(...)

5 minutes de lecture

Florian était perdu dans un brouillard pourpre qui obscurcissait tout jugement, à la limite de la syncope.

Cette haine à l’état pur qui le portait à réduire Bastien et charpie et à massacrer sa sœur ne pouvait venir de lui.

Il l’avait sentie éclore et s’épanouir en lui ces derniers jours, l’assaillant par vagues successives, cherchant à se déverser en même temps que cette force inconnue qui le laissait lessivé chaque fois qu’elle se retirait. Cette colère qui le submergeait n’attendait que le prétexte que Claire venait de lui offrir pour s’engouffrer dans la brèche et prendre le contrôle, sans qu’il tente de lui opposer la moindre résistance. Au contraire, une partie de lui-même avait voulu punir une telle impertinence.

Il crut que sa tête allait imploser sous cette tension que subissait son cerveau tandis que cette énergie accumulée qui décuplait sa rage hurlait, exigeant de lui sa libération immédiate et intégrale. Il devait lutter pour ne pas lui obéir, redoutant des conséquences irréversibles. Il se doutait qu’il ne résisterait plus très longtemps au feu dévorant qui le rongeait de l’intérieur, comme un ver creusant des galeries souterraines jusqu’à ce que les fondations s’effondrent. S’il parvenait à lui imposer sa volonté, ce feu se vengerait en le consumant lentement, le retranchant à la limite de la raison. C’était juste une question de temps avant qu’il ne parvienne à ses fins et c’était un miracle qu’il soit encore vivant dans ces conditions : aucun être humain ne pouvait supporter une telle surcharge d’électricité. Or, combien de volts circulaient actuellement dans ses veines ?

Sa dernière part de lucidité, celle qui refusait de laisser sortir la bête quitte à se laisser dévorer, devina que les deux frangins étaient sans doute en proie aux mêmes sensations. Il se souvenait de la violence inouïe de Bastien lors de son dernier match de handball et l’excusait bien volontiers à présent. Pas besoin d’être sorcier pour comprendre qu’ils allaient tous y passer. À ce rythme, les monstres n’auraient pas à se charger du boulot. Si tant soit peu qu’ils n’étaient pas le fruit d’une hallucination collective.

Mais à qui s’adressait donc ce ton suppliant d’Arthur qui lui rappelait celui qu’employaient parfois les adultes pour essayer de raisonner un enfant entêté ?

— S’il-vous-plaît… Vous voyez bien que vous ne faites qu’empirer les choses !

Facile à dire pour lui ! S’il était passé par là, il savait donc les efforts que cela impliquait et combien c’était douloureux. Au moment même où il se fit la réflexion, le feu redoubla d’intensité et il connut la véritable douleur, face à laquelle ses nombreuses crises antérieures n’étaient que pure bagatelle.

Elle vrille son crâne reléguant en arrière-plan un brouhaha retentissant. Concentre-toi sur ta respiration, lui enjoigne alors une voix, dominant le vacarme. Il obtempère. Il n’a plus que cela à faire. Sa respiration est bien trop accélérée, heurtée, et se règle au rythme de son cœur affolé. Tout son corps est survolté. Et après ? Qu’attend-elle donc qu’il fasse ?

Les boîtes à musique

Sont des mécaniques

Un peu fantastiques

Magiques et mystiques

Tantôt poétiques

Tantôt sarcastiques

Avec un rien d’ingénu

Elles ont des musiques
Caractéristiques
Des airs ironiques
Aristocratiques
Qui vous communiquent
L’émoi romantique
Parfum des temps révolus,

Clic-Clac !

Ça y est, voilà qu’il se met à délirer maintenant ! Voilà que lui revient cette maudite chanson qu’il avait été forcé d’apprendre en CE1 lorsqu’il faisait de la chorale avec Sophie. Par-dessus toutes les autres stupidités du répertoire, il avait eu en horreur cette musique saccadée qui mimait les circonvolutions d’une boîte à musique, alors pourquoi se met-il tout d’un coup à comparer le système humain à celui d’un mécanisme remonté à bloc d’un simple clic-clac ? Peut-être parce qu’après tout le corps humain n’était lui aussi qu’un simple mécanisme souvent soumis à des ratés épouvantables. Clic-clac! Tu parles ! C’est plutôt lui qui allait claquer ! Car le pire, c’est qu’il se souvient très bien comment finit cette foutue chanson : elle déraille, la mécanique plante au beau milieu d’une phrase dans un ralentissement atroce. Et lui, il plante au beau milieu d’un grenier. Comme quoi… Frêle mécanique qu’il faut remonter…

Une minute ! Tu prends la chanson à l’envers ! hurle soudain une voix furibarde dans sa tête. Ce n’est pas la bonne réponse ! Sa respiration… La chanson… Mais quel imbécile ! Oh, la ferme, toi ! Tu ne vois pas que j’essaie de réfléchir à une solution ? Tu as tout intérêt à te dépêcher, parce que tu es inconscient là, et m’est avis que tu ne vas pas tarder à passer l’arme à gauche ! Inconscient ? Mais alors, t’es qui toi ? Bouge-toi maintenant, on n’a pas toute la journée !

La panique envahit Florian. Il tourne schizophrène coincé dans le domaine de l’inconscient et tout ce qu’il a pour se tirer d’affaire, c’est une voix complètement disjonctée qui lui met une chanson ridicule dans la tête et un conseil foireux sur sa respiration. Merci du renseignement ! Quel rapport entre les deux ? Oh. Le rythme.

De son angle de vue surplombant, il sent que son cœur s’accélère toujours plus au point de lâcher, surexcité par le courant qui s’épanche dans ses veines. Sa respiration, bientôt inexistante, s’évertue en vain à suivre la cadence poussée au triple de sa puissance. Il tire sur les rênes, la force à ralentir, à s’aligner sur la mesure de plus en plus lente de la musique mécanique. Le cœur, visiblement surpris de constater qu’elle rebrousse chemin, hésite à son tour, rate des virages et préfère abandonner sa course vagabonde pour se caler sur un progressif unisson.

Florian les oblige à garder le cap, à rester constants et impassibles face à l’irritation de l’électricité qui se sent perdre du terrain devant le manque de peur et de colère à alimenter.

Les boîtes à mu…sique
Sont des méca...niques

Un peu fanta…stiques
Magiques et my...stiques

Mais les auto…mates
Ne sont que des… boî…tes
Des roues… des… fils des...

La douleur lui fouetta la tête et la poitrine avec une telle intensité qu’il crut qu’il allait se retrouver à nouveau expulsé d’un corps qu’il avait tellement eu de mal à regagner. Le cœur, cravaché, fut retenté de repartir au galop pour fuir une bonne fois pour toutes cet ennemi acharné mais Florian tint bon. Ayant enfin compris la leçon, il se débattit pour accompagner le flux qui refoulait il ne savait trop où ni comment. Ses tremblements s’apaisèrent, le brouillard dans lequel il se noyait disparut, sa vision s’éclaircit brusquement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Cagou0975 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0