Chapitre 2 - Préparation mentale & psychique
Entre Terreur et Violences physiques
Les rares fois où elle s’en souvenait, c’était parce que l’amnésie traumatique se réactivait sous l’effet d’un mot, d’un regard, ou d’un souvenir ramené par quelqu’un d’autre. Comme cette fois où sa grand-mère maternelle lui avait rappelé, avec une désinvolture glacée, les violences physiques infligées par sa mère durant l’enfance.
C’était le soir, il était huit heures, et Agathe planchait encore sur ses cours par correspondance. Elle ne sortait pas. Elle travaillait du matin au soir, recluse.
Sa grand-mère avait ajouté, presque en passant, que c’était le grand-père qui avait fini par intervenir pour arrêter sa fille.
Et là, Agathe revit tout.
La scène. La table. Le cahier. Le silence.
Sa mère hurlant. Et, dans un coin de la pièce, sa grand-mère assise, spectatrice passive, le regard embué d’un éclat vicieux. Elle ne bougeait pas. Elle regardait, avec des yeux pleins de vice.
Durant toute son enfance, ces femmes la terrorisaient. Agathe avait appris à se taire, à plier. Elle acquiesçait toujours. Elle était “mauvaise”, selon elles. Elle devait être punie. Pour tout. Pour rien. Pour exister, peut-être.
Une autre fois, sa mère l’avait frappée avec une telle violence qu’elle en avait eu le souffle coupé - simplement parce qu’elle n’avait pas entendu qu’on l’appelait. Elle était dans la cuisine, où le bruit de la cocotte-minute couvrait tout. Devenue un peu sourde à la suite d’une prétendue erreur médicale, Agathe s’est souvent demandée si cette surdité n’était pas en réalité liée à des violences exercées par sa mère. Celle-ci lui avait raconté que ses tympans avaient été "aspirés" par un médecin - un professionnel, disait-elle - mais bien plus tard, Agathe s’était mise à en douter. Trop tard, peut-être.
Elle n’a jamais su ce qui relevait du vrai ou du mensonge.
Parfois, elle se demandait si sa mère n’avait pas eu un tout autre but : toucher des allocations en la déclarant enfant handicapée.
Mais ça n’avait pas d’importance. La punition était déjà décidée.
Agathe n’était plus une enfant pourtant. Mais dans cette maison, la violence était une habitude, un rythme sourd, un fond sonore.
Alors pourquoi réactiver ces souvenirs ?
Pourquoi les faire ressurgir comme des éclats de verre dans sa mémoire ?
Pour la faire souffrir. Pour la rendre folle. Pour qu’elle s’épuise à lutter contre des fantômes bien vivants.
Pour que tout tourne en boucle, et qu’un souvenir en appelle un autre. Sans fin.
Un mental affaibli & Un avenir Volé
Alors qu’Agathe séjournait chez sa grand-mère maternelle, cette dernière commença à agir sur son mental, sa psyché, comme si elle cherchait à brouiller les repères de l’enfant.
Elle se mit à lui souffler des suggestions mentales toxiques, prétendant lire son avenir dans les cartes divinatoires. Et tout y passa : la haine, les viols, les trahisons, les insultes, les coups bas… Même un changement d’orientation sexuelle, un démembrement, une incarcération, un enfermement en hôpital psychiatrique — "parce que tu auras tellement souffert..." disait-elle, comme une prophétie sinistre.
C’était une tentative de prise de pouvoir par la peur. Un envoûtement à mots couverts. Une manière de plonger Agathe dans la terreur de l’avenir, la crainte de sa propre vie, jusqu’à son dernier souffle.
Ce n’était pas une gifle, ni un cri. C’était pire ; c’était un poison lent, servi avec le sourire.
Agathe ne comprenait pas. Elle n’a pas compris tout de suite. Il lui fallut des années pour entrevoir, ne serait-ce qu’un fragment de vérité sur ce qu’elle avait vécu.
Comme si elle avait été hypnotisée.
Ce qui la trouble le plus, ce ne sont pas les mots… c’est de ne plus savoir dans quelle pièce elle étais quand elle les ai entendus. Ni combien de fois. Ni pourquoi. Car à chaque souvenir qui refaisait surface, elle se revoyait dans une pièce différente de la maison, à des moments différents de la journée et avec des paroles différentes, toujours prononcées sur le même ton implacable.
Elle n’avait pas le droit de parler, seulement d’écouter - sauf lorsqu’elle y était autorisée. Et parfois, elle ne savait même plus si elle pouvait répondre ou si son corps avait appris à se taire de lui-même.
Ces mots, ces malédictions, s’étaient gravés au plus profond de son esprit. Ils avaient façonné son rapport au monde, à elle-même, à la peur.
Et lorsqu’elle osa en parler, plus tard, on lui répondit simplement :
— "Faut oublier."
C’était son oncle. D’un ton détaché, presque agacé. Comme si tout cela n’avait été qu’une broutille.
Il lui fut un moment pour réaliser qu'on ne voulait pas l’apaiser : seulement qu'elle se taise et souffre en silence, tout en se remémorant encore et encore, sans cesse, toutes ces paroles qu'elle cherchera en vain à comprendre, espérant changer le cours de son destin...
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