Chapitre 8 : 2. Embarrassante

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Comme Bastien l’avait pressenti, Cécile ne fut pas franchement ravie de devoir les accueillir chez elle et renâcla un peu. Mais il était vraiment difficile de dire non à Claire, a fortiori pour elle. Elle n’était visiblement pas la seule à trouver ce procédé un peu douteux : Arthur était carrément sceptique sur l’issue de l’après-midi.

« Ça tournera en bain de sang d’une façon ou d’une autre », avait-il prédit, très philosophe.

Florian ne paraissait pas emballé non plus. Mais l’idée échapper à des révisions dans l’ambiance pesante des disputes de ses parents constituait une offre suffisamment alléchante pour s’y contraindre. Il lui était compliqué de jouer l’innocent quand ils abordaient le sujet particulièrement tendu des fréquentes coupes de courant qui bousillaient toute leur installation électrique au milieu de ses frangines surexcitées à la perspective des prochaines grandes vacances. Et il ferait n’importe quoi dans le contexte actuel pour se tenir à distance de Chloé et Romain. La relation longue distance qui s’établirait une fois la période estivale terminée serait beaucoup plus facile à gérer et surtout beaucoup plus sécuritaire : Chloé se révélant bien plus douée que lui dans ses études avait été acceptée à Sciences Po Paris et Romain envisageait une émigration en Bretagne. Mais dans l’intervalle, il galérait à canaliser les soupçons.

— Tu vas la faire souffrir, lui avait reproché Bastien.

— C’était ce qui était prévu depuis le début. Mais on compte toujours se voir aux vacances et au moins un weekend par mois.

— Et ça vous suffit ?

— Concentre-toi sur ta vie privée au lieu de vivre par procuration et fous-moi la paix !

— Merci bien, mais ma vie privée était déjà un désastre, et cela ne va pas en s’arrangeant.

À qui le dis-tu…

Florian se retrouva donc un mercredi après-midi devant la porte de ce qui semblait s’apparenter à une banale résidence. Une étudiante se bataillait avec la lourde porte cochère pour se faufiler à l’intérieur avec ses sacs de courses hebdomadaires pleins à craquer. Florian vola galamment à son secours et l’aida à se décharger de son fardeau dans l’ascenseur.

— Merci beaucoup, c’est très gentil !

La jeune fille se répandait en remerciements en lui décochant un sourire charmeur. D’aucuns y auraient vu une invite, d’autant qu’elle était plutôt mignonne, mais Florian se contenta de lui retourner un sourire affable mais sur la réserve. Les portes de l’ascenseur se refermèrent sur la mine dépitée de l’étudiante.

L’appartement de Cécile se situait au troisième étage. Florian préféra emprunter les escaliers qui s’avérèrent particulièrement raides et traîtres. Au détour d’une enfilade de portes closes, complètement égaré, il parvint à repérer le numéro 335 de justesse avant de devoir s’enfiler un autre dédale de portes toutes aussi closes. La logique de la numérotation lui échappait totalement, un peu semblable à celle des sièges de trains de la SNCF.

— Bonjour… C’est pour quoi ?

Apparemment ce n’était pas Cécile. La femme qui l’examinait dans l’expectative était aussi élancée que Cécile était menue, au visage osseux et aux pommettes proéminentes. Le trait le plus saillant de sa physionomie était ses yeux, grands et profonds, comme ceux de sa fille.

— Tu es un ami de Cécile ?

— Euh… Eh bien…

Il n’en était même pas certain à ce stade. Malheureusement, la mère de Cécile décida de prendre son indécision pour un assentiment et s’emballa.

— Tu es Maël, c’est ça ? Oh, c’est incroyable, depuis le temps que je voulais te rencontrer ! Cécile voulait te cacher comme une pierre précieuse, elle avait sans doute peur que je sois trop vieux jeu, comme tous les parents. C’est à peine si elle m’a parlé de toi. Mais elle a toujours eu énormément de mal à se faire des amis et c’est tellement adorable à toi d’avoir voulu l’intégrer à ton groupe !

Et ainsi de suite.

Florian se sentait un peu ivre. Cécile était-elle vraiment sa fille ? Comment pouvait-elle en placer une face à ce moulin à paroles ? Tu m’étonnes qu’elle ne dise jamais un mot. Ouep. Il ne pouvait qu’approuver. Il y avait de quoi développer des tonnes de troubles de langage, là !

— Maman ! Mais… Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu devrais être à l’agence !

Cécile venait d’apparaître, catastrophée, freinant net en plein couloir. Arthur qui la suivit faillit lui rentrer dedans, Bastien et Claire à sa suite. Un simple coup d’œil permit à Cécile de comprendre la situation, comme si elle y avait été déjà confrontée. Elle s’empourpra, le visage effondré. Florian aurait éclaté de rire s’il ne s’était pas retrouvé dans le plan d’ensemble. Visiblement, Claire trouvait elle aussi cette scène risible vu qu’elle s’étouffait à moitié dans ses efforts pour réprimer un rire spontané. Son poignet était orné d’un joli bracelet de lin bleu qui étincelait doucement à la lumière artificielle et blafarde du couloir.

— Je me suis pris un jour de congé pour couper cette semaine de folie. Si tu prenais le temps de consulter ta messagerie de temps à autre, tu l’aurais su.

— Je n’étais pas au courant, confirma Cécile en se tortillant les doigts, le regard fuyant.

— Ce sont tous tes amis ? Tu comptais organiser une fête ? Ici ?

La mère de Cécile débitait ses questions à vive allure, en extase. De l’air réjoui mais incrédule, comme si le fait que Cécile décide d’organiser une petite sauterie était aussi improbable que de gagner 10 millions au Loto.

— Ça alors, c’est génial ! Tu veux que je prépare quelques gâteaux ? Que j’aille faire quelques courses ?

Elle semblait partie à fond dans le rôle de maîtresse de maison qui distribuerait des petits gâteaux et autres sucreries à tour de bras, et toute l’après-midi s’il le fallait.

— J’interrogeais justement Maël sur ses études. Et toi tu es Camille, c’est ça ?

Interloquée, Claire allait repartir dans sa crise de fou rire mais un regard noir, comme concerté, d’Arthur et Bastien l’en dissuada.

— Maman… ce sont des autres, marmonna Cécile, gênée, virant au cramoisi. Eux, ce sont Florian. Et Claire. Et puis Bastien, et Arthur.

Le sourire de la femme s’élargit davantage que le pouvait sa mâchoire aussi petite que celle de sa fille et Bastien crut qu’elle allait se déboîter la mâchoire. Cécile donnait l’impression de vouloir disparaître sous terre. Littéralement. Ses pieds commençaient à racler la moquette rêche pour y creuser sa tombe sociale.

— D’autres ? Encore ?! Oooh ! D’où tu sors tous ces amis tout d’un coup ?!! Donc ici, Claire, et pas Camille. Florent, et pas Maël…

— Florian. Maurel, rajouta Florian pour se donner une contenance.

— Morel ? Avec un « o » ? Non ? Avec un « au » alors ? Encore mieux ! Enchantée, Élise. Mansel. Même nombre de syllabes, mêmes sonorités, seulement 2 lettres de différence ! Facile à retenir, non ?

— Euh… Sans doute, oui, répondit poliment Florian tout en interrogeant Cécile du regard : Sérieusement ?

Cécile porta une main à son front, consternée. Cette ressemblance phonétique était bien le dernier cadet de ses soucis.

— Bon Maman, c’est pas tout ça, mais puisque tu es là, on va plutôt aller…

— Non, non, restez, je ne vous dérangerai pas. Vous n’avez qu’à vous installer dans ta chambre. Ou même le salon ! Je comptais vraiment aller faire quelques courses. Pas pour toi, ne t’inquiète pas ! Oh, vraiment tu en fais parfois des tonnes. Bon, à plus tard les jeunes, je me sauve ! Bon après-midi !

— À vous aussi, répondit Bastien avant que Madame Mansel ne se carapate en un coup de vent.

Long silence.

Arthur se tourna vers Cécile.

— C’était quoi, ça ?

— Ma mère. Ne faites pas attention, elle travaille dans une agence de voyages, elle se croit donc souvent obligée de faire son show, c’est plus vendeur l’enthousiasme.

— Elle est cool, décréta Bastien.

— Oh arrête, elle est embarrassante, s’écria Cécile, frustrée, en les précédant dans l’appartement. Toujours à se mêler de tout.

— Elle s’intéresse à ce que tu fais. Il n’y a rien d’embarrassant.

— Nan. Elle est plutôt ravie de voir que je commence à ressembler aux autres Je vois d’ici la conversation qu’elle aura avec mon père dès qu’elle parviendra à le joindre. Tu imagines, elle invite des gens ! Notre fille est NOR-MALE ! Elle sociabilise enfin ! Comme d’habitude, elle est à côté de la plaque.

Ils la regardèrent, surpris de la voir se lâcher ainsi, douce soudainement amère.

— Mouais… Mais elle s’intéresse quand même à toi reprit Claire. Y a des parents qui s’en foutent totalement de ce que font leurs enfants.

Le ton acerbe ne trompa personne et jeta un malaise supplémentaire. Bastien la poussa d’un coude réprobateur, Arthur se racla la gorge, désireux de changer de sujet.

— Inutile de te demander quels sont tes centres d’intérêt, fit-il remarquer en pénétrant dans sa chambre, tapissée de dessins épars.

— Oh, juste un passe-temps, dit Cécile qui arrangea les coussins disposés sur son lit le temps nécessaire au flux sanguin de redescendre de ses oreilles. Euh, allez-y installez-vous.

Réflexion stupide car sa chambre n’était passez grande pour monter un bivouac mais chacun s’en accommoda à sa façon.

— Joli bracelet, remarqua Florian en direction de Claire.

Elle le tripota avec effronterie.

— Je trouve aussi. C’est un crétin fini qui me l’a donné.

— Ben voyons. J’imagine que c’est un merci comme un autre.

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