Au sud des désolations contrôlées par Sehnsucht, une forêt glauque étendait ses ombres terribles sur une portion de pays colossale. La traversée n’était pas aisée, mais une ombre habile s’y risqua. Un jeune homme, jeune d’apparence surtout, franchit cet abysse marécageux à la force de ses membres dont l’agilité n’était plus très naturelle ainsi qu’au moyen de quelques sortilèges minutieusement dosés. Il passa presque autant de temps à franchir chaque obstacle sur sa route qu’à s’épousseter à chaque fois que sa belle tenue risquait d’être tachée. Finalement, après un périple des plus pénible, il parvint devant les murailles d’Ehrgeiz. Là, il s’épousseta de plus belle avant de s’approcher. Des premiers gardes morts-vivants qu’il croisa, il devisa en un mouvement qui les fit se tourner à son service, et Sehnsucht eut la surprise de voir un garde squelette lui annoncer la venue du dénommé Ambroise, qui requérait une audience.

Le voyageur en question était un jeune homme d’une drôle d’allure telle que Sehnsucht n’en avait jamais vu en son ancien royaume. Natif d’une contrée du sud nommée royaume de Sinople, il était revêtu d’une longue veste en brocart gris anthracite par dessus une chemise d’une blancheur douteuse, avec noué à son col un élégant jabot de dentelle teint en noir. En guise de bas, une culotte du même noir et des bottes en cuir de chauve souris géantes. Il tenait dans une main un long bâton orné d’une figurine en fer noir dont la forme rappelait la silhouette d’ailes membraneuses, et avec l’autre main il serrait fermement contre son flanc un gargantuesque grimoire. Le plus détonnant n’était toutefois pas à chercher dans on équipement, car lui même n’était pas, ou plus tout à fait humain. Ses longs cheveux d’un noir crasseux faisaient ressortir la pâleur affreuse de son petit visage figé dans un aspect juvénile, doux et lisse mais imprégné par un tempérament soucieux et craintif. Ses yeux étaient encerclé de cernes noires comme charbon, et ses lèvres grisâtres comme celles d’un cadavre dissimulaient des crocs acérés dont il avait honte au point de se cacher la bouche avec sa main lorsqu’il parlait.

Il se fendit d’une grande révérence, presque excessive et se mit à s’expliquer en remuant constamment. Son corps était comme saturé d’énergie, et chacun de ses mouvements était plus agile que ne l’auraient dû être ceux d’un humain. Il remuait si vite que l’exercice de suivre ses mouvements du regard faisait mal aux yeux, et le pire était qu’il était condamné à ne jamais se calmer de sa frénésie.

Ambroise expliqua être un occultiste des contrées du sud ayant connu un « léger » déboire avec l’une de ses expériences. En tant que simple apprenti magicien, il avait tenté une expérience à la poursuite de la vie éternelle, et s’était proprement raté. Il avait bien obtenu la jeunesse éternelle, mais au prix de mutations indésirables, parmi lesquelles la plus importantes était sans nul doute sa soif de sang humain. Il avait besoin de boire au moins l’équivalent de toute l’hémoglobine d’un humain adulte chaque lune, sans quoi sa soif le rendrait tout à fait fou au point de ne plus être lui même. Depuis lors il était à la recherche d’un moyen de vaincre cette soif morbide par la magie, mais ayant déjà volé tous les grimoires, pillé toutes les bibliothèques et interrogé tous les mages coopératifs en son pays, Ambroise désespérait de trouver un jour une solution, d’autant que les fanatiques de son pays s’étaient tous mis en tête de le détruire à tout prix pour l’empêcher de créer d’autres abominations dans son genre.

Ces problèmes touchèrent sans difficulté le cœur du paladin renégat. Sehnsucht se sentit concerné par la quête désespérée du jeune homme. Lui même n’avait obtenu sa longévité qu’au prix, modique, de son humanité, de ses organes, et d’une partie de ses émotions. Il accueillit à bras ouvert le nouveau venu à Ehrgeiz, lui promettant même de s’assurer de lui obtenir du sang durant le temps que prendrait ses recherches, mais il exigea en retour que le vampire lui jure fidélité à lui et à la cité, et accepte de combattre pour la défendre. Ambroise ne se fit pas prier, et prêta serment sans surseoir avant d’entrer dans la citadelle en souriant à pleine dents.

Une aile du palais, encore en plein travaux, lui fut allouée, avec un laboratoire et des monuments occultes pour faciliter ses recherches magiques. Sehnsucht lui présenta également Ylva, tout en lui signifiant clairement qu’il devrait éviter de boire son sang. En tant que fille du roi de Lichtstrahl, royaume béni par la lumière, il y avait fort à parier que les propriétés de son sang seraient inhabituelles voire dangereuses.

Une fois installé et informé de toute la situation, Ambroise se proposa d’aider leurs efforts pour le conflit à venir en se faisant espion.

« C’est que, j’ai de par mon passé, une grande expérience de l’art du camouflage, du déguisement et de la fuite, et qui plus est je maitrise nombre de sortilège de duperie et de mascarade. Je serais nos yeux et nos oreilles en Lichtstrahl et vous rapporterait tout ce qui s’y passe en terme de mouvement de troupe et de rassemblement de guerriers. »

Et ainsi, Ambroise commença à régulièrement faire des allers-retours avec le royaume voisin. Sehnsucht était enchanté, son esprit plus stimulé que jamais. Il comprit que le roi Reinhard Ljungqvist prendrait du temps pour convaincre ses vassaux de s’attaquer au sombre sire, et encore plus pour rassembler ses armées et ses paladins. Il lui fallait mettre ce temps à profit pour raffermir son emprise sur son terrain, fortifier ses positions, et rassembler le plus d’alliés possible.