lui prête sa voix, son interprétation. La présence de Mila, lointaine et proche à la fois, ajoute à l’ambiguïté de ces deux chansons. Mais le flou est de mise, ils sont sept autour de la table et c’est Stéphane qui a choisi les morceaux.

 

Mila l’a sans doute senti aussi et comme lui, elle envie et souffre de la fusion de Victoria et Stéphane. Mais « léger et superficiel ». Lundi matin en début de Peste et vendredi soir en Renaissance.

Alors sans s’approcher, et de loin, elle pose sa main froide sur le genou d’Edmond. Et lui, ouvrant à peine les yeux, la tire près de lui.

Il se laisse alors aller à ce romantisme, cède à ce clair-obscur.

Il chante pour Stéphane et Victoria, et il chante aussi pour lui, pour ce qu’il ressent, là tout de suite pour Blanche, la femme de son week-end.

Cette femme qui ne sera pas la sienne et dont il tient la main en cet instant. Il choisit Mountains high Valleys low [8]de Phillip Larue et se laisse envahir par cette sensation d’être deux, cette sensation qu’il rêve éveillé depuis des mois. Cette volupté qui l’a recouvert et qui s’évanouira lundi matin lorsqu’il tournera la clé dans sa porte.

Exactement comme il l’a annoncé à Mila.

Il est correct. Dans le programme qu’il lui a donné. Il ne triche pas. Il vit juste l’instant présent. Cet instant qui ne pourra pas se propager sur la vraie vie et durer. Parce que ce week-end n’est pas la vraie vie. Juste une émulsion, un nectar du meilleur.

Comme des vacances sur une île, une parenthèse. C’est cela qu’il voulait. C’est comme cela que ça devait se passer et que ça se passe. Le choix était le bon. Il ne trahit pas, n’abuse de personne. C’est ce qu’il a expliqué, ce qu’il voulait. Et c’est ça qui va se passer.

Il se laisse aller, serrant la main de Mila dans les siennes. Il chante Collide [9]de Howie Day

Et puis les vieux, les en couple depuis plus longtemps, finissent par se moquer, râler et Fabrice réclame un autre café.

Victoria a repoussé la guitare et pris sa place dans les bras de Stéphane.

Mila débarrasse les assiettes à dessert, Edmond a sorti l’Armagnac et l’a proposé aux non Sams.

Le dessin des cinq est passé devant la photo des quatre.

Et puis tous sont partis.

 

L’appartement s’est retrouvé vide, non plus parfumé de leurs rires, bouffi désormais de la sérénité d’Edmond et de la tristesse de Mila.

Ils ne vont rien faire d’engageant.

Il va la toucher. Pour lui faire plaisir, parce qu’elle aime ça. Elle l’aime et elle aime ses caresses. Son corps s’anime dès qu’il s’approche. Un demi-mètre suffit pour que les premiers symptômes apparaissent. La distance peut être plus importante s’il lui parle, s’il la regarde ou s’il lui sourit.

C’est mécanique.

Elle est moulée à lui. C’est permanent et ça ne changera jamais. C’est comme ça depuis Marzal, et ce sera toujours comme ça. Aussi certain que la mécanique des levers et des couchers de soleil.

De la permanence, des certitudes.

La séparation du lundi matin est d’autant plus nécessaire.

Edmond débarrasse, Mila fait la vaisselle. Sans se parler. La rallonge, les chaises sont rangées, les plans repliés.

Mila, son corps, danse alors la parade qu’il connaît. Ses yeux l’évitent, sa tête se baisse, son corps se tourne à demi. Elle le fuit, son corps disant tout à fait le contraire.

Elle s’est échappée dans la salle de bains, l’eau coule. Elle doit se brosser les dents, faire un brin de toilette. Il la connaît. Ses manies, ses habitudes. Ensuite elle va ressortir décapée et sereine. Comme elle n’a pas de chemise à lui à portée de main, elle sera en pyjama. Ou encore habillée. C’est selon. Si elle a sommeil ou pas.

Edmond se verse un verre de champagne.

Il s’appuie contre le mur près de la fenêtre. Il ne voit rien. Il pleut. Les éclairages publics sont éteints. Comme tous les soirs à partir de dix heures. Économie et réduction de la pollution lumineuse avait dit Blanche.

Il sent alors qu’elle s’approche de lui. Elle est habillée.

OK.

Il sait ce que cela veut dire.

Il la déshabillera. Elle adore qu’il la déshabille. Pas de problème. Et doucement. Il a le temps. Il sait ce qui va se passer. Il sait ce qu’elle veut. On est samedi. Elle est là. Ils ont encore une journée. Deux nuits.

C’est cela qu’il fallait faire. C’est le bon rythme. Comme ça jusqu’en juin.

Ensuite on verra.

Mila est face à lui, les mains dans ses poches, la blouse ouverte sur ce pli entre ses seins.

Un mètre de lui.

Il ne la regarde pas, ne lui parle pas, ne lui sourit pas. Le mécanisme n’est pas encore enclenché.

Certain du maléfice, il s’avachit sur la cloison, tourne la tête vers la fenêtre et porte le verre à ses lèvres. Il déglutit, respire avec amplitude. Il sait qu’elle l’observe. Et puis ensuite il ne la voit plus. Ne sentant que son souffle tiède dans son cou et quelques-uns de ses cheveux clairs sur son menton. Il sait qu’elle regarde dans la même direction que lui, dehors, où il n’y a rien à voir. Alors malgré-lui, il ferme les yeux et s’accroche à son verre.

Et puis, brutalement, ses sensations changent. Les mains chaudes de Mila ont pris son visage, sa bouche a saisi la sienne, lèvres ouvertes, langue en promenade.

L’alcool, les bulles et puis ça.

Il tient son verre. Ne rien renverser. Garder l’équilibre. Surface plane. Liquide paisible.

Il n’arrive plus à respirer. Ses pulsations carillonnent, son cœur boxe sa cage.

Il tient encore. Accroché comme un alpiniste à son piolet, les pieds dans le vide.

Et puis Mila prend son verre et le finit cul sec. Elle porte la main à sa bouche, tousse, ferme un œil, rit. Elle pose le verre sur la table et Edmond suffoque, les mains tendues vers elle, ses doigts qui la réclament.

 

Le programme n’a pas été suivi.

Le mécanisme ne s’est pas enclenché.

Ce n’est pas ce qu’il attendait.

Ce n’est jamais ce qu’il attend.

Il n’y a pas de programme.

Il n’a rien à lui dire.

Rien.

Aucune pensée. Rien d’intelligible.

N’être que sensations éminentes et mêlées.

Des sensations excessives, comme celles qui le serrent dans sa poitrine, qui écrasent tout l’espace.

Il l’embrasse comme on recueille l’eau d’une source.

Il la prend dans ses bras, la soulève. Elle rit.

Elle est heureuse.

Il est un géant.

 

Il la baise. Elle, son corps, sa peau, chaque carat.

Il la respire, laisse le corps de Mila s’échouer au creux du sien et la laisse onduler. Il laisse les bourrelets de ses chairs fondantes le pétrir.

Il n’ose pas penser. La danseuse dangereuse l’envoûte et ses seins débordent de ses mains. Il se réfugie en elle, dans la trame de sa pulpe qui le serre, dans ce corps qui s’agrippe au sien.

La tension monte en lui, si forte, si inexorable, comme un lever de soleil.

Et il arrive.

De loin.

Il le voit poindre, juste lueur, aurore d’un sentiment nouveau.

Puis aussi sûr que les rayons du soleil réchaufferont tout à l’heure la terre et les champs, le plaisir monte en lui et puis se pose un peu, hésite, et puis finalement bascule. Et explose. Globalement. Absolument.

Tous les deux.

Aussi nécessaires l’un à l’autre qu’Ouranos [10] et Gaïa [11].

 



[1] Le format A0 est un format normalisé de dimensions : 84,1 x 118,9 cm.

[2] Angie des Rolling Stones : https://www.youtube.com/watch?v=RcZn2-bGXqQ

[3] Wonderwall d’Oasis : https://www.youtube.com/watch?v=6hzrDeceEKc

[4] All of me de John Legend : https://www.youtube.com/watch?v=450p7goxZqg

[5] Banana Pancakes de Jack Johnson : https://www.youtube.com/watch?v=OkyrIRyrRdY

[6] Thing about freedom de Matt Wertz : https://www.youtube.com/watch?v=u9zb-Wx4y6U

[7] Staind est un groupe de nu metal ou post-grunge américain fondé en 1994. https://www.youtube.com/watch?v=6T-Qt4ZlFB0

[8] Mountains high Valleys low de Phillip Larue : https://www.youtube.com/watch?v=bHa0s-z4mfU

[9] Collide de Howie Day : https://www.youtube.com/watch?v=ca9ub9rpNK4

[10] Fils et époux de Gaïa (la Terre). Ouranos craint et hait ses enfants, et les emprisonne dans le Tartare, laissant les Cyclopes et les Titans en liberté. Gaïa persuade alors son fils Cronos de renverser son père. Celui-ci émascule Ouranos. De douleur, Ouranos se retire. Le Temps (Chronos) s'ouvre, entre le Ciel (Ouranos) et la Terre (Gaïa) désormais séparés. https://ninerouve.wordpress.com/la-maison/le-monde/les-elements/#gaia

[11] Dans la mythologie grecque, Gaïa est une déesse primordiale identifiée à la « Déesse mère ». Elle est l'ancêtre maternelle des races divines, et enfante seule de nombreuses créatures, notamment Ouranos.

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