Scène 1 : Arthur (1/2)

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Bastien et Florian en train de discuter, cela tenait du véritable miracle. Ah, non… rectification : Bastien et Florian en train de se disputer, pour ne pas changer, ne revêtait aucun caractère inhabituel. Même de loin, il était difficile de ne pas remarquer, à moins d’être complètement bigleux, que Bastien semblait particulièrement remonté et démontrait sa colère à grands renforts de gesticulations. Florian se contentait de subir sans broncher, ce qui n’était pas forcément une bonne nouvelle. Arthur commençait à se lasser de son propre rôle de type compréhensif qui joue les tampons anti-collisions. Quiconque le connaissait saurait qu’il n’était pas habilité à ces choses-là.

Un Bastien furibond le prit à témoin pour s’adresser à Florian, ce qui l’horripila horriblement.

— À quoi ça rime ?!

— Ben quoi, c’est toi qui m’as prévenu pour cette réunion, non ? se défendit Florian.

— Arrête tes conneries, tu ne vas pas me faire croire que c’est pour cette raison que tu as changé d’avis ! Qu’est-ce qui cloche chez toi ?

— Fous-lui la paix, répliqua Arthur. Il n’a pas à se justifier et encore moins devant toi.

Ébahi, Bastien en oublia d’engueuler Florian. Il fixa Arthur, attendant manifestement une excuse puis se ravisa en constatant qu’il était on ne peut plus sérieux. Non mais c’est vrai quoi, cela commençait à bien faire à la fin !

Les trois adolescents cheminèrent en silence. Le côté comique de la situation songea Arthur : ils n’ont strictement rien à se dire. Non, tout bien réfléchi, rien de comique là-dedans, c’était plutôt pathétique. Étaient-ils seulement capables de soutenir une conversation un tant soit peu normale et civilisée ? Arthur en doutait sérieusement, mais comme l’espoir faisait vivre, il décida d’ouvrir une brèche, initiative qui le surprit énormément. Quand était-il devenu ce garçon, lui qui était auparavant si renfermé ?

Sa nouvelle obsession : combler à tout prix les silences et les vides afin de prévenir l’écroulement pourtant inévitable de cet édifice fragile et instable que l’on appelait les relations.

« En voilà une excellente idée ! Encore faut-il trouver un sujet de discussion ».

Arthur allait embrayer sur la thématique des cours, terrain assez neutre pour s’y risquer, quand Bastien s’arrêta brusquement, comme saisi d’une inspiration.

— C’est à cause de Chloé, hein ?

Arthur serra les dents. Quand Bastien avait une idée en tête, il devenait difficile de l’en déloger. Il lui aurait volontiers foutu une rouste. C’était mort pour la conversation civilisée.

Florian se raidit, signe que Bastien avait touché un point relativement sensible.

— Pourquoi cherches-tu à l’éviter ? insista Bastien, décidemment bien déterminé à enfoncer le couteau dans la plaie. Tu crois vraiment que la délaisser est la meilleure solution ? Elle ne mérite pas cela !

—Tu préfèrerais peut-être que je la foudroie sur place à la moindre erreur peut-être ?!

— Si t’es incapable de te contrôler, même pour ta petite amie, tu n’as plus qu’à aller te pendre !

— Bastien, tais-toi !

Arthur ne pouvait que réprouver le comportement particulièrement vicieux à tendance sadique de Bastien, soumis à une violence incontrôlable poussée à plein régime. Du moins il l’espérait. S’il avait lui-même personnellement connu ce genre de phases d’agressivité spontanée « j’emmerde le monde parce que je le vaux bien », elles ne lui avaient pas paru aussi destructrices que celles que subissaient sans discontinuité Bastien et Florian. Peut-être bien qu’un antagonisme était nécessaire pour attiser leur haine réciproque.

— Je ne le laisserai pas lui faire du mal ! renchérit Bastien en pointant un doigt accusateur vers Florian.

— Mais tu me prends pour qui, merde !

— Exactement pour ce que tu es, tiens : « un foutu danger public » !

Florian balança sa tête comme pour rassembler ses idées et vrilla son regard dans celui de Bastien. Arthur eut la désagréable sensation d’un fourmillement lui remontant le long de l’échine mais ce n’était sûrement qu’un effet de son imagination. Cela devait rester à tout prix un effet de son imagination. Il ne pouvait se le permettre maintenant.

— Tu restes toujours bloqué sur les mêmes trucs toi, pas vrai ?

Une vague de surprise et d’amertume noya un instant les yeux sombres de Bastien. La parole énigmatique de Florian semblait avoir atteint sa cible.

— Tu m’en veux toujours parce que Chloé m’a préféré à toi.

Les neurones d’Arthur n’apprécièrent pas ce dialogue sorti tout droit d’un scénario de sitcom. C’était la seule explication plausible au fait que son cerveau se mette à patiner, peinant affreusement à assembler les morceaux en une pensée clairement intelligible. Mais une fois enregistrée, la situation lui parut d’autant plus ridicule.

— Vous êtes sérieux là ? Alors tout ce cirque, c’était pour une fille ?

Les deux garçons se tournèrent d’un même élan pour lui jeter le regard de pitié de circonstance réservé à celui qui n’avait décidemment rien compris. C’était évidemment dans ses grands moments de solitude que ces deux-là étaient le plus soudés. Mais bien sûr !

— C’était ma meilleure amie avant qu’il ne se pointe.

— Ta meilleure amie au collège, jugea bon de préciser Florian. Il serait peut-être temps de passer à autre chose.

— Elle m’a laissé tomber parce que tu l’avais encouragée !

— Mais arrête tes délires, je n’ai rien fait du tout ! Elle t’avait dit qu’elle voulait connaître d’autres gens, pas t’abandonner ! Si t’as voulu te braquer, c’est ton problème, pas le nôtre !

— Cela t’arrangeait bien !

Florian poussa un long sifflement irrité.

— Peut-être bien que oui, et alors ? C’est toi qui l’as voulu ! De toute façon, elle te considère maintenant comme un débile mental !

— Ce qu’elle ne tardera pas à faire pour toi, répliqua Bastien avec morgue.

— Ok… Ok, maintenant… Stop ! articula Arthur avec difficulté.

Cette soudaine sensation d’un tuyau enfoncé de force dans sa gorge… Son esprit qui partait à la dérive, lui laissant cette impression affreuse de dédoublement, de contempler la scène en différé...

Il connaissait trop bien ces symptômes pour savoir qu’il ne pouvait espérer les retarder bien longtemps, mais il devait tenter le tout pour le tout. L’ennui, c’est que Bastien venait tout juste de commencer.

— Elle va te larguer et tu te retrouveras seul comme un con, continuait-il en fixant haineusement Florian.

Arthur qui luttait pour suivre la conversation de derrière son écran obtint un gros plan des mains de Florian qui tremblaient convulsivement. Pourquoi n’arrivait il pas à intervenir ? Bastien était-il buté et inconscient à ce point ?

— Laisse…-le…

— Et une fois qu’elle t’aura jeté, tu verras si je me suis braqué !

Le bourdonnement familier résonna aux oreilles d’Arthur mais gagnait en intensité au lieu de se confiner comme à son habitude en vague fond sonore. En tentant désespérément de se concentrer sur son environnement afin de ralentir le processus, son œil accrocha le générateur électrique de la maison près de laquelle ils s’étaient arrêtés et il comprit avec horreur la source de ce vrombissement inhabituel.

— Pas maintenant… murmura-t-il sans parvenir à tourner la tête.

Bastien dut aussi comprendre que quelque chose ne tournait pas rond du côté de Florian, car il finit par taire son déluge de rancœurs. Trop tard, bien évidemment.

— Arrête ça ! l’entendit supplier Arthur.

— Parce que tu crois que c’est facile ! gémit Florian qu’Arthur imaginait aisément plié en deux.

Le générateur s’affolait jusqu’à le rendre sourd tandis qu’il perdait peu à peu le contact avec la réalité. Florian en allait pomper toute l’électricité. À moins que ce soit l’inverse qui ne se produise. Quelle que soit la nature du transfert, il fallait que quelqu’un l’interrompe et s’interpose entre les deux partenaires. Mais pas n’importe qui…

Ce fut la dernière pensée cohérente d’Arthur qui se pendit au bras de Florian alors qu’il sombrait dans son précipice, dernier signe avant-coureur de la bilocation. Et la dernière sensation physique qu’il emporta avec lui fut la décharge de plusieurs centaines de volts qu’il ne ressentit que comme un simple picotement.

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