Ehrgeiz se développait à une vitesse effrayante. La cité ne cessait de croître, de s’aménager, de s’organiser de plus en plus vite, les ouvriers frénétiques renforçants murailles et casernes en prévision de l’arrivée prochaine des forces de Lichtstrahl. On pouvait voir les murailles s’élever à toute vitesse, par un mélange de sorcellerie du maitre des lieux, d’ouvriers morts-vivants infatigables, et d’esclaves gobelins surexcités et frénétiques. Mais une perturbation se fit ressentir d’un coup, l’air vibra, une onde passa, et brusquement un flot d’éclairs surgis de nulle part s’abattit sur la cité, faisant s’effondrer une partie des murailles en constructions. Les Gobelins se bousculèrent pour s’enfuir tandis que les soldats se pressaient sur les lieux pour comprendre ce qui se passait. Sehnsucht fut complètement frappé en plein milieu de ses médiations. Ses esprits s’affolèrent comme une immense puissance magique qu’il ne reconnaissait pas venait de s’introduire en plein milieu de sa trame personnelle d’une façon qu’il ne comprenait pas encore. Après une courte hésitation, il se redressa de son trône et se précipita avec une hâte qu’il n’avait pas eu depuis des siècles.

Le sol avait tremblé et des crépitements magiques multicolores continuaient de fuser en tous sens. Une brume surnaturelle avait entourée le point d’impact, accompagnée d’un nuage de poussière écœurante.

Sehnsucht parvint sur les lieux et s’immobilisa à la limite de la brume. Il l’analysa, impassible, pendant quelques instants, puis ordonna que ses troupes se reculent. À pas lents, il se risqua lui même dans la zone touchée où il sentait encore des impulsions magiques qui le faisaient frémir tout entier.

Une présence se faisait sentir, quelque chose ou quelqu’un de vivant était à l’origine de tout cela et était arrivé en même temps que tout ce déploiement de magie chaotique. Régulièrement, Sehnsucht devait s’arrêter tant les ondes magiques étaient redoutables. Elles n’inquiétaient pas plus que ça un être immortel tel que lui, mais elles l’intriguaient. Il avait l’impression d’avoir affaire à un mélange brut de toutes les magies possibles et imaginables, y compris certaines qu’il ne connaissait aucunement. Il y avait comme un ressenti extraterrestre, de quelque chose venant d’un autre plan d’existence, mais aussi une sorte d’exhaustivité, de complétion dans l’essence même de cette énergie qui hélas était totalement dépourvue de maitrise.

Quand une silhouette se dessina dans la brume, Sehnsucht se sentit à la fois déçu et rassuré. C’était une silhouette à peu près humaine. Le sombre sire de la héler, pour voir la forme se raidir et darder dans sa directions deux grands yeux d’un vert luisant.

Puis une voix féminine se fit entendre :

« Suis-je bien à Ehrgeiz ?

- Oui. À qui ai-je l’honneur ? »

La femme partit d’un petit rire soulagé. Elle s’avança vers le sombre sire, révélant plus complètement son apparence. C’était une jeune femme à la mine assez quelconque, rien d’anormal ou d’impressionnant sinon ses yeux émeraude brillants et ses longs cheveux rouge sang, mais elle était accoutrée selon une mode inconnue de Sehnsucht, avec des bas à rayure blanches et noires, une robe grisâtre aux motifs grossiers et multicolores. Sur sa tête était posé un drôle de chapeau rond au sommet pointu qui retombait en arrière mollement. Aux pieds, de grosses bottes de fortune d’un brun sale, aux mains d’épaisses mitaines rapiécées et dépareillées. Comme si son apparence n’était pas suffisamment loufoque, elle avait avec elle un chat noir qui se frottait contre sa jambe.

« Je suis Franciska Sikoly, et j’ai perçu un message magique qui disait qu’on pouvait étudier la magie à Ehrgeiz »

Sehnsucht aurait bien haussé un sourcil s’il en avait encore un.

«  Était-il nécessaire de… balayer mes murailles cependant ?

- Pardon, j’ai ? Balayé vos murailles ? Par le galéobdolon velu ! Il doit y avoir méprise.

- Je ne suis pas en colère. » fit Sehnsucht. « je suis simplement curieux de savoir comment vous avez fait. »

Elle eut un soupir de soulagement.

« Vous n’allez peut-être pas me croire, mais je n’en sais concrètement rien. J’ai juste tenté un sort de téléportation qu’une… collègue sorcière m’a appris après que je l’aie… disons, sollicitée. Mais souvent quand j’utilise mes pouvoirs les choses me dépassent un peu. »

Sehnsucht ne fut pas convaincu par cette explication, d’autant que quand il scrutait cette Franciska Sikoly, ses sens surnaturels lui renvoyaient des analyses contradictoires. Il ne pouvait même pas cerner si elle était humaine ou… autre chose qu’il ne comprenait pas.

Elle expliqua venir d’un royaume loin à l’est et avoir des parents ecclésiastiques qui auraient très volontiers fait bruler tout pratiquant de la magie. Elle même ayant un don avait fugué dès son plus jeune âge et depuis elle errait par le monde à la recherche d’un endroit où elle pourrait apprendre la magie. Elle avait visité presque toutes les écoles de magie du continent, mais jamais en tant qu’élève officiel. Tantôt elle avait volé des ouvrages, tantôt elle avait dupé d’autres élèves pour apprendre leurs cours avec eux, et parfois même elle s’était introduit dans les locaux des académies pour écouter aux portes, prendre des notes, et expérimenter avec leur matériel. Cependant elle mettait que, celles lui en ayant le plus appris étaient les sorcières clandestines de son pays d’origine. Elle était assoiffée de savoir, et quand on avait refusé de lui enseigner, n’avait pas hésité à séduire, berner, menacer ou torturer pour obtenir ce qu’elle voulait.

Sehnsucht l’écouta, et ne put s’empêcher d’être amusé. Il se reconnaissait lui même avant dans le portrait de la jeune sorcière. Prête à tout pour apprendre, et s’accaparer le plus de puissance possible. Quand elle eut tout raconté au sombre sire, celui-ci lui proposa d’entrer à son service en échange de quoi lui et tous les autres mages de sa cour mettraient leur savoir en commun pour elle. Elle accepta avec enthousiasme. Sehnsucht hocha la tête et s’apprêtait à tourner les talons pour la mener vers le palais, quand elle s’éclaircit la gorge et reprit la parole.

« J’allais presque oublier de vous dire quelque chose : n’essayez jamais de me toucher, ni vous ni personne. Je dis ça pour votre propre bien, vous ne voulez pas savoir ce qui risquerait de se passer. Je m’assurerai de ne toucher personne, mais je vous conseille de prévenir aussi tous les membres de votre cour. Un accident est si vite arrivé.

Sehnsucht fut interloqué et darda vers elle son regard scrutateur, mais pour la première fois depuis longtemps ses sens surnaturelles se retrouvèrent confrontés à un mur trop opaque pour que sa curiosité puisse en venir à bout. Franciska avait joint les mains et souriait d’un air désinvolte, mais d-pendant une fraction de seconde le sombre sire crut voir une image déformée d’elle où quelque chose d’immense et de rampant tentait d’émerger de sous la chair de la jeune femme et d’étendre d’immenses tentacules, ou bien était-ce une agitation dans la trame magique ? Il décida de remettre ces questionnements à plus tard. Pour l’heure, il fallait reprendre l’érection des murailles. L’assaut de Lichtstrahl ,n’allait plus tarder.