Scène 1 : Arthur (2/2)

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La dernière fois qu’il avait été attiré contre son gré dans cet espace-temps, il s’était retrouvé nez à nez avec Cécile pour une petite discussion métaphorique sur le pourquoi du comment.

À présent, la première chose qu’il perçoit et qui le rassure de suite, c’est le vide absolu. Ce qui signifie donc une totale et parfaite liberté de mouvement sans obstacle à l’horizon. Après tous ces mois, il réalise combien il est agréable de se détacher de ce corps qu’il juge souvent trop malhabile. Même s’il faut toujours un temps d’adaptation pour s’habituer au fonctionnement de ses sens au ralenti en mode engluement dans de la jelly anglaise. Le seul lien qui le rattache à la conscience du monde actuel est la conservation de l’ouïe et de la vue.

Il doit rassembler toute sa concentration pour pouvoir assister à la seule scène qui l’intéresse à cet instant.

Il est définitivement bizarre de se voir ainsi, en train de se prendre une sacrée dérouillée sans même réagir. Cet amas de chair flasque, complètement déconnecté, voilà au moins une chose auquel il ne s’habituera jamais. Et bien entendu, les voilà tous deux paniqués, à l’instar de tous ses proches qui ont été un jour ou l’autre témoins de son drôle de comportement. Ils crient tous les deux si fort qu’Arthur a du mal à saisir les exhortations de Bastien par-dessus la souffrance et la peur de Florian en pleine crise.

— Florian, écoute-moi, il faut que tu stoppes sinon il ne va pas pouvoir regagner son corps ! Tu es en train de le condamner !

Arthur est soulagé de constater que Bastien a compris ce qui lui arrivait en même temps qu’il réalise lui-même les conséquences de son acte. Pour l’instant son corps tient le choc, notamment en raison de l’absence de douleur mais viendra un moment où il ne pourra plus supporter cette tension électrique et il s’effondrera, le piégeant ici pour toujours.

Les larmes aux yeux, Florian regarda Bastien et c’est au prix d’un grand effort qu’il dégagea dans un rictus de douleur le bras d’Arthur… pour mieux lui broyer le poignet, geste qui surprit autant Arthur que Bastien.

— Qu’est-ce que tu fous ? hurla ce dernier d’une voix suffoquée.

Absorbé dans sa tâche, Florian ne répondit pas.

Arthur contemple, fasciné, le miracle qui est en train de se produire et de lui sauver la vie. Il peut presque percevoir le courant refluer lentement de son corps à celui de Florian dans cet échange qui risque de mettre sa propre existence en danger, notamment s’il ne parvient pas à le contrôler jusqu’au bout.

Un hurlement déchira l’atmosphère et arracha Florian de son apnée dans un sursaut d’effroi. Nauséeux, il n’eut pourtant aucun mal, à la vue de Bastien liquéfié sur place, de reconnaître la source de cet appel au secours.

— Claire… s’étrangla Bastien, déjà à bout d’espoir, le corps agité de soubresauts.

— Qu’est-ce que t’attends, fonce ! lui jeta Florian en le poussant d’une bourrade pour le sortir de sa paralysie. Bastien lui adressa un regard de noyé avant de le poser sur Arthur dans un croassement désespéré.

— COURS !

Le ton impérieux de Florian conjugué au cri silencieux d’Arthur n’admettait aucune réplique. Bastien jaillit hors des starting-blocks pour se porter au secours de sa sœur. Arthur se porte du plus loin qu’il le peut, se confondant presque aux battements douloureux de son cœur en pleine chamade et à sa litanie implorante. Stoppé net dans son travelling avant par la soudaine épouvante de Florian qui s’emboîte parfaitement à la douleur de Bastien, il ne peut que contribuer à la superposition de deux situations guère enviables d’un côté comme de l’autre.

Bastien se jetait droit dans la gueule du loup pour sauver Claire des griffes de sociopathes, tandis qu’à moins de 30 mètres, Florian se trouvait totalement tétanisé, incapable d’esquisser le moindre geste de défense face à la soudaine apparition de Casper.

Et lui qui reste planté là comme un con, aussi inactif qu’une plante verte ! Il est victime du jeu de stratégie le plus pervers qu’il soit, spécialement orchestré pour l’obliger à se disperser davantage. Ne pouvant être partout à la fois, il n’a qu’un seul choix s’il compte s’en sortir : se concentrer sur ses propres difficultés en espérant que les autres arrivent à se débrouiller. Enfin, du côté de Florian, rien ne paraissait moins sûr : mais quel genre d’apparition pouvait bien le perturber à ce point ?

Arthur pousse silencieusement son cri frustré puis affronte du regard ses propres démons en occultant toute perception extérieure. Casper se dresse devant lui, attendant narquoisement la fin de ses délibérations. Ça faisait longtemps, tiens.

— Amène-toi, le nargue Arthur. Je n’ai peut-être plus Émile, mais je n’ai plus peur de toi. Je ne suis plus seul. Je n’ai pas l’intention de rester coincé ici et tu ne peux m’y forcer.

Ce qui est bien loin d’être exact. Même si la marge de manœuvre de Casper est quelque peu limitée et ralentie par sa double interaction sur deux plans, ce dernier reste cependant largement assez puissant pour pouvoir le tenir à distance le temps qu’il règle le compte de Florian.

Amener Casper à jouer son propre jeu de dispersion serait une bonne option. Le seul petit souci, c’est qu’il est proprement incapable d’agir seul. Si Florian pouvait sortir de sa coquille deux petites secondes pour lui donner un coup de pouce, ce ne serait pas du luxe. Mais Florian pouvait très bien concourir lui aussi dans la catégorie « plante verte » sans le moindre problème.

Arthur évite d’une simple pirouette le coup porté par Casper tandis que le même geste reproduit en conséquence à l’identique rata de peu un Florian enfin décidé à se décaler. Cette action fulgurante qui se caractérisa par un déplacement de moins d’un mètre, n’est pourtant pas franchement la distraction rêvée par Arthur pour la réalisation de son plan.

Une colère impuissante balaie Arthur. D’accord, Florian est totalement novice. D’accord, c’est à lui de limiter la casse puisque c’est lui le pro en la matière. Mais est-ce une raison pour tout lui laisser faire, surtout avec un pouvoir aussi inopérant ?

La bilocation selon Arthur : le truc qui ne fonctionne jamais comme on le voudrait. Une stupide perte de temps qu’il ne pouvait maîtriser de même que ce stupide lien empathique qui menaçait de revenir en force au vu de cette peur qu’il ressent et qu’il n’espère n’être pas la sienne. À tous les coups il s’agit de celle de Florian.

Son cerveau cogite soudain à toute allure, créant un flot de pensées bien trop rapides qui voltigent dans tous les sens et qu’il n’arrive pas à assembler correctement dans ce flou gélatineux. Celle qu’il parvient à saisir au vol aboutit à une vision spectrale de Cécile. Il en est tellement stupéfait qu’il s’en faut de peu pour qu’un autre coup l’envoie au tapis.

« Il peut voyager dans l’esprit des gens ou quelque chose comme cela », murmure rapidement le souvenir avant de se dissoudre aussi vite qu’il est apparu.

La bilocation selon Cécile… Enfin, ça c’est du domaine de la théorie. Parce que le coup de la discute avec elle était plutôt un pur hasard difficile à reproduire. Un coup de chance qu’il fallait pourtant réaliser maintenant.

Arthur esquive du mieux qu’il peut un coup qui l’amène à effectuer une roulade sur le côté. Même s’il n’est jamais si souple ni aussi rapide que dans ces instants qui ne soumettent pas ses mouvements à la gravité de ce temps chewing-gum, il ne pourra pas tenir bien longtemps s’il reste dans cette technique. La meilleure défense c’est l’attaque. Mais qu’il est difficile de la mener quand on essaie dans le même temps de se concentrer sur la bonne phrase à envoyer au petit bonheur la chance en direction de Florian… actuellement en très mauvaise posture. Il continuait de subir les attaques qui le repoussaient peu à peu vers la façade de la maison où il serait bientôt acculé avec le corps d’Arthur à ses côtés.

Bon. Pour un premier essai, mieux valait éviter la phrase trop longue « Florian, j’ai besoin d’aide, si tu pouvais faire quelque chose, n’importe quoi, ce serait parfait », de même que le petit « Tu peux le faire », certes concis et encourageant mais guère très explicite. Aux grands maux…

« Florian, bouge !!! ».

Échec sur toute la ligne. Florian restait immobile et rien n’indiquait qu’il avait reçu un quelconque message.

Bon, ben... Il faut un plan B. Et vite. Au moins, l’attitude de Florian lui fournit des pistes de survie, c’est déjà ça. Casper enchaîne les attaques qu’Arthur évite à chaque fois de justesse sans les contrer, à l’image de Florian qui essuie ensuite les mêmes coups à reculons tout en traînant à moitié sa poupée de chiffon.

« Encore un peu, laisse-le venir ».

Arthur observe du coin de l’œil la retraite de Florian, guettant le moment idéal pour la parade. S’il arrivait à déstabiliser ne serait-ce qu’un court instant son adversaire, cela provoquerait une dislocation totale entre entités virtuelle et réelle et donnerait le temps nécessaire à Florian pour fuir.

Enfin, si Florian a la présence d’esprit de réagir dans ce sens. Et si lui-même s’avère capable de mener une offensive correcte et de résister le temps nécessaire sur le plan virtuel. Mais vu qu’avec des « si », Paris serait aisément mis en bouteille, la formule Yapluka pouvait marcher aussi.

Arthur calcule le temps qu’il lui reste. C’est le moment d’entamer le décompte.

Trois… Deux…

« Encore un petit effort », décide-t-il en repoussant une énième attaque qui plaqua Florian contre le mur.

« Maintenant ! ».

Arthur dévie brusquement sa trajectoire initiale et se projette d’un mouvement fluide hors du champ d’action de Casper.

Que Casper ne s’attende pas à une telle répartie, c’est le but. Mais Arthur ne s’attendait pas à le voir se bloquer aussi longtemps. Ni à vaciller si résolument jusqu’à en flouter ses contours.

Qu’est-ce que… ?

Le cœur d’Arthur aurait bondi de sidération si son corps inerte en avait été capable. Florian avait lâché ce dernier. Plus exactement, il s’était placé devant lui dans un geste protecteur et ripostait enfin… au-delà de toutes les espérances d’Arthur. Celui-ci n’a pas la moindre idée quant à la quantité d’électricité que Florian avait ingurgitée au générateur de la maison d’à côté, mais l’importance était que le résultat s’avérait une arme diablement efficace.

Sans doute incapable de gérer deux offensives en même temps, et n’arrivant manifestement plus à se concentrer uniformément sur ses enveloppes, Casper avait donc choisi l’option hors-service pour une de ses manifestations… et concrètement, le fait que cela concerne Arthur n’est sûrement pas un argument bien flatteur : être considéré comme une menace insignifiante, cela reste assez vexant. Et ironie de la situation, ne voilà-t-il pas que son coéquipier pour lequel il s’était décarcassé se chargeait lui-même de lui sauver la mise. Là, cela tourne franchement à l’humiliation !

Et le problème, c’est que Casper reprenait du poil de la bête. Suffisamment en tout cas pour encaisser et ingérer avec une facilité désarmante les volts qu’il recevait à foison.

Arthur comprend enfin : ce monstre se concentrait d’abord sur Florian pour épuiser ses ressources jusqu’à le vider. Florian ne pouvait tenir indéfiniment.

Arthur n’a pas fini la trop lente circonvolution de ses pensées que Casper se focalise enfin sur lui, prêt à en découdre. Oups… Apparemment, Florian n’a plus de munitions. C’est son tour à présent.

Comme pour confirmer, un violent uppercut l’expédie direct au tapis.

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