Chapitre 1 : La rencontre

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Il y a des amitiés qui marquent une époque, et Julie fut cette amie-là. Elle était celle avec qui je passais des heures à écrire des histoires et échanger des rires. Nous nous sommes rencontrées au collège, en 5ème, et pendant deux ans, sa présence illuminait mes journées.

C’était bien avant que son père célibataire ne rencontre cette femme avec qui il emménagea dans le Nord, en 2019.

La séparation m’a laissée avec un vide, un silence lourd. Ensemble, nous nous imaginions déjà écrivaines. Nous inventions des mondes et des personnages à deux, avec l’espoir naïf mais sincère de marquer notre époque. Nous avions un compte commun sur Wattpad, et l'une de nos histoires avait franchi la barre des trois mille lectures. C'était pour nous une petite victoire. Seule, je n’étais plus bonne à rien.

Après son départ, le collège s’est peu à peu vidé de sa couleur. Julie, c’était mon soleil, et je n’ai plus vu la lumière de la même manière après elle.

Puis, ce fut mon tour de partir. De quitter la douceur du Sud pour la grisaille de Créteil. Ce fut un changement brutal, une dissonance que je n’ai jamais bien acceptée. Le lycée, l’appartement trop sombre, le métro, les quartiers qu'il valait mieux éviter… C'était un monde trop vaste, trop bruyant, trop froid. J’ai eu la sensation d’être en exil dans ma propre vie, de vivre à travers un filtre gris et distordu.

Mon seul désir à l'époque était de tout effacer, de repartir vers le Sud, vers ce que j’avais connu, ce qui me semblait être le seul lieu où je pouvais respirer. Il m’a fallu des années pour commencer à m’habituer à cette nouvelle réalité. Et pourtant, aujourd’hui, j’aime vivre à proximité de Paris.

D’ailleurs, je crois que c’est en découvrant la capitale, en long et en large, aux côtés de quelqu’un que j’ai aimé autant que détesté, que j’ai appris à l’apprivoiser.

Et c’est de cette histoire-là dont je souhaite vous parler.

En septembre 2023, après deux ans et demi passés en banlieue parisienne, Julie m’a invitée à passer deux jours avec elle, chez son père, à Nieppe, un petit coin de campagne près d'Armentières. Ce week-end-là, un concert avait lieu, un événement qui regroupait de nombreux artistes, auquel elle m’a conviée.

Le vendredi 8, avec une excitation presque enfantine, j’ai pris le train. À l’arrivée, Julie m’attendait, avec ce sourire radieux et cette énergie débordante qui m’avaient tant manqué. Les retrouvailles furent comme une évidence. Tout semblait si naturel, si fluide. On a parlé toute la nuit, comme si ces années de silence n’avaient jamais existé. Rien n’avait changé, ou plutôt, tout avait changé, mais d’une manière douce et nostalgique. J’ai presque eu la sensation de retrouver une part de moi-même. Une part que je croyais perdue.

Le samedi matin, Julie m’a présentée au fils de sa belle-mère : Arthur. À 23 ans, il dégageait déjà une certaine prestance. Ses cheveux blond foncé, légèrement ondulés, étaient tirés en arrière avec une nonchalance étudiée. Un sourire en coin, à la fois malicieux et assuré, effleurait ses lèvres fines, comme s'il savait parfaitement l’effet qu’il avait. Il portait une chemise blanche impeccable, parfaitement ajustée, qui soulignait sa silhouette. Son apparence soignée, méticuleuse même, témoignait d’un sens du détail et d’une attention au paraître qui ne passaient pas inaperçus. Il dégageait cette aura de charme naturel, subtile mais évidente, un charme qui m’a immédiatement happée dès l’instant où mes yeux se sont posés sur lui.

J’avais à peine 18 ans, et je venais tout juste de mettre un terme à une relation factice. Un mois passé chez les grands-parents de mon copain en Belgique avait suffi à sceller notre histoire. Il s’était lassé, ses regards dérivaient déjà vers quelqu’un d’autre. Alors, j’ai coupé court. Six mois d’efforts, de rêves partagés, jetés à la poubelle. J’avais juré de ne pas replonger dans cette mascarade qu’on appelle l’amour, du moins pas avant d’avoir recollé les morceaux de mon orgueil brisé.

L'après-midi, Julie m’a présentée à son petit ami, Hugo. Un garçon de notre âge, sympathique et plutôt discret. Ensemble, nous avons traîné dans les rues de Dieppe, une bouteille de vodka à la main, quelques heures avant le concert. Pourtant, malgré l’ambiance légère et les rires partagés, une seule personne occupait mon esprit : Arthur.

Je l’ai croisé plusieurs fois dans la journée. Impossible de détourner les yeux, comme si un aimant invisible me poussait à chercher sa silhouette dans chacune des pièces de la maison. Et, à ma grande satisfaction, je l’ai surpris en train de faire la même chose.

Chaque fois que nos regards se croisaient, un sourire venait instinctivement adoucir son visage, et le mien répondait presque malgré moi. À cet instant précis, j’ai compris ce qu’était un coup de foudre.

Malgré tout, je me forçais à garder les pieds sur terre. Je repartais le dimanche soir, et il était peu probable que je le revoie avant longtemps. Et puis, soyons honnêtes : il avait 5 ans de plus que moi. Comment un homme de son âge pourrait-il s’intéresser à une fille tout juste sortie de l’adolescence ?

Julie, pourtant, a balayé mes craintes d’un seul argument : Arthur vivait principalement chez son père, à Vincennes, à seulement 20 minutes de chez moi. Cette révélation m’a brièvement redonné espoir, avant qu’un autre obstacle ne se dessine dans mon esprit : Vincennes… La ville des bourgeois et des gosses de riches, dont on aimait se moquer avec mes amis au lycée.

Quand j’ai interrogé Julie à ce sujet, elle a confirmé sans détour que sa famille était particulièrement aisée. Ce qui expliquait l’élégance presque ostentatoire de leur maison. Cette information ne faisait que rendre Arthur encore plus inaccessible. Et comme pour alimenter ce mystère, la conversation a dérivé sur son métier. La réponse, toutefois, était vague, presque évasive : quelque chose dans la radio, ou l’informatique, peut-être un poste de technicien ? Même Hugo semblait perplexe. Julie, visiblement mal à l’aise, a fini par avouer qu’elle n’en savait pas beaucoup plus, qu’ils n’étaient pas très proches, elle et lui.

Mais à cet instant, le mystère qui entourait Arthur ne faisait qu’ajouter à son charme. Plus j’en apprenais, plus il me fascinait.

Pour mon plus grand bonheur, c’est lui qui nous a emmenées à Armentières, au volant de sa Mercedes. Et comme si ce n’était pas assez, il est resté avec nous tout au long de la soirée.

Le concert, en plein air, avait débuté à 20h. L’ambiance était électrique, et les artistes se succédaient sur scène : Vianney, Lynda, Elsa Esnoult, Loïc Nottet, Maëlle, Louis Albi, et bien d’autres. Chacun interprétait deux ou trois morceaux. La musique était entraînante, et Hugo, probablement un peu trop aidé par la vodka, se lançait dans des chants à la limite du supportable. C’était un peu faux, mais terriblement drôle. On a ri à en pleurer. Par moments, Arthur prenait mon téléphone pour m’aider à filmer les artistes, et s'assurer que je ne rate pas une seconde de la scène, même quand les têtes devant nous nous bloquaient la vue.

Nous étions arrivés trop tard pour décrocher de bonnes places, mais cela n'avait plus d'importance, car l'essentiel se trouvait ailleurs. Plus tard dans la soirée, Hugo et Julie s'abandonnèrent sans la moindre gêne à un baiser langoureux, totalement perdus l'un dans l'autre. Je les observais, mais chaque battement de mon cœur semblait résonner plus fort à côté d’Arthur.

Lui, d’ailleurs, ne semblait pas cacher son manque d'intérêt pour le concert. Il passait le plus clair de son temps à me regarder. Ou bien était-ce mon imagination qui me jouait des tours ?

Pourtant, son sourire n’avait rien d’innocent. Il savourait la situation, jouait avec moi. Il me parlait de temps à autre, me posait des questions sur ma vie, mes passions, tout en détournant son regard, avant de jeter des coups d'œil furtifs dans ma direction.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai menti. Quand il m’a demandé d’où je venais, j’ai répondu Paris, instinctivement. Lorsqu’il a voulu connaître l’arrondissement, j’ai sorti le 16ème. Beaucoup trop cher pour ma mère, en réalité. C'était ridicule, mais, à cet instant, j'avais juste envie d'être à la hauteur de l’image qu’il semblait avoir de moi.

Certaines de ses questions étaient presque inaudibles, et pour que je l’entende, il devait se pencher si près de moi qu’il me semblait avoir un feu d'artifice dans la poitrine. À chaque mot, chaque souffle, il se rapprochait encore un peu plus, et tout devenait flou autour de nous. J’étais là, hypnotisée, envoûtée par l'atmosphère irréelle du spectacle, et par son regard perçant.

Quand la soirée a pris fin, je me suis retrouvée un peu perdue, presque déçue que tout se termine si vite. On est retournées à Dieppe, Hugo est rentré chez lui, et moi, je me suis laissée emporter par le sommeil plus vite que la veille, mais pas avant d’avoir repassé les dernières heures en boucle dans ma tête. Un tourbillon de sensations, de mots, et de regards qui m’empêchait de trouver le calme. J’étais tellement troublée. Et Julie, avec sa légèreté habituelle, n’avait pas idée de ce qui se passait en moi. Je n’étais pas prête à lui en parler. Pas encore.

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