Un jour que Les Gobelins étaient affairés à l’érection du palais d’Ehrgeiz, une apparition impromptue sema la confusion et la panique chez les esclaves. Un étranger était apparu, accompagné d’une petite escorte de cinq hommes en turbans, silencieux comme des rocs et tenant barbiches et hallebardes. L’étranger en question avait l’apparence d’un homme, grand, immense même, avec une peau noire reluisante sous le soleil de midi tranchant avec ses cheveux d’un blanc lunaire qui frappaient d’admiration ceux qui posaient le regard sur lui. Ses muscles saillants étaient impressionnants et donnaient presque à eux seuls une texture lustrée à sa peau reluisante. Ses yeux étaient d’un blanc laiteux, les iris comme des pierres d’opale étaient d’un blanc nitescent où dansaient quelques particules multicolores comme des cristaux. Il était vêtu légèrement d’une cape en peau de lion et de quelques vagues tissus cachant à peine son corps massif et musculeux.

Les Gobelins furent désemparés face à cette apparition. Il dégageait du nouveau venu une aura de majesté et de puissance telle, conjuguées à une beauté si impressionnante, que Les Gobelins en étaient paralysés, incapables de détourner les yeux, ou aveuglés tant ils étaient éblouis. L’homme était semble-t-il apparu de nulle part, soudainement, comme un prophète surnaturel. Ses yeux brillants se levèrent en direction du château en pleine érection, et il contempla la chose d’un air entendu. Finalement, Sehnsucht vint à sa rencontre, prudemment, lui même n’étant pas certain d’à qui, ou plutôt à quoi, il avait affaire.

L’étranger se tourna vers lui et s’adressa dans un parler franc, où transparaissait une grande noblesse mais aussi une difficulté étrange à s’exprimer. Non pas la difficulté de quelqu’un qui ne connaitrait pas la langue, mais bien de quelqu’un n’étant pas accoutumé à s’exprimer à la manière d’un humain. Sehnsucht comprit vite qu’il avait affaire à une créature magique, plus habituée à s’adresser à ses congénères par des voies psychiques.

« Son nom est Nabucholrauch. » fit l’étranger. « Il a entendu votre appel, sombre sire, et il désire rejoindre votre cabale. »

Le paladin renégat comprit que la créature parlait d’’elle même, et répliqua en demandant ce qu’il était. Nabucholrauch expliqua :

« Il est une vouivre, de la race la plus puissante : une vouivre blanche des lacs du sud. Il a été maudit après un affrontement contre des magiciens humains. Ils ont volé son escarboucle, source de son pouvoir, et l’ont forcé à prendre une apparence humaine pour qu’il ne puisse plus sertir l’escarboucle sur son front. Mais Nabucholrauch avait placé sa malédiction sur qui volerait la pierre précieuse et les sorciers humains ont tous péris dans d’atroces souffrances, méritées. Désormais, Nabucholrauch doit trouver un moyen de reprendre sa forme originelle pour retrouver ses pouvoirs, et vous pouvez l’aider. Nabucholrauch a pris la tête d’un sultanat humain sous cette apparence, mais son identité a été révélée et il a dû fuir jusqu’ici. Maintenant, vous êtes le seul espoir de Nabucholrauch de rassembler assez de mages pour trouver un moyen de reprendre sa forme de vouivre. »

Sehnsucht prit le temps de bien peser l’information. Même lui n’en savait pas beaucoup sur les vouivres, mais il en savait assez pour connaitre l’étendue de leur puissance, et l’aide de Nabucholrauch lui serait précieuse. Qui plus est, il était très curieux de pouvoir observer une vouivre de près. Aussi il demanda simplement :

« Nabucholrauch est-il prêt à se mêler de guerre s’il le faut ?

- Nabucholrauch a fait la guerre en tant que vouivre, et l’a faite à nouveau en tant qu’humain. Il a mené des armées au combat et connait les tactiques de cette race. Nabucholrauch se délecte du combat et ne craint aucun adversaire.

- Alors Nabucholrauch sera le bienvenue dans notre cabale. Il aura tout le soutien qu’il désire, et en retour il combattra à nos côtés. Cela lui convient-il ?

- Cela est bon. Vous vous êtes fait un allié, sombre sire. Nabucholrauch va de ce pas se préparer pour la recherche, et pour le combat. »

Les deux échangèrent une poignée de main entendue, à la façon des paladins entre eux, mais Sehnsucht sentait planer comme un doute, une menace. Quelque part, il sentait qu’il adorerait cette nouvelle entité avec laquelle il poursuivrait ses recherches. Connaitre le point de vue d’une créature n’ayant rien d’humaine à l’origine et partager son savoir avec elle serait une expérience infiniment enrichissante, mais d’un autre côté Nabucholrauch était une bête mystique dont les ambitions planaient loin au dessus de celles des humains. Les existences de ces petits primates ne devaient rien représenter pour lui. Mais à la réflexion, c’était presque déjà le cas pour Sehnsucht lui même, alors…