Chapitre 11 (3/4)

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Cécile s’arcbouta sur la poignée de maintien côté passager pour s’engouffrer avec élan dans la voiture. Chloé avait clairement des envies de meurtre. Elle croisa les bras comme un enfant buté en réponse à l’hésitation de Florian.

— C’est ça, démarre. Je te préviens, j’ai l’intention de rester.

Mâchoires serrées, Florian prit à toute allure la direction du centre-ville, obligeant les suspensions à redoubler dans leur manœuvre. Cécile sentait l’adrénaline couler dans ses veines et, de nouveau, le sentiment d’être déphasée partout où elle allait se dissipa, la comblant d’une étrange gratitude. Elle ne se contentait plus d’être mais d’exister toute entière, d’appartenir au présent. Le ressentiment de Chloé, la colère craintive de Florian ne l’atteignaient plus. De pesant, le silence devenait réconfortant et stimulait son envie de porter secours à Claire avant toute autre priorité.

« Minute, pourquoi ramener toujours tout à Claire, c’est Bastien qui est concerné ! », protesta la partie froussarde, la sienne.

Son alter ego ne lui répondit pas mais Cécile perçut parfaitement une violente désapprobation, ce qui était totalement ridicule. Qu’avait-elle donc contre Bastien ?

— Si tu me dis d’attendre dans la voiture, je t’en fous une.

Cécile tiqua. La voiture s’était immobilisée sur un emplacement de parking souterrain, au niveau indistinct mais sûrement tout aussi morne que les autres. Florian se passa la main dans les cheveux, l’air revêche, et descendit sans même répondre à la provocation de Chloé.

— Qu’est-ce que t’attends, la belle ? ricana Chloé que la haine rendait franchement imbuvable.

Cécile soupira avec lassitude et rejoignit Florian tandis que Chloé marmonnait un truc de mauvais augure en claquant la portière.

— Et allez, c’est parti pour un bowling pour finir cette soirée merdique en beauté ! s’exclama-t-elle du ton guilleret d’une alcoolique patentée.

Un vent léger les cueillit au-dehors et s’engouffra dans la veste de Cécile lorsqu’ils gravirent lentement les escaliers menant aux portes vitrées de l’entrée de la salle de jeu. Le Bowling Center était bondé. Tous les jeunes du coin semblaient s’y être donné rendez-vous entre un resto ou un ciné pour relâcher la pression des examens, s’entassant dans les énormes complexes rassemblés dans la même galerie commerciale de la ville.

En tête du trio, Florian se fraya un passage à travers la foule et dépassa la file d’attente pour accéder à la piste. Même dépressif et soûl comme une brique, Bastien ne serait pas facile à trouver.

— Oh non, souffla soudainement Chloé. Cécile et Florian se retournèrent mais Chloé fixaient un point sur leur droite, l’air extrêmement contrariée. Florian avisa Mathieu accoudé à un des parapets qui séparaient les rampes. Nerveux, il ne regardait aucun jeu mais semblait concentré sur un tout autre point de mire. Se sentant observé, il tourna la tête et les aperçut. Il ne parut pas surpris de voir Florian, passa rapidement sur Cécile sans vraiment la calculer mais se figea quand il découvrit Chloé. Abandonnant son poste d’observation, il se dirigea droit sur eux.

— Salut, quoi de neuf ? lança-t-il d’une voix rauque et fatiguée sans lâcher Chloé.

— Rien qui te regarde en tout cas, retourna celle-ci dans un filet de voix, les yeux au sol.

Florian décida qu’ils n’avaient pas le temps pour un tête-à-tête embarrassant entre ex-meilleurs amis et aborda la question du moment :

— Bastien est dans le coin ?

Mathieu tressaillit et examina Florian un long moment, indécis.

— Ouais, même que tu ne peux pas le rater, finit-il par répondre d’un ton résigné de tragédien.

Mathieu embrassa d’un grand geste emphatique un cercle qui se formait plus loin autour des flippers et des jeux vidéo. En se focalisant sur l’objectif, Cécile constata qu’il fallait en effet être aveugle, et sourd de surcroît, pour louper Bastien qui braillait contre un parfait inconnu, un verre à la main rempli de ce qui n’était sûrement pas du jus de pomme. Le gars sortit une boutade parmi les quolibets hilares du groupe, ce qui redoubla sa colère.

— Et voilà qu’un con cherche les emmerdes… On tombe dans le cliché, là.

Mathieu esquissa un mouvement inachevé qu’il laissa retomber et se passa la main sur le visage, apparemment déjà épuisé par ce début de soirée.

— Trois quarts d’heure que ça dure. Il a commencé à boire, puis à enchaîner les Strike, s’est remis à boire quand sa sœur a essayé de calmer le jeu, puis a voulu se mettre au « King Hammer », le jeu du marteau.

Cécile se mordit lentement l’intérieur des joues pour en faire affluer le goût du sang.

— On a essayé de l’en empêcher et de le faire sortir parce qu’il était bien éméché et il nous a envoyés bouler.

Bastien continuait d’engueuler à la force de ses poumons le petit con et l’ensemble de l’attroupement qui le regardaient en bête de foire. Comme ils le faisaient tous. Même si la situation aurait pu être pire, elle risquait de dégénérer là-bas, alors pourquoi se contentaient-ils tous d’observer sans réagir ?

Parce que c’est son problème.

— En bref, il a replongé, acheva Mathieu en vrillant son regard sur Chloé qui le soutenait à présent, le teint pourtant plus cireux.

— C’est son problème, murmura-t-elle en écho au susurrement de la petite voix agaçante.

— Je ne crois pas, non, rétorqua brutalement Cécile en se dégageant de l’emprise du marasme ambiant. Où est Claire ?

Mathieu se tourna vers elle, l’air déboussolé.

— Qu’est-ce que tu lui veux ?

— C’est elle qui nous a appelés parce qu’elle avait besoin d’aide, répondit Florian d’un ton sec.

Mathieu considéra Florian comme s’il avait perdu la raison. Scruta Cécile avec la même confusion. Revint à Florian. S’arrêta sur Chloé.

— Ne me regarde pas comme ça, je n’y suis pour rien et je ne veux surtout pas faire partie de leur bande de cinglés !

L’espace d’un instant, Cécile crut apercevoir un drôle d’éclat dans les prunelles de Mathieu mais ce fut si fugace qu’elle n’eut pas le temps de l’interpréter.

— Je crois qu’elle m’a parlé des toilettes, balbutia-t-il en fixant Bastien qui commençait à s’essouffler au niveau des insultes, ce qui était mauvais signe.

Cécile s’apprêtait à foncer dans le tas quand Claire fit justement irruption au milieu de tout ce monde. Les joues décolorées par les sillons qu’avaient creusées ses larmes, elle attrapa d’une conviction tenace le bras de son frère sans tenir compte des commentaires graveleux et avinés des soûlards rassemblés autour d’eux. Constatant que ses raisonnements et supplications n’atteignaient pas leur but, Cécile se précipita à sa rescousse. Florian la devança et pour plus de sécurité se plaça habilement entre le poing de Bastien et les autres témoins. Des larmes de reconnaissance perlèrent au coin des yeux de Claire quand elle les reconnut ; mais Bastien était à l’ouest, les yeux gonflés, embrumés par le trop plein d’alcool, de fatigue et de dégoût de tout.

— Bastien, ce n’est pas le moment, lui fit calmement remarquer Florian.

— C’est jamais le bon moment de toute manière, pas vrai ? ricana Bastien qui tanguait légèrement.

— Tu ferais mieux de rentrer, je peux vous raccompagner, Claire et toi.

— Me… Me raccompagner ? Toi ? Dans ta voiture, avec Claire et… oh ! non merci, sans façon, répliqua Bastien en apercevant Chloé toute tremblante. Ce n’est pas comme si je ne pouvais pas marcher. Mais aucun de vous ne me laissera faire, hein ? Même… même plus le droit de marcher ! hurla-t-il à la cantonade.

— Bastien… Cécile inspira à fond. Tu es complètement défoncé, évidemment qu’on ne te laissera pas rentrer tout seul !

Bastien esquiva cette affirmation d’un geste agacé de la main.

— Je crois que vous n’avez pas capté, mâchouilla-t-il d’une voix pâteuse. J’en ai marre de faire comme si tout cela était normal et d’évi…ter tout ce qui ressemble à du sport.

— Mais on ne t’a jamais…

— Oh, Céc…Cécile, arrête hein ! Claire m’a même empêché de taper dans le tas avec le marteau !

— Bastien, s’il-te-plaît, calme-toi, murmura Claire.

— Bon, ça suffit ! décréta Florian. On se barre de là, un point c’est tout. Tu peux nous aider ? demanda-t-il en se tournant vers Mathieu qui restait en retrait.

Mathieu le gratifia tout d’abord d’un tel regard vide qu’il le crut parti mais il se ressaisit et acquiesça. Il s’approcha de Bastien mais son ami s’écarta violemment.

— Quand vas-tu finir par me foutre la paix, Alec ? hurla Bastien tandis que le silence s’abattait atour d’eux et se propageait jusqu’à une bonne partie de la salle, interrompant momentanément plusieurs parties.

Claire tituba comme si elle avait reçu une gifle. Sur son visage ressortaient les fines taches de son parsemées en désordre sur son nez et ses joues. Elle lança un regard désespéré à la ronde puis s’approcha doucement de son frère.

— Allez viens, lui murmura-t-elle d’un ton apaisant. Je t’emmène prendre l’air. Viens.

Ivre mort, Bastien se laissa tirer sans aucune résistance par sa sœur cadette.

Florian croisa le regard gêné de Cécile et comprit qu’elle devait ressentir le même désarroi que lui dans une situation où personne ne sait où se mettre. Mathieu expira bruyamment comme si l’incident lui avait bloqué toute respiration.

— Finalement, je crois que je vais attendre dans la voiture, lâcha Chloé d’une voix étranglée, les larmes aux yeux, incapable de supporter son regard sur elle.

Elle commença à rebrousser chemin mais fit soudainement volteface, ses beaux cheveux blonds virevoltant derrière elle comme une cape.

— Ou plutôt, non, je vais appeler mes parents pour qu’ils viennent me chercher.

Florian émergea de sa léthargie et lui jeta un coup d’œil incrédule. Voyant qu’elle ne plaisantait pas et qu’elle s’éloignait même à grandes enjambées, il décocha un appel à l’aide que Cécile lui renvoya de suite en mode « t’es tout seul sur ce coup-là mon pote ».

— Chloé, attends ! s’écria-t-il en se lançant à sa poursuite. Qu’est-ce que tu fabriques ?

Chloé avait le visage rouge écarlate de fureur, à moins que ce ne soit de honte, et deux larmes s’étalaient sans aucune pudeur sur ses joues.

— À ton avis ? J’ai passé la meilleure soirée de toute ma vie grâce à toi, alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

— Je… Je ne comprends pas…

— Tu ne comprends pas ! Putain, tu es le plus grand connard que j’ai jamais connu ! s’exclama Chloé en se retournant en plein élan. Alors je vais t’épargner la grande scène et te la faire courte, je me casse, c’est fini.

Le temps que Florian assimile, Chloé avait déjà franchi les portes et dévalé les escaliers quatre à quatre.

— Ça veut dire quoi, ça ? Tu me plaques ? hurla-t-il.

— Prends-le comme tu veux, je m’en fiche ! hurla à son tour Chloé du pied des marches.

— Reviens-ici !

Elle l’étudia un moment en silence, le souffle court. Enfonça ses mains dans ses poches.

— Seulement si tu m’expliques ce qui se passe. Pourquoi tu traînes avec ces cinglés. Pourquoi tu en es devenu un. Donne-moi une explication valide et on efface tout.

Florian la regarde, ahuri. Il ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort.

— Je m’en doutais… T’es qu’un connard ! Retourne avec ces toxicos ! conclut Chloé en se remettant à hurler.

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