Chapitre 1 - Un terrain Fertile
Le Sapin de Noël
Elle a appris à écouter sans bouger, à deviner sans poser de questions. Mais lorsqu’Agathe était autorisée à sortir, elle s’empressait d’aller à la rencontre des autres, cherchant instinctivement à tisser des liens.
Personne ne lui avait montré le chemin, hormis le murmure apaisant de la nature. Fille aînée d’une fratrie de quatre enfants - trois sœurs et un frère - elle avait très tôt apprivoisé la solitude, comme une compagne silencieuse. Ainsi, elle traînait dehors la plupart du temps, seule avec les arbres, dont deux qu’elle avait désignés comme Papa et Maman. Pour elle, c’était une évidence : l’un se dressait presque en face de l’autre, de part et d’autre de la ruelle qui menait au cul-de-sac où elle vivait. Leurs troncs épais et puissants lui inspiraient une force qu’elle ne trouvait pas dans le réel - une protection imaginaire, un refuge. Elle leur parlait, riait, rêvait, dans l’espoir d’obtenir des réponses là où il n’y en avait pas.
Un jour, elle se découvrit un nouveau compagnon : un "sapin de Noël" pas plus grand qu’elle. Ses branches frêles, presque tremblantes, portaient ça et là de petites perles rouges, évoquant les décorations d’une fête censée être joyeuse. Ce sapin était son confident, un écho à son besoin de réconfort.
Rien n’était plus précieux que ces conversations muettes avec ses compagnons d’écorce. Ils avaient été là pour elle - pour son développement, pour fortifier cette force intérieure qu’elle cultivait en secret. Son imaginaire lui construisait une bulle de protection, un rempart contre une douleur diffuse qu’elle ressentait constamment, sans jamais pouvoir la nommer. Les mots lui manquaient, comme ils manquaient à ceux qui l’entouraient. Personne ne parlait ouvertement, comme dans ces familles censées être saines et bienveillantes.
Alors elle errait sans but, dans une enfance déjà marquée, inconsciente du danger qui rôdait dans son silence.
Les amitiés & le voisinage
Rien ne devait lui permettre de voir ses voisins, même ceux qui vivaient juste à côté - un couple de personnes âgées. Dès qu’Agathe fut scolarisée via des cours par correspondance, sa mère s’assura de limiter encore davantage ses interactions. Au collège, toute sortie extra-scolaire lui fut interdite. L’association sportive recommandée par sa prof de sport ? Refusée. Le goûter d’anniversaire organisé par une camarade de classe ? Supprimé, malgré les discussions avec les principales intéressées à la sortie de l’établissement.
Une amie d’enfance, qui vivait à quelques mètres de chez elle et avec qui elle avait tissé un lien précieux, osa un jour frapper à sa porte pour l’inviter à jouer. Mais là encore, la réponse fut catégorique et violente : la mère d’Agathe refusa d’un ton agressif, imposant son autorité sans appel.
Chez elle, c’était sa mère qui décidait, qui surveillait le moindre de ses gestes. Personne d’autre. Agathe savait, au fond d’elle, que cette situation n’était pas normale. Elle sentait la haine que sa mère lui portait, une cruauté qui pesait sur son cœur d’enfant. Et elle en était triste, infiniment triste.
Un jour, alors qu’elle était encore au CP, elle se surprit à dire à la maîtresse qu’elle "voulait mourir". Elle ne comprenait pas vraiment le sens de ces mots, mais ils lui semblaient exprimer ce qu’elle ressentait : un vide immense, incompréhensible et une vie dénuée de sens, vouée à demeurer vaine et inutile.
Elle prononça ces paroles car inconsciemment, elle savait sûrement ce qui l'attendait.
Car ce n’était que le début.
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